Ma sainte et héroïque mère, utilisait souvent à l’adresse de ses amies, pour souligner le soin qu’elle prenait à m’éduquer : ce mot – qui n’est pas un mot valise – « bagage », elle constituait mon bagage, la somme de tout ce qui me permettrait de réussir ma vie.
Dans ce lourd bagage, hormis les fondamentaux scolaires : orthographe (le zéro faute aux dictées), lire, compter, écrire à la plume Sergent Major ; ceux de la civilité : s’exprimer correctement, être poli, avoir de la tenue ; s’ajoutait l’éducation religieuse de stricte obédience.
L’Église catholique romaine, en dépit de la séparation de l’Église et de l’État, gardait encore la haute-main sur les deux volets de l’éducation via « l’école libre » et le catéchisme.
Mon statut d’enfant de chœur me permettait de jouir d’une immunité dont je profitais largement : « on me donnait le bon Dieu sans confession », pourtant il faut toujours se méfier de « l’eau qui dort ».
Au Bourg-Pailler, la tante Valentine, veuve de guerre, sœur de la mémé Marie, lectrice du Pèlerin sans lunettes, tenait lieu de gardienne des pratiques religieuses, de plus sa pension lui permettait de voyager, elle adorait les pèlerinages, Lourdes tout particulièrement.
L’un de ses pèlerinages favoris se tenait à quelques 50 kilomètres de La Mothe-Achard, celui du sanctuaire de la Salette, sis à La Rabatelière, commune située au nord de La Roche sur Yon, il se déroulait chaque premier dimanche de septembre et nous nous y rendions dans un car affrété par les grenouilles de bénitier de la contrée. J’étais le seul gamin du car, ce qui me valait de recevoir des brassées de compliments sur mon goût pour les dévotions.
« Les dévotions mon cul ! » comme l’aurait dit Zazie, j’adorais aller au pèlerinage de La Salette pour le pique-nique, tout particulièrement les œufs durs.
Lorsque je partis, pour la seule fois de ma vie, en colonie de vacances avec les enfants de marins de l’Ile d’Yeu (le curé-doyen Bailly avait officié sur l’île), à Saint Jean de Maurienne, nous fîmes une excursion à La Salette en Isère, où, en 1846, la Vierge Marie serait apparue à deux jeunes enfants : Mélanie Calvat et Maximin Giraud. Le temps était caniculaire, les fayots fermentèrent, nous constellâmes le col de la Croix de Fer de nos effluents odoriférants. De retour au bercail familial je me gardai bien d’en faire état, pour la tante Valentine j’avais approché son Graal pèlerinesque, elle n’alla jamais à la vraie Salette.
Tout ça pour que vous informer sur le pourquoi de cette étrange institution vendéenne : un sanctuaire de « carton-pâte » à La Rabatelière.
En Vendée, le sanctuaire de la Salette, 135 ans d’histoires et de folies monumentales ICI
En 1887, le triptyque monumental rouge et gris sortait de terre grâce aux paroissiens de La Rabatelière, en Vendée. Aujourd’hui, le sanctuaire de la Salette est un lieu de pèlerinage religieux et culturel, unique en son genre.
Ouest-France Margaux HUCHON.
Publié le 03/08/2022
En contrebas de La Rabatelière (Vendée), à deux pas du ruisseau de l’Anguiller, affluent de la Petite-Maine, les monuments ont des allures de forteresses andalouses, aux lignes nettes. Au sommet d’une pente abrupte : un donjon, des tourelles, de faux mâchicoulis en briques rouges, presque comme un château fort. Les visiteurs les plus prudents diront « baroque » , pour qualifier l’architecture de ce sanctuaire de la Salette, habillé de pins et de quelques yuccas. « Les enfants, en revanche, me disent qu’on dirait Disneyland », rit Michel Cossard, guide bénévole du sanctuaire. Le pape Jean XXIII l’avait surnommé Notre-Dame des briques.
Depuis sa création en 1887, la Salette cristallise interrogations et émerveillements. Comment l’abbé Hillairet a-t-il fait construire de tels monuments et pourquoi à La Rabatellière ? Toujours est-il que le traditionnel pèlerinage, chaque premier dimanche de septembre, se maintient. Ils étaient 15 000 fidèles au XIXe siècle, et environ 600 aujourd’hui.
Dans le sanctuaire, Michel Cossard déambule régulièrement. Il est l’un de ses guides et a été aussi maire de La Rabatelière, de 1995 à 2008. Une commune d’un peu plus de 900 habitants. L’homme de 80 ans aime raconter l’époque des premiers pèlerinages, du temps de l’abbé Hillairet : « il y avait des commerces ambulants sur 3 km, jusqu’au château de La Rabatelière. C’était la fête ! Les gens n’avaient pas de voitures, alors ils laissaient leurs chevaux dans le bourg, près des cafés, et descendaient en procession jusqu’à la Salette. »
Avec le temps, la prairie au bord du ruisseau a été appelée le « champ aux œufs durs, glisse Joël Cossais, habitant de la commune. Car les pèlerins venaient pique-niquer avec leurs œufs durs. » Une fois, les fidèles ont même cru au message divin, quand ils ont aperçu un essaim d’abeilles au sommet de la statue de la Vierge Marie.
Le sort n’aura pas été aussi glorieux pour le magasin de souvenirs et le café plantés en haut du sanctuaire. Cartes postales, chapelets, petites statuettes… « Ca tournait bien ! » Mais désormais, il ne reste que la façade noircie et le lampadaire du magasin, en souvenir. Le reste est parti en fumée, emportant ses deux propriétaires. La maisonnette, dont il ne reste que quelques briques, existait bien avant la construction de la Salette, selon l’ancien maire. Michel Cossard pense même que « l’abbé Hillairet s’est inspiré de l’architecture de celle-ci pour le sanctuaire. »
De l’Isère à La Rabatelière, en Vendée
En 1997, deux ans après son élection, Michel Cossard et son équipe municipale ont décidé de racheter les 4 000 m2 du sanctuaire. Des négociations, « pas simples », se sont engagées avec les propriétaires de l’époque : la famille de La Poëze. « Mais finalement, on a réussi ! » se félicite-t-il encore aujourd’hui. La même année, il a fait entrer le complexe architectural aux Monuments historiques. Ce dernier a ensuite été remis aux mains du Département, en 2002.
« Les membres de la famille de La Poëze sont les ancêtres du comte, maire de La Rabatelière en 1887 quand le sanctuaire a été érigé sur ses terres par l’abbé Hillairet et ses paroissiens, détaille l’ancien édile. C’était un chemin de terre, avec des ajoncs et des moutons », appelé coteau de Bel-Air. Il est soutenu par de grosses pierres grises, encore visibles aujourd’hui devant le parking.
L’abbé Hillairet a posé ses valises dans la commune du comte de La Poëze le 9 mars 1873. Il ne la quittera pas avant sa mort, en 1908. Le religieux aimait déjà participer à des pèlerinages avec ses fidèles, bien avant la construction du sanctuaire. Dont l’un, notamment, à La Salette en Isère. Là-bas, en 1846, la Vierge Marie serait apparue à deux jeunes enfants : Mélanie Calvat et Maximin Giraud. Un phénomène de dévotion qui émeut au plus haut point l’abbé.
Il décide à son retour de créer son propre sanctuaire de la Salette, mais à La Rabatelière. « Il estimait que pour maintenir la dévotion de ses paroissiens, il lui fallait un monument semblable. En plus, ça évitait de se déplacer chaque année en Isère », explique Michel Cossard. Un moyen de garder ses fidèles près de lui et de lutter contre la politique anticléricale s’installant dans l’Hexagone à l’époque.
Il engage alors les habitants du village à la tâche, bénévolement. « Il leur invoquait la dévotion à Dieu… L’abbé les tenait un peu par les idées, il était rigoureux dans la religion. » 1 600 jours de travail et des centaines de charrettes pour rapporter les briques des briqueteries alentour, ainsi que le schiste. L’abbé Hillairet était aux commandes, « mais les plans de construction n’ont jamais été retrouvés… J’ai juste vu passer une sorte de dessin avec des formes géométriques mais c’est impossible d’avoir construit tout cela avec si peu de détails », s’interroge l’ancien maire. Alors comment dirigeait-il ces travaux ? Impossible de le savoir. En 1887, les trois scènes avec des statues représentant l’apparition à la Salette sont inaugurées. Puis, le Rosaire et la tour du Triomphe de la croix. Enfin, la chapelle à la croix de Jérusalem et le chemin de 14-croix. Les folies de l’abbé sont terminées.