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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 00:11


Le cambouis, chez moi, dans mon bocage crotté, les Boux de Casson et autres notables élus par le petit peuple, dans leurs discours de comices agricoles, adoraient en faire un usage ambigu auprès de leurs électeurs goguenards, paysans madrés, maquignons vicieux, bigotes au bras de leurs époux, journaliers endimanchés. Dans leur péroraison, au moment où il leur fallait marquer les esprits, mettre les rieurs de leur côté, mains sur les hanches, ils prenaient leur auditoire à témoin, l'air entendu de celui à qui on ne la fait pas : " Moi, mes chers amis, je ne suis pas comme ces beaux messieurs les scribouilleurs de feuilles de choux parisiennes qui nous donnent des leçons, nous traînent dans la boue, je ne crains pas de me mettre les mains dans le cambouis pour vous aider..." L'image leur parlait, elle tenait de l'évidence, se salir les mains pour ses électeurs quoi de plus respectable ! Les prébendes sont le juste prix du scrutin d'arrondissement. En descendant l'escalier métallique accolé à la guérite de Grabowski je ne savais pas encore que cette lèpre noirâtre, ce cambouis, le vrai bien gras, allait s'immiscer dans chaque pli de mon corps, me souiller, me pervertir bien plus que les discours de mes chefs. Imperceptiblement, dans cet atelier crasseux, je me glissais dans la peau de Marc Kranck, le petit juif illuminé prêt à sacrifier son avenir sur la chaîne de Javel, chez le pire des patrons, Citroën, pour y partager la galère d'un sous-prolétariat exploité, y porter la bonne parole révolutionnaire, faire se lever un nouveau vent de révolte contre les nervis de Bercot. Les trahir en fait, les infiltrer pour mieux les dénoncer, faire salement mon métier d'agent dormant.

Le vestiaire, avec ses armoires métalliques, son carrelage souillé, ses ampoules pendantes, son odeur de linge sale, me ramenait au grand bureau lambrissé de la place Beauvau où mon coup de gueule s'écrasa comme une fiente de pigeon sur l'indifférence de mes interlocuteurs. Leur silence assourdissant, en écho, me renvoyait un " jappe toujours mon garçon tu nous intéresses ! " qui me désarçonnait. Face à mes minables provocations, les deux molosses, et leur chef de circonstance, avec sa gueule de cocker triste, mains croisées posées sur l'enflure de leur petit gilet, me signifiaient qu'ils n'allaient pas lâcher pour si peu une aussi belle proie. La messe était dite. Fataliste, j'ironisais encore un peu, mais mollement, en lançant à la cantonade : " nous attendons Monsieur le Ministre, je suppose ! Plus on est de fous plus l'on rit..." Ce nouveau flop profond me plongeait dans une perplexité proche du ras-le-bol. Pourtant je me retenais de ruer dans les brancards. Leur petit jeu du chat et de la souris, même s'il commençait à me courir sur le haricot, devait cacher quelque chose. Au lieu de continuer à leur balancer des insanités je pris le parti de me taire. Ces messieurs, sous leur posture d'indifférence, transpiraient d'impatience. Manifestement tout ce petit monde constipé attendaient et, lorsque l'interministériel grelota, la tension monta d'un cran. Le directeur de cabinet me jeta un regard plein d'importance avant de décrocher le combiné blanc. Dans le mouvement il se levait et nous tournait le dos. Après un bonjour Pierre, il se tut, écoutant son interlocuteur en se dandinant d'un pied sur l'autre. Par moment il approuvait " très bien, très bien " puis, d'une voix obséquieuse il s'épandit en remerciements. Des mots : soutien, action déterminante, Matignon, intérêt supérieur, dégoulinaient de sa bouche pour le plus grand plaisir de mes deux voisins qui se rengorgeaient. Quand il reposa le combiné sur son socle, se tournant vers nous, il rayonnait. " Nous sommes couverts. L'opération double chevron peut commencer..."      

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