De temps en temps il faut savoir lire ce qu'on écrivait dans des temps qui ne sont pas si anciens, les années 20, ont les à dit folles, sans doute pour s'étourdir, oublier la boucherie de 14-18. Le texte que je vous propose est désuet, avec des notations qui restent actuelles ; un texte que devrait lire Nossiter ; un texte à verser dans les archives destinées à alimenter la définition du terroir...
" Les grands crus l'ont eu, les grands crus que tout le monde connaît et dont tout le monde parle.
On en parle même plus qu'on ne les boit, car aujourd'hui, de manière générale, on parle plus qu'on ne boit. C'est un signe des temps ; on aime mieux se saoûler de paroles que de vin. Ca monte davantage à la tête et ça fait plus mal au coeur. Et surtout, cela fait plus de mal à la France.
Nos grands vins (j'y reviens) nos grands vins sincères, ce sont les grands saints français, ceux qu'on ne discute pas et qui font, au moment voulu, le geste miraculeux.
Ils ont, dans le Bordelais, la Bourgogne et la Champagne, des chapelles immenses, en Touraine, en Anjou, sur les côtes du Rhône et en Alsace, des statues avec des auréoles larges comme des soleils. Nous les adorons à deux genoux.
Mais faut-il oublier, pour cela, les vins de nos autres provinces, de nos chers petits bourgs peu connus qui dorment au pied de leur clocher.
Ils sont pourtant accueillants et charitables, ces modestes patrons locaux de nos villages, aux couleurs un peu trop vives ou un peu fanées, auxquels on rend hommage, les jours d'assemblée, auprès desquels on va en pélérinage, et qui exaucent, à chaque coup, des foules peu exigeantes, mais dont la finesse vigneronne n'ignore pas tout à fait les diverses nuances du bonheur.
Et leur nombre obtient autant de miracles, surtout en faveur des humbles et des simples, sans compter parfois les gens d'esprit !
Les grands vins, comme les grandes cités, ont souvent besoin de se constituer un cadre, il leur faut des décors couteux et de la réclame, des adjectifs somptueux et une clientèle étrangère.
Les bons vins de terroir ont notre ciel, nos coteaux, nos bosquets et nos maisons de paysans, comme salon de dégustation.
Ils sont faits pour être bus en famille, entre amis, en mangeant surtout, et alors, ils se chantent eux-mêmes, en faisant tinter le verre où ils scintillent, parce qu'on les verse abondamment.
Je ne puis dire aussi qu'ils font chanter. Ce sont les plus gais des cicérones, quand ils nous promènent à travers notre territoire et aussi les plus éloquents. Par eux, les auberges de la route deviennent hospitalières et le hameau le plus déshérité se transforme en un site merveilleux.
On dit que le Français ne connaît pas son pays. S'il connaissait les Vins de chez nous, il en remontrerait, sur ce sujet, à tous les professeurs de géographie.
Et surtout, il en concevrait une telle fierté, que jamais il ne pourrait douter de son avenir.
C'est vers ce but que tendent mes écrits et s'il était un jour atteint, ce serait encore un miracle, et non le moindre, à l'actif de nos jolis vins de terroir. "
Extrait de : Les Vins de chez nous Monsieur de Sépangueul publié dans les années 1930.