Détrompez-vous, chers lecteurs, non je ne pense pas qu'à ça du matin au soir et du soir au matin. Je ne suis pas accro, ne fait parti d'aucune chapelle, d'aucun cénacle, d'aucun cercle d'initiés. Bien sûr, j'ai souvent été intronisé mais ça n'a jamais été pour mes compétences mais tout bêtement parce qu'on ne pouvait l'éviter. Ce qui me frappe toujours, lorsque je noue des liens avec des gens qui ignorent mon fond de commerce, c'est que, dès que je leur en fait part, 9 fois sur 10, ils se croient obligés de glisser dans la conversation : moi, je ne suis pas un spécialiste mais... Ils s'excusent, comme s'ils étaient honteux de leur inculture. Entrer chez un caviste, oser lui faire part d'une certaine forme d'ignorance, provoque chez beaucoup une réaction simple : ils s'abtiennent ou bien ils se rabattent sur l'anonymat de la muraille des grandes surfaces. Là, au moins, on ne leur prend pas la tête, en revanche ils sont paumés, désemparés. Nos amis les libraires, eux aussi en bute à la fois à la concurrence des grandes surfaces, de la télévision, ont remarquablement réagi. Tout d'abord, eux, ils ne pratiquent aucun ostracisme : Marc Levy est sur les présentoirs tout comme Baudrillard ou Modiano. On trouve chez eux des polars, des livres politiques, de la littérature étrangère, des livres de poche... Beaucoup, donnent leurs coups de coeur, avec ou sans petite fiche explicative, mais sans jamais vouloir peser sur le choix de leurs clients. Bref, on entre chez eux le coeur léger et on en ressort avec sa moisson de livres.
Sur mon petit espace de liberté je m'essaie à cette diversité, alternant légèreté et sujets plus sérieux. J'ouvre les fenêtres. Je cherche à attirer vers notre beau secteur ceux qui ne le connaissent pas. Le monde du vin est atteint du même syndrome que celui de la politique : il ne pense qu'à ça. Polarisé. Comme si le monde était en orbite autour de lui. Un tel enfermement provoque, bien évidemment, un sentiment de citadelle assiégée. Bien sûr, je ne nie pas, bien au contraire, la stratégie culpabilisatrice des hygiénistes et des "je vous barde de conseils", mais que diable le monde ne se réduit pas à notre hexagone plutôt tenté par le rétrécissement. Comme je l'ai écrit, le monde est plat : les nouveaux canaux de communication, dont celui où vous êtes en ce moment, peuvent nous permettre d'irriguer n'importe quel point du monde. Convaincre. Séduire. Montrer que la France est encore le pays de l'art de vivre, du bien manger et du bien boire. Alors ce n'est pas avec des mines sérieuses et chiantes de "je vais vous faire la leçon" ou des gémissements que nous allons y parvenir. Dans ces nouveaux tuyaus il nous faut mettre des contenus, des contenus adaptés à ces néophytes, ces nouveaux entrants. Cesser de penser que le Monde pense comme nous. Que nous sommes le nombril du monde. Nous renouveler. Notre patrimoine ne demande pas qu'à être défendu, entretenu, il faut de nouveau créer de l'imaginaire. Avec nos confréries, nos bannières, nos banquets ennuyeux, nous ne séduisons que nos adeptes, les convaincus, des vieux (un jour faites la moyenne d'âge d'un chapitre et vous serez édifiés). La nouvelle génération, d'ici et d'ailleurs, demande de la fête, de l'anti-stress. A nous la faire fête avec eux. Entendez-moi bien, je ne suis pas en train d'écrire qu'il faille renoncer à nos us et coutumes, bien au contraire, ce que je souhaite c'est que nous dépoussiérions ce folklore, que nous pensions au renouvellement de nos consommateurs ici et ailleurs.
Donc en bon petit soldat, cet été, je me suis essayé pendant ces mois où beaucoup font relâche, lèvent le pied, à élargir le champ de mes sujets. Le résultat est probant : au travers de mon kit d'administration je constate l'élargissement de mon lectorat. Des nouveaux venus passent, butinent sur les 620 chroniques, reviennent pour certains. En revanche, mais là ce n'est qu'une impression car je n'ai pas de statistiques, les purs et durs du vin ne goûtent pas forcément ces nouveaux sujets. Je peux le comprendre car mes centres d'intérêts ne sont pas forcément du goût de certains. L'avantage de l'internet, hormis l'encombrement de sa boîte e-mail (inconvénient facile à éviter en s'ouvrant gratuitement une boite hotmail.com ou fr ou yahoo pour réceptionner ma littérature) c'est la facilité de stockage, c'est la liberté de consulter ou non, d'imprimer ou non, de jeter à la corbeille, d'aller sur le site et de faire son marché en fonction de son temps et de ses envies. Pour ma part, si je continue d'occuper cet espace, en dehors de flatter un ego surdimensionné, c'est que j'estime que c'est une terre vierge qu'il faut investir. J'investis donc. Je suis têtu et patient. Au cours des mois qui viennent j'élargirai encore mon champ d'investigation pour toucher plus encore de gens hors de notre petit monde. Certes le temps est incompressible - bien que la physique quantique montre le contraire -, mais il existe une constante, vérifiée par l'expérience, celle qui fait la différence dans la vie, c'est que plus on est occupé plus on a du temps. Il suffit de le prendre. Un Antoine Riboud, grand stratège et homme de détails, était de ceux-là