Je déteste les commémorations, pis encore celles sur le ton des regrets, « si ça avait été lui, nous n’en serions pas là… »
Ça n’a pas été lui !
Pourquoi ?
Je ne sais, ou plus simplement je n’ai pas envie de le dire.
Bref, Michel Rocard, est mort le samedi 2 juillet 2016. C'est son fils Francis qui l'a annoncé à l'AFP. Il est décédé vers 18h30, à l'âge de 85 ans, à l'hôpital de la Salpêtrière à Paris, où il avait été admis quelques jours auparavant.
Dans l’ambiance étrange qui règne dans la nouvelle Assemblée Nationale, notre Vulcain découvre les joies d’une majorité relative doublée de mise en minorité de circonstances par des alliances de circonstances : NUPES/RN/LR, pour l’heure la censure a montré que le camarade Mélenchon est un bon communicant mais un piètre manœuvrier, des voix se sont élevées pour déplorer que la ligne social-démocrate de Michel fut jetée aux orties.
Alors, j’ai pris du champ, répondant à mes amis que Macron n’est pas l’héritier du Rocard militant, d’une fidélité au PS qui lui a fait rater la dernière marche.
Et puis, dans mes recherches pour écrire une chronique je suis tombé sur ça :
Jean-Marie Cavada : « Ce n'est pas parce que Rocard avait 86 ans qu'il était vieux ! »
L’interview date du 7 juillet 2016
Elle m’a plu, je vous la propose :
Qui était Michel Rocard pour vous ?
Jean-Marie Cavada : Il était un ami personnel de longue date. Attention, pas un ami social. C'était un de mes trois meilleurs amis. Je l'appelais souvent pour lui demander conseil : « Michel, qu'est-ce que tu penses de ça ? » J'ai perdu un grand frère, qui était aussi un maître à penser.
Comment l'avez-vous rencontré ?
En 1976, je faisais une émission sur Antenne 2 qui s'appelait C'est-à-dire. Michel était le grand témoin. À ce moment-là, le travail manuel faisait débat. Tout le monde en parlait : Giscard, le gouvernement... Je demande à Michel son opinion, et j'ouvre le rideau derrière lequel se trouvait un établi, avec une planche, une scie, une équerre et un crayon. Je lui demande alors de couper la planche en angle droit. Et son angle était parfaitement droit... J'apprendrais plus tard que lorsqu'il était jeune homme, son père, un grand scientifique, voulait qu'il fasse Polytechnique. Michel a tenu tête : il voulait faire Sciences Po. Son père lui a alors coupé les vivres. Et son premier boulot fut... ajusteur de métal au labo scientifique de Normale Sup'. Donc le travail manuel, il connaissait bien, il en faisait sur le fer ! Moi qui voulais le mettre en difficulté...
Ensuite, je l'ai vu plus régulièrement en tant que journaliste quand il est entré à Matignon. C'était un remarquable Premier ministre. J'ai été pris de sympathie pour lui quand j'ai commencé l'émission La Marche du siècle. Il a été le premier invité, sur le thème de l'urbanisme de demain. J'avais également organisé en 1992 un débat entre lui et Nicolas Sarkozy.
Mais on est devenus très amis seulement au début des années 2000. En 2004, on s'est retrouvés tous les deux au Parlement européen. À Bruxelles, on a passé de longues soirées à boire et à refaire le monde, avec deux œufs et quelques whiskys...
On a failli faire un livre tous les deux. Le thème était « Les médias destructeurs de la démocratie ». Cela ne s'est jamais fait.
Que représentait-il politiquement ?
Pour moi, Rocard incarne la social-démocratie dans ce qu'elle a d'apaisant. C'est une doctrine qui concilie la vivacité du capitalisme avec la nécessité de la répartition des richesses pour les salariés. C'est la doctrine parfaite pour le continent européen.
En 2007, je voulais un accord entre Bayrou et Michel. Nous avions eu un dîner dans les Yvelines. L'accord ne s'est pas fait, mais ce n'était pas la faute de Rocard. Si on avait fait le bon accord, on aurait transformé la social-démocratie.
Concrètement, comment le voyiez-vous dans l'exercice du pouvoir ?
Rocard mettait vraiment la main à la pâte. Il remontait ses manches et mettait les mains dans le cambouis pour négocier les évolutions nécessaires au pays. J'ai admiré sa volonté d'apaisement, et en même temps de changement et de dialogue.
Si François Mitterrand ne l'avait pas étouffé et empêché de devenir président, ce pays ne serait pas le même aujourd'hui. Il aurait transformé la France. François Mitterrand, accroché aux sondages, ne regardait que le présent. Il a empêché la France d'avoir un candidat réformateur qui aurait changé le pays. Je pense que Michel cherchait avec lui la référence paternelle. Et Mitterrand l'a senti, en a abusé pour le clouer sur place et l'empêcher en 1988. Mitterrand était un néo conservateur qui avait fait le rapt de la gauche pour s'installer au pouvoir. Michel Rocard incarnait l'expérimentation politique, le modernisme, tout ce que François Mitterrand détestait. Pour le RMI par exemple, plutôt que de conduire une négociation jacobine, il a fait une expérimentation dans le département d'Ille-et-Vilaine. Il a vu que ça marchait, et a donc fait une loi. C'est une attitude pleine de modestie. Ce qui tue le pays aujourd'hui, c'est l'arrogance jacobine. C'était un homme d'une grande modernité. Ce n'est pas parce qu'il avait 86 ans qu'il était vieux !
A-t-il des héritiers aujourd'hui ?
Je ne crois pas... Beaucoup de gens que j'ai vu ces derniers jours pleurer sur le rocardisme ont en fait aidé François Mitterrand à le massacrer.
Vous qui connaissiez Rocard personnellement, quelle était sa personnalité ?
C'était un intarissable bavard. Il faisait des phrases composées, longues. Il parlait avec sa pensée, pas pour faire du bruit avec sa bouche. Il était très cultivé. Un de mes derniers souvenirs de lui, c'était pour son anniversaire en octobre dans sa maison des Yvelines. Il était fier de montrer qu'il avait tout un étage pour ranger ses livres et ses archives. C'était touchant. Il avait commencé à structurer ses mémoires et à écrire. Je ne sais pas ce qu'il va en advenir.
Il était traversé par la beauté de la mission publique, et était un des seuls hommes publics qui n'avait pas d'égoïsme personnel. Il avait bien sûr l'orgueil de ses idées et de ses positions. Mais je ne l'ai jamais vu égoïste.
Enfin, c'était un des derniers intellectuels totalement dédiés à la politique. Sa dernière sortie publique date du 12 avril, lors d'un débat sur le Brexit en face de l'ancien ministre des Affaires étrangères britannique David Owen. Cela se passait Cité de l'industrie place Saint-Germain à l'invitation du Mouvement Européen que je préside. Le public était médusé de voir arriver un monsieur parcheminé, fatigué. Puis, il se lève pour aller au pupitre, et ce n'est plus le même homme : ardent, malicieux, éloquent. Standing ovation à la fin...
Michel Rocard, figure essentielle de la gauche, est mort ICI
Premier ministre de François Mitterrand de 1988 à 1991, faiseur de paix en Nouvelle-Calédonie, Michel Rocard est mort samedi, à 85 ans.
Par Raphaëlle Bacqué et Jean-Louis Andreani
Publié le 3 juillet 2016
Michel Rocard, mort le samedi 2 juillet à l’âge de 85 ans, avait rêvé d’un destin présidentiel. Il n’y sera jamais parvenu. Mais il y a aujourd’hui, au sein du Parti socialiste, dans les ministères, dans les think tank de la gauche qui rêvent de la refonder, quantité de ses disciples, nourris par cette « deuxième gauche » sociale-démocrate, réaliste et redistributrice qu’il avait fini par incarner.
Derrière une apparente simplicité, Michel Rocard, né le 23 août 1930 à Courbevoie, fut un homme politique paradoxal et compliqué. Longtemps l’homme politique le plus populaire de France, il était spontané voire impulsif, sincère voire naïf, maladroit mais volontiers calculateur ; apôtre d’un « parler vrai » parfois dévastateur, mais capable de manier sans broncher la langue « de madrier », selon l’expression d’un de ses anciens conseillers ; orateur parfois obscur, mais, en dehors des tribunes, d’un abord simple et direct. Obsédé par l’idée d’être écouté, reconnu, respecté.