Cette chronique expose l'analyse d'une politologue américaine du MIT, Suzanne Berger, dont j'ai extrait des arguments dans la conférence annuelle qu'elle a délivrée devant l'Ecole doctorale de sciences politiques, à Paris, le 29 janvier 2007 (avant le dénouement de l'échéance présidentielle, c'est important). Le titre de ma chronique est celui donné dans le journal Le Monde par l'auteur. L'acuité d'un regard extérieur sur la situation réelle ou phantasmée de notre pays me semble intéressant pour mieux identifier notre potentiel (que l'auteur qualifie de fort) et les ressorts pour sortir de cette crise larvée.
Bien évidemment, je pense que cette analyse colle bien à la situation qui prévaut depuis quelques années dans le secteur du vin. Notre potentiel est immense, nous avions sur la table l'ensemble des éléments pour faire des choix clairs et porteur d'une nouvelle dynamique et nous nous sommes rétractés sur nos oppositions traditionnelles pour mieux nous ressouder dans un front commun anti-réforme de l'OCM vin, donnant ainsi à la Commissaire et à ses services l'occasion de démanteler, sans contreparties, l'ensemble du dispositif (voir ma chronique : madame la Commissaire du 8 août) Le non choix est une forme de choix par omission : on s'en remet en fait à d'autres pour les faire à notre place, quite à pousser des cris d'orfraies face aux conséquences de ces choix. Si vous êtes sortis de la torpeur de vos vacances vous pouvez utiliser Vin&Cie, qui est un espace de liberté, pour exposer vos idées, arguments ou vos questions.
" J'ai découvert la France en 1957. C'était un pays figé socialement et politiquement. A la question " Les gens comme vous peuvent-ils avoir une influence sur les destinées de la France ou au contraire avez-vous le sentiment d'être entièrement à la merci des évènements ? ", 60% des personnes interrogées répondaient : aucune influence. Cela sentait si fort la fin de régime que même un étranger pouvait s'en rendre compte. Je suis frappée par les similitudes entre l'atmosphère politique d'alors et celle de la France d'aujourd'hui {...}
" Nous avons tendance à privilégier les forces qui reproduisent le statu quo. Comme nous sommes obsédés par la stabilité, nous pensons que seuls de violents chocs extérieurs peuvent changer le système. Le problème est que nos critères ne nous permettent pas de comprendre que l'équilibre social est une donnée temporaire et potentiellement fragile, qui repose sur un compromis entre des acteurs concurrents et les presions qu'ils reçoivent. ll devient difficile d'identifier dans les tensions en présence la faille qui pourrait dégénérer en rupture {...}
" Ce que je soutiens, c'est que la société française d'aujourd'hui n'est pas un système unitaire totalement encadré, mais un monde de pressions contradictoires, de tensions, de forces et de faiblesses, d'attentes concurrentes, de désir de statu quo chez les personnes qui aspirent par ailleurs au changement. C'est une situation de conflit qui traverse les groupes et exige de chacun qu'il choisisse entre des idées complexes de générosité et d'égoïsme, le désir de changement et la peur d'en souffrir, la loyauté et l'engagement, le cynisme et la désertion {...}
" Prenons par exemple, le rapport entre innovation industrielle, science et éducation. Il suffit d'imaginer ce que la France aurait à gagner en accueillant mieux les étrangers qui souhaitent y enseigner * ou y créer des entreprises. En mentionnant les universités, je pense bien sûr à celle d'où je viens, le MIT. Sa capacité à maintenir et à renouveler ses forces reflète sa forte dotation en professeurs internationaux de haut niveau : à peu près un tiers des professeurs du MIT sont nés en dehors des Etats-Unis {...}
" Selon moi, la France d'aujourd'hui est une société dotée de la plupart des ressources - matérielles, psychologiques, intellectuelles, morales - nécessaires pour lui permettre de résoudre par elle-même ses problèmes les plus graves. Les Français se doutent bien que l'impasse actuelle ne peut pas durer. Selon moi, ils sont partagés entre les désirs de changement et les désirs de sécurité, face à un nouveau monde, lointain, qui ne figure pas sur leurs cartes anciennes {...} "
* dans une prochaine chronique je vous narrerai mon expérience de professeur-associé à mi-temps de l'Université pour une durée de 3 ans. Le corps professoral en place n'aime pas ce type de concurrence d'éléments extérieurs à la communauté scientifique statutaire...