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10 octobre 2022 1 10 /10 /octobre /2022 06:00

Le Déjeuner sur l'herbe (Monet, Paris)

Cette page de Mathias qu’il m’avait glissée dans la poche avec autant d’hypocrisie, je te la confie.

Elle est presque parfaite.

Il parlait si bien notre langue. Il aimait dire :

- Chez nous, nous parlons le français depuis quatre  siècles.

 

« Melchior, il faut que tu comprennes.

Nous étions tristes tous les deux quand nous avions fait l’amour.

Nous avions une aigreur au cœur et nous en voulions à la société toute entière de ne pas être en conformité avec nos désirs.

Nous nous en voulons mutuellement de n’être pas conformes à ce qu’exige cette société.

Melchior, nous étions heureux c’est certain, mais amers.

Te souviens-tu des silences qui suivaient notre extase ?

Te souviens-tu des regards voilés que nous posions l’un sur l’autre, cette tendresse coupable qui suivait nos étreintes.

Te souviens-tu de mon angoisse lorsque je cherchais en toi une assurance, un réconfort ?

Lorsque je te disais, Melchior on s’aime…

On s’aime mais on n’est pas pédé, n’est-ce pas ?

Et toi tu me répondais avec ta douceur qui me faisait fondre, toi, tu me répondais : non, Mathias on n’est pas pédé.

On est seulement des victimes, des victimes de la guerre et de l’amour.

Parce que cet amour qui est en nous, il faut lui donner une existence, il faut qu’il s’exprime.

 

Nous ne sommes simplement que des hommes qui partagent un même amour.

 

Voilà, Melchior, si tout cela était vrai, tu vas comprendre qu’avec Marie tout était différent.

Sans inhibition, sans tabou.

Simplement comme un jeu chaque fois différent, chaque fois inattendu et qui trouverait son accomplissement dans les moments les plus indus, dans les lieux les plus inattendus.

Melchior, nous avons ri avec Marie, nous avons pris des fous rires après l’amour.

Marie me regardait, les yeux plein de larmes et de bonheur, la bouche ruisselante de son rire et dans un fou rire commun nous déversions tout ce que l’amour n’avait pas encore libéré en nous.

 

Melchior il ne faut pas m’en vouloir, il ne faut pas en vouloir à Marie.

Ce qui existe entre elle et moi est si différent de cet amour qui nous a liés.

 

 

 

 

                                  //////////

 

 

 

 

Quant au colis d’adieu pour Marie, je l’ai déplié avec une certaine amertume.

Je croyais à un livre. En plus du carton il y avait quatre épaisseurs de papier autour de l’objet.

Enfin je déroulais lentement les derniers replis.

C’était un petit châssis sur lequel était tendue une toile.

Une huile bien peinte, un peu vite peut-être.

Un mot me vint immédiatement à l’esprit : érotique.

Et cependant, elle ne représentait que deux grenades et une banane pelée au tiers avec la peau retroussée.

L’agencement des trois fruits sur la toile ne pouvait laisser aucun doute sur l’esprit dans lequel ils avaient été peints.

Il y avait un envoi en bas à gauche :

« Pour Zac, pris au panier du déjeuner sur l’herbe, Manet. »

Mes mains s’étaient mises à trembler.

Ce pouvait-il vraiment que ce tableautin soit de Manet ?

Il s’est avéré qu’il est reconnu aujourd’hui comme tel, à l’instar de l’asperge d’Ephrussi, des violettes de Morisot et des pommes de Méry Laurent.

C’est vraiment le petit format 16 par 21, mais en lui-même et pour ce qu’il représente à mes yeux, c’est plus l’atelier de Courbet.

Il faut aujourd’hui que je te dise qu’il n’a pas quitté mon atelier.

Il est toujours accroché au mur au-dessus de la porte, là où personne ne le regarde.

Je l’avais dissimulé sous une de mes aquarelles du Mont Granier que j’ai sagement marouflé dessus.

Un chiffon humide te permettra de le dégager de sa gangue.

 

C’est le seul cadeau que t’aura fait ton père.

Fais-en bon usage si je puis dire.

Et si sa valeur sentimentale pour toi s’avère plus forte que sa valeur vénale, garde le bien en souvenir de ces heures de bonheur et de drame, d’amour et de haine qui ont précédé ta naissance.

 

 

 

 

                                    //////////

 

 

 

De tout départ il y a aussi celui qui reste, le sédentaire.

Celui qui est venu un jour, qui est resté un certain temps et puis qui est parti.

Alors lorsqu’errant à nouveau vers toi, il fait étape parfois sans prévenir, dans ta maison qu’il prend un peu comme l sienne, tu ressens l’ivresse des retours.

Et lorsque ton regard saisit à nouveau son regard, lorsque tes yeux se fixent à nouveau sur ses yeux, il y a une profonde connivence qui traduit toute l’amitié, les non-dits, les semaines de silence.

Le retour.

Faire du retour l’instant unique qui brise le silence et efface l’absence.

Faire du retour la continuité comme ininterrompue de la rencontre et dans la parole ou dans le silence, faire du retour l’éternité du moment fugitif.

Mais aussi, savoir faire de chaque au-revoir un adieu.

Savoir dans la main qui se tend, dans les mains qui se serrent, faire passer l’intensité de l’adieu. Dans les regards qui se croisent, saisir l’étincelle qui te révèle soudain la vulnérabilité de l’homme, la fragilité de son être et combien court est le temps qui lui est imparti par rapport à l’éternité.

 

Pour quel voyage nous quittes-tu ?

Laisse passer dans ton regard cette angoissante question qui dit à la fois adieu, à jamais…

Moi aussi à demain.

Ma maison est ta maison sur le chemin plein d’embûches et bien que temps et distance vont nous séparer, je te le dis, elle reste l’étape de ta route, le phare immuable sur lequel peut s’appuyer ta quête.

Voilà Martha, ce que j’aurais souhaité dire à Mathias le jour de son  départ mais la situation ne se prêtait plus à un tel déferlement de générosité.

 

 

 

 

                                         //////////

 

 

 

 

 

Ce qu’il faut que tu comprennes, Martha, maintenant que tu sais, c’est que Mathias est ton père.

J’ai fait tout mon possible pour être ce père, cependant dans tout l’amour que je t’ai donné, je dois t’avouer qu’il y avait aussi, une grande part de cet amour qui me restait pour lui.

Car, si je suis resté veuf de ta mère pour son souvenir et pour toi, pour que rien n’entache ta jeunesse, je suis avant tout resté le solitaire qui tentait de tromper sa douleur d’un amour perdu en nourrissant en lieu et place l’amour d’un autre pour son enfant.

 

Elle était belle Marie. Si belle que n’importe quel homme en serait tombé amoureux.

Et moi-même je crois que j’ai d’abord nourri un sentiment pour elle où se mêlaient  la sympathie pour une cousine mais aussi cet amour auquel je ne pouvais aspirer à cause de mon handicap.

Son sourire était franc et il me disait oui, avant que tout arrive.

Il me disait on est bien tous les deux quand on parle des heures sans s’ennuyer, quand on rit et que les larmes nous coilent sur les joues.

Oui on était déjà bien tous les deux avant que tout arrive, avant que Mathias arrive, avant que cet amour nous agrippe le cœur chacun à sa manière.

Mais en fait, n’est-il pas qu’une manière d’aimer, une unique manière.

Tout le reste est foutaise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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