Les cahiers de devoir de vacances existent encore pour la marmaille, ils devraient être imposés aux élus de la NUPES pendant le temps où ils ne vont pas siéger sur les bancs de l’AN. Le sujet à l’ordre du jour : L’EMPLOI.
Comment, pour certaines tâches difficiles et peu attractives, comment trouver de la main d’œuvre adaptée ?
Bien sûr, la réponse risque d’être, dans la bouche de Sandrine Rousseau et comparses : « y’a qu’à les payer mieux et le tour sera joué ! »
Si c’était aussi simple que pondre des amendements, de twitter à tour de bras, de déverser jusqu’à plus soif des « éléments de langage » prémâchés, ça se saurait.
Je les invite à lire ce reportage du Monde pour éclairer leur lanterne qu’ils estiment être le phare du Monde des travailleurs.
SOCIÉTÉ IMMIGRATION ET DIVERSITÉ
A Figari, en Corse, les ouvriers marocains font vivre la vigne
Par Julia Pascual (Figari (Corse-du-Sud), envoyée spéciale)
REPORTAGE
Depuis de nombreuses années, les vignerons corses, confrontés au manque de main-d’œuvre locale, font venir des travailleurs saisonniers du Maroc.
Jean-Baptiste de Peretti se lève tôt. Et le jour, peu avant lui. Au volant de son pick-up, l’esprit encore cotonneux, il descend le long de son vignoble, qui s’étend sur 15 hectares vallonnés. En piémont de la splendide chaîne montagneuse de l’Omu di Cagna, en Corse-du-Sud, il détaille les vignes qu’il a commencé à planter en 2013 et qu’agite un timide vent venu de la mer.
Entre les rangées des plus jeunes ceps, le vigneron de 52 ans salue ses deux ouvriers agricoles marocains, Abdou et Morad (ils ont requis l’anonymat). Depuis 6 heures, les deux hommes s’affairent à installer un système de goutte à goutte qui viendra rafraîchir la vigne naissante. Il n’a pas plu depuis trois mois à Figari. Chemin faisant, Abdou et Morad se courbent pour fixer les tuteurs des pieds encore frêles, d’un geste répétitif. Enfin, ils arrachent à la main les rares mauvaises herbes qui s’accrochent encore à la terre granitique tout juste labourée. Dans peu de temps, il fera plus de 30 °C sous le soleil.
Un « métier difficile », concède Jean-Baptiste de Peretti. Sûrement l’une des raisons pour lesquelles le domaine a du mal à recruter des saisonniers. Ici comme ailleurs, la main-d’œuvre se fait rare alors, comme d’autres avant lui, M. de Peretti s’est tourné vers le Maroc pour embaucher.
Tradition familiale
En 2022, un nombre croissant d’employeurs ont fait venir des saisonniers de l’étranger. Ainsi, la direction générale des étrangers en France (DGEF) a déjà délivré 22 000 autorisations de travail saisonnier, deux fois plus qu’en 2021. Une croissance qui s’explique par « la levée des contraintes sanitaires et par des tensions accrues sur le marché du travail », avance la DGEF.
M. de Peretti s’est rendu dans la région viticole de Meknès en janvier 2019. Il voulait choisir sur place des saisonniers ayant « une vraie connaissance de la vigne » pour son exploitation labellisée AOC et en conversion bio. Là-bas, il a croisé une dizaine d’ouvriers, et parmi eux, Morad. Le patron corse a demandé au Marocain de faire une marche arrière en tracteur et l’affaire était conclue.
Après trois saisons, Morad, 38 ans, a signé un CDI à temps plein au domaine de Peretti della Rocca. « C’est quelqu’un de très important pour moi », insiste le vigneron. « Jean-Baptiste, c’est comme la famille », lui retourne l’ouvrier. Maintenant qu’il est à l’année en Corse, Morad aimerait faire venir sa femme et ses quatre enfants. Pour cet homme, la migration s’inscrit dans une tradition familiale. Issu d’une fratrie de quatorze enfants, il compte un frère ouvrier agricole comme lui, en Haute-Corse, deux frères mécanicien et chauffeur de poids lourds sur le continent, un autre frère dans le bâtiment en Espagne et un autre encore qui exerce comme coiffeur aux Pays-Bas. Deux frères qui font les saisons agricoles en Corse complètent cette diaspora.
Son collègue Abdou, 45 ans, a décroché son premier contrat saisonnier grâce à l’entremise de son frère, Tareq, installé sur l’île depuis 2008. Leur père avait avant eux travaillé cinquante ans dans la vigne en France. « Il n’y a que des Marocains qui font [ce travail]. C’est dur », explique Abdou, qui effectue sa deuxième saison d’affilée au domaine de Peretti della Rocca. Ici, les ouvriers sont logés et gagnent 1 500 euros net par mois, contre environ 300 euros au Maroc pour le même travail.
Tensions diplomatiques
Si les Corses, en revanche, ne se bousculent pas, « c’est sûrement une question de salaire », veut croire M. de Peretti, qui évoque tour à tour l’augmentation du prix de l’essence, des taux bancaires et la cherté des loyers dans la région. Mais lui ne peut pas offrir davantage, « ou alors il faut baisser les charges », suggère-t-il.
Le vigneron souligne aussi le besoin d’organiser des formations professionnelles de qualité sur l’île, « pas des voies de garage », alors qu’il regarde, fataliste, tous les jeunes bacheliers partir « faire du droit à Corte pour devenir avocats ».
L’an prochain, M. de Peretti aurait besoin de trois saisonniers et il s’inquiète déjà de ne pas les trouver. Un frère de Morad devait venir cette année en renfort, mais, en dépit de l’autorisation de travail qu’il avait obtenue, le visa lui a été refusé en avril par le consulat de France au Maroc. « On n’a vraiment pas compris », lâche, dépité, M. de Peretti, qui s’est laissé dire que des tensions diplomatiques entre Paris et Rabat expliqueraient ce tour de vis. En septembre 2021, le gouvernement avait annoncé réduire drastiquement le nombre de visas accordés aux ressortissants du Maghreb, une mesure de rétorsion face au peu de diligence de ces pays à faciliter l’expulsion de leurs nationaux en situation irrégulière.
Cette année-là, M. de Peretti s’en souvient. Il avait dû monter au créneau pour débloquer les choses. « Le préfet nous avait refusé la main-d’œuvre étrangère et il y avait eu du gel dans les vignes, rapporte-t-il. J’étais allé voir la directrice de l’agriculture et je lui avais dit : “Vous voulez qu’on se pende ?” Le préfet était finalement revenu sur sa décision. Il s’était déplacé sur l’exploitation et m’avait demandé pourquoi je n’allais pas à Pôle emploi. Mais on n’a jamais personne par le biais de Pôle emploi ! »
« Surenchère »
Même pour faire tourner la maison d’hôtes qu’il a lancée en 2020, M. de Peretti a dû recruter en dehors de l’île. Une Argentine et un Sénégalais font notamment le ménage des chambres de juin à octobre. Et il peut faire appel à des prestataires portugais en cas de besoin supplémentaire. Le patron peste contre les propriétaires de grosses villas à Porto-Vecchio qui font de la « surenchère en payant des femmes de ménage 25 euros de l’heure au noir ». Ou contre Pôle emploi, encore, qui est devenu à son sens « une pension ». « Les gens ne veulent plus travailler », finit par croire le vigneron.
Il se demande s’il ne va pas investir dans une machine à vendanger, même si le résultat sera moins qualitatif. C’est déjà le choix qu’a fait Jean Curallucci, un autre vigneron de Figari, âgé de 64 ans et qui a racheté dans les années 1990 avec son cousin le domaine de 50 hectares de Petra Bianca. Les contrats de saisonniers étrangers, il y a toujours eu recours dès qu’il n’a plus suffi de descendre au petit matin sur la place de Porto-Vecchio pour trouver des ouvriers. Ses travailleurs sont marocains, mais aussi polonais et italiens. Et certains se succèdent de père en fils. M. Curallucci en a un besoin essentiel pour la taille de son vignoble en conduite bio. Mais pour gagner en « indépendance », il essaye de « mécaniser au maximum » sa production. « Ça coûte cher, mais c’est le prix à payer », concède-t-il. Le matin où nous le rencontrons, son fils est justement parti dans une concession de matériel agricole découvrir un tout nouveau robot viticole.
Julia Pascual
Figari (Corse-du-Sud), envoyée spéciale