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12 août 2022 5 12 /08 /août /2022 06:00

Face à Gaïa - Bruno Latour - Éditions La Découverte

Le britannique James Lovelock est mort mardi à l’âge de 103 ans. En 2018, le philosophe Bruno Latour s’était rendu dans le Devon afin de rencontrer ce savant à l’origine de l’un des concepts écologistes les plus féconds de ces dernières années. Il en avait tiré ce récit que nous republions avec tristesse.

 

James Lovelock à Paris en 2009. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

James Lovelock à Paris en 2009. (JACQUES DEMARTHON / AFP

 

C’est le temps des vacances, de l’indolence, alors pour vous tirer de votre somnolence postprandiale je vous propose du Latour, pas du Louis-Fabrice, du Bruno, le philosophe.

 

Stephan Harding m’avait dit : « Au moindre rhume, on sera obligé d’annuler ; il a eu une bronchite il n’y a pas longtemps ; on ne doit prendre aucun risque. » Comme, malgré le froid polaire qui tombait sur l’Angleterre en février, je n’avais pas la moindre toux, nous avons décidé d’y aller. Par précaution, toutefois, nous nous sommes lavés soigneusement les mains plusieurs fois avec un savon antiseptique. Et nous voilà partis pour la côte du Dorset, dans le sud de l’Angleterre, sur la route de la Cornouailles.

 

James Lovelock est un très vieux monsieur de 98 ans. C’est un penseur aussi important que peu académique, qui fut le premier à théoriser ce que l’on appelle, dans les milieux de l’écologie et des sciences de la Terre, l’hypothèse « Gaïa », que l’on peut résumer provisoirement ainsi à ce stade de mon enquête : la Terre est un ensemble d’êtres vivants et de matière qui se sont fabriqués ensemble, qui ne peuvent vivre séparément et dont l’homme ne saurait s’extraire. Je n’avais jamais prévu de rencontrer le père de Gaïa. J’avais lu tous ses livres, mais ses interventions récentes dans la presse, ses opinions politiques assez loufoques, son amour exagéré pour l’industrie nucléaire, tout cela ne m’attirait pas particulièrement, d’autant que je n’ai jamais eu l’obsession de visiter les lieux où les auteurs que j’aime ont écrit leurs livres.

 

Mais Harding, son ami et disciple, m’avait assuré que Lovelock souhaitait me rencontrer. Il se demandait pourquoi un philosophe français pouvait s’intéresser à la théorie Gaïa au point de lui consacrer un livre [Bruno Latour a publié en 2015 « Face à Gaïa » aux Editions La Découverte, N.D.L.R.]. Et comme j’ai la conviction que la proposition théorique de Lovelock a la même importance dans l’histoire de la connaissance humaine que celle de Galilée, il s’amusait apparemment que j’aille jusqu’à le comparer à cet astronome admiré et inventeur disputé, parce qu’il avait compris avant les autres que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse.

 

En roulant sur les petites routes du Dorset avant de parvenir à une maison posée en plein vent au bord de la mer, au bout d’une piste couverte de galets déposés par les vagues, je ne pouvais cacher mon inquiétude à l’idée de déranger un homme de 98 ans. Que pouvais-je lui dire qui l’intéresserait ? Que pouvait-il me dire qu’il n’aurait pas raconté des dizaines de fois aux journalistes qui cherchaient régulièrement à alimenter sa réputation d’homme à scandale ? N’avait-il pas récemment traumatisé une journaliste du « Guardian », en lui expliquant que l’humanité n’en avait plus que pour cent ans avant que les robots ne prennent le pouvoir ? Comme j’allais l’apprendre bientôt, ce n’est pas lui qui se fatiguerait, mais c’est moi qui, épuisé par cinq heures de discussion scientifique, me résignerais à quitter la délicieuse hospitalité de « Jim » et de son épouse, Sandy.

 

En regardant, à travers la fenêtre de la salle à manger où nous partagions un repas léger, la tempête de neige qui s’avançait sur la mer en couvrant de nuées sombres le soleil qui se couchait, j’essayais de comprendre le paradoxe de ce vieil homme pugnace à la voix encore fraîche qui avait introduit en histoire des sciences une nouveauté décisive objet de tant de malentendus. En remontant dans la voiture de Stephan, je me demandais si c’était moi qui avais exagéré l’importance de Gaïa, ou si je me trouvais en effet comme quelqu’un qui aurait eu la chance, dans les années 1620, de rencontrer le sieur Galileo Galilei avant que ses idées ne deviennent le sens commun d’une civilisation encore à venir.

 

Un malentendu fondamental la suite ICI 

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