Démonstration que sur Twitter il peut s’écrire autre chose que des horions, en 10 messages @pierrehaski explique simplement une page d’Histoire qui permet de mieux comprendre l’imbroglio de Taïwan.
MERCI PIERRE HASKI !
Un détail dans cette photo de Nancy Pelosi et de la Présidente taiwanaise Tsai Ing-wen : le portrait derrière les deux femmes résume toute la complexité et l’ambiguïté de la situation. C’est celui de Sun Yat-sen, le père de la République en Chine, mais qui n’a jamais mis les pieds dans l’île de Taïwan. Et pour cause, Taïwan est devenue japonaise, sous l’empire des Qing, lorsque Sun Yat-sen (photo) n’avait que 24 ans, et l’était toujours à sa mort, en 1925.
Pourquoi ce portrait à la présidence à Taipei alors ?
C’est toute la subtile complexité historique de cet imbroglio. Taïwan est la continuation de la République de Chine (ROC selon son acronyme anglais), fondée à Pékin en 1912 sur les décombres de l’empire. Sun Yat-sen en fut le premier président.
En 1949, à l’issue de la guerre civile, Mao Zedong proclama la naissance (photo) de la République populaire de Chine (RPC), tandis que Chiang Kai-chek, le dirigeant de la ROC, s’enfuyait à Taïwan avec l’espoir de reconquérir le continent.
Malgré cette opposition idéologique et militaire, aussi bien Pékin que Taipei honorent la mémoire de Sun Yat-sen, un rare trait d’union entre le continent et l’île.
Mais la présence du portrait de Sun constitue aujourd’hui une présence paradoxale à Taipei où l’on cultive une identité « taiwanaise » distincte de l’identité « chinoise », pour résister aux pressions de Pékin en faveur de la réunification.
C’est l’héritage du Kuomintang de Chiang Kai-chek (photo) qui a imposé sa dictature à Taïwan pendant deux décennies, tandis que son rêve de reconquête de la Chine s’évaporait…
Les Taïwanais d’aujourd’hui se sont construits contre cette histoire, à partir de leur lutte pour la démocratie, qui en fait aujourd’hui un pays véritablement démocratique, pratiquant l’alternance, sans prisonniers politiques, la liberté de conscience, et une société libre et ouverte. Sun Yat-sen et tout ce qui rattache Taïwan à son passé chinois est loin et refoulé, ce qui agace considérablement la Chine !
De nombreux Taiwanais, parmi les partisans du parti de la Presidente Tsai, aimeraient bien se débarrasser de cet encombrant symbole, même si le personnage de Sun Yat-sen est infiniment plus sympathique que son successeur, le sinistre Chiang Kai-chek. Mais ce « wokisme » taiwanais fournirait à Pékin le prétexte d’un procès en « Indépendance » qui vaut casus belli pour les dirigeants chinois.
Voilà pourquoi cette cérémonie de défi entre la Présidente de Taïwan et la Speaker de la Chambre des Représentants des Etats-Unis s’est déroulée sous le regard de l’homme qui incarne paradoxalement un lien historique, politique et culturel avec une « mère patrie » dont les Taiwanais ne veulent plus.