Il fallait un livre, le voilà, je vous renvoie à des critiques de 4 organes de presse aux horizons différents
Vendée. Pour ces chercheurs, « le Puy du Fou malmène l’histoire à des fins politiques » ICI
Philippe de Villiers a posé les fondements du parc, avec la Cinéscénie, en 1978. | ARCHIVES CO – YVES DURAND
L’été dernier, quatre chercheurs ont vécu en immersion au Puy du Fou avec un objectif : analyser la version de l’histoire qui y est proposée. Leur constat, accablant, est présenté dans un livre baptisé « Le Puy du Faux ». Sorti le 24 mars aux éditions Les Arènes, il dénonce les idées politiques qui y seraient véhiculées de manière subliminale « sous prétexte de divertissement ».
Fabienne SUPIOT
Publié le 30/03/2022
S’attaquer au(x) mythe(s) du Puy du Fou. Voilà qui peut paraître osé tant le parc d’attractions est porté aux nues dans la région. Pour le flux de visiteurs qu’il génère, favorable à l’économie locale. Pour ce qu’il renvoie comme image d’une Vendée forte et unie, qui a su inventer un des sites touristiques les plus visités d’Europe, à la force d’un réseau de bénévoles. Mais alors, qui sont donc ces trouble-fêtes qui viennent de sortir en librairie un ouvrage baptisé « Le Puy du Faux » ?
Florian Besson est médiéviste. Ce spécialiste des croisades est prof au collège. Pauline Ducret enseigne l’histoire de la Rome antique à l’université de la Réunion. Professeur à Science Po, Guillaume Lancereau a pour domaine l’histoire contemporaine et s’est spécialisé dans la Révolution française. Mathilde Larrère, enfin, est enseignante-chercheuse à l’université Gustave-Eiffel, à Marne-la-Vallée, et s’est spécialisée dans l’histoire du XIXe siècle.
Tous ont pour point commun de s’intéresser aux représentations de l’histoire, à la façon dont elle peut être réinventée, réimaginée aujourd’hui. Pauline, par exemple, a travaillé sur la BD « Alix » en ce sens », explique Florian Besson, porte-parole de ces quatre mousquetaires. Lui-même s’est notamment penché sur la représentation du Moyen Âge dans « Game of Thrones ».
C’est un éditeur qui les a réunis, Les Arènes, avec l’envie d’un ouvrage portant sur cette thématique. « L’idée du Puy du Fou s’est vite imposée avec ses deux millions de visiteurs sachant qu’il fait une promesse, celle d’un rendez-vous avec l’histoire. La dernière étude sur le sujet datait du milieu des années 1990, avec le livre de Jean-Clément Martin et Charles Suaud, « Le Puy-du-Fou, en Vendée. L’histoire mise en scène. » Depuis, le parc d’attractions a bien grandi. Aux Épesses, c’est à une super production qu’on a désormais affaire.
« Une expérience totale »
« Nous avons pris le parti de nous y immerger pendant quatre jours, l’été dernier », précise Florian Besson. Verdict : Il y a des shows vraiment fabuleux. Seulement voilà, sous prétexte du divertissement, on s’autorise à y malmener l’histoire.
Un constat d’autant plus problématique pour les quatre chercheurs qu’on y organise des voyages scolaires et qu’on y vend des livrets pédagogiques truffés d’erreurs. On ne peut pas dire n’importe quoi et surtout pas à n’importe qui. Par exemple ? Cela va du petit détail à des anachronismes en passant par de réelles contre-vérités. Je pense au baptême de Clovis, succession de clichés ; aux moines qui utilisent une écriture qui n’existait pas leur époque, la caroline ; à Jules César qualifié d’empereur alors qu’il ne l’a jamais été ; à l’invention d’arènes oblongues, inexistantes à l’époque romaine ; à l’affirmation de l’existence d’un génocide vendéen, pourtant réfutée par les historiens…
Et selon les auteurs de ce livre, ces erreurs sont tout sauf innocentes. Ils y voient clairement la patte de Philippe de Villiers. Fondateur du parti souverainiste Mouvement pour la France (MPF), et soutien d’Éric Zemmour, il est le créateur du parc. Il est aujourd’hui encore impliqué dans l’écriture des scénarios de chaque spectacle. Ce n’est pas un mystère, il l’assume même dans son livre, « Le Puy du Fou, Un rêve d’enfance ». Son objectif est de recréer l’image des manuels de la IIIe République, celle qui correspondait à un roman national exaltant une certaine idée de la France.
« Le passé est perpétuellement idéalisé »
À l’époque, cette réécriture de l’histoire avait des visées politiques. C’est tout autant le cas au Puy du Fou où les étrangers sont systématiquement présentés comme une menace. Le protestantisme est passé sous silence, alors qu’en Vendée, on se trouve dans une région où il a été très pratiqué avant d’être réprimé. Le catholicisme, en revanche, est omniprésent, souligne Florian Besson avant d’insister sur une histoire qui idéalise la noblesse et ne s’intéresse qu’aux « grands » hommes : Le parc ne se réfère qu’à des figures comme Louis XIV, La Fontaine, Jeanne d’Arc, Clovis, Clemenceau. Les minorités (femmes, homosexuels…) sont invisibles et les classes populaires n’apparaissent que sous forme d’un monde paysan immuable, garant des traditions. » Aux Épesses, le passé est perpétuellement idéalisé et mis en contraste avec les ravages des temps modernes.
Une idée qui choque tout particulièrement ce chercheur : L’histoire, c’est la science qui étudie l’évolution de la société à travers le temps ! Tout l’intérêt de cette discipline est de mettre en lumière le chemin parcouru après des innovations, des courants de pensée… Là, vraiment, c’est une vision de l’histoire figée, assez triste en fait…
Un livre qui fait déjà polémique
À peine sorti, « Le Puy du Faux » fait déjà polémique, voire plus. Nous sommes pris à partie sur les réseaux sociaux par de nombreux messages tournant notre démarche en dérision, ou nous insultant, explique Florian Besson, qui a été jusqu’à recevoir une menace de mort. En gros, on nous reproche d’être de sales gauchistes qui veulent détruire la France », estime l’historien. Au-delà, les auteurs de cet ouvrage sont accusés de servir eux-mêmes des objectifs politiques, en sortant ce livre en pleine campagne présidentielle.
Mathilde Larrère est la première cible de ces attaques. Chroniqueuse pour Mediapart et Arrêt sur images, elle a clairement affiché son soutien à Jean-Luc Mélenchon. Ce livre a été écrit à quatre mains, et nous ne sommes pas tous encartés, défend Florian Besson qui préférerait être jugé sur la qualité historique de notre recherche. Ce sont les critères de notre méthode historique qui doivent être analysés, pas la raison pour laquelle nous avons eu envie de travailler sur ce sujet ».
Sur le calendrier, il reconnaît néanmoins que ce n’est pas un hasard : Nous savions que la présidentielle serait un grand moment de déformation de l’histoire et c’est ce qui nous a donné envie de prendre cet angle de recherche. Mais l’idée est née en octobre 2019. À l’époque, la candidature d’Éric Zemmour n’était pas d’actualité. Et le livre était déjà sous presse lorsque nous avons appris que Philippe de Villiers ralliait sa campagne.
Le service communication du Puy du Fou n’a pas donné suite à nos sollicitations.
« Le Puy du Faux » : voyage dans un parc sans Lumières ICI
Quatre historiens dénoncent, dans un livre, la manière dont le parc d’attractions situé en Vendée « falsifie » l’histoire qu’il est pourtant censé défendre.
Publié le 22 avril
Livre. Qui ne connaît pas le Puy du Fou ? Avec 2 millions de spectateurs chaque année et ses multiples déclinaisons, est-il encore possible d’échapper à ce parc d’attractions ? Son succès est tel qu’il se lance maintenant dans le cinéma. Un film historique sera tourné cet été sur son site avec pour toile de fond, bien évidemment, la guerre de Vendée (1793-1795), épisode sanglant de la Révolution française, que le fondateur du Puy du Fou, Philippe de Villiers, ne cesse de dépeindre en génocide, contre toute vérité historique. Qu’importe, le long-métrage sortira en 2023.
Le parc célèbre, cette année, ses 45 ans, et la fête commence sur une fausse note. Un collectif d’historiens a fait la visite pour tenter de comprendre quel récit de notre passé est proposé. Ils en reviennent avec la conviction d’avoir assisté à une « falsification ». Le site ratisse large, des Gaulois à la seconde guerre mondiale. Pour en arriver à embrasser ce vaste paysage historique, de multiples points de vue étaient nécessaires.
Quatre chercheurs se sont donc réunis pour mener l’enquête : Florian Besson, médiéviste, Pauline Ducret, spécialiste de la Rome antique, Guillaume Lancereau, historien de la Révolution française, et Mathilde Larrère, dix-neuviémiste. Avant même de se rendre au Puy du Fou, on pourrait deviner le récit proposé en étudiant un peu les idées politiques de Philippe de Villiers. Inquiet de l’« islamisation » du pays, il fait partie aujourd’hui des soutiens officiels d’Eric Zemmour. Mais présumer est insuffisant, et mener un travail de terrain est nécessaire.
D’autant que le Puy du Fou organise un brouillage, en affirmant dans sa communication officielle ne pas prétendre « faire un travail d’historien ». Le spectacle ne serait rien de plus qu’un divertissement populaire. Pourtant, si l’on en croit Philippe de Villiers, le Puy du Fou n’aurait rien d’innocent, il aurait bien un usage militant. « Je pense que la métapolitique a plus d’influence que la politique, aujourd’hui. Par mes livres et mon Puy du Fou, j’ai fait passer beaucoup plus d’idées qu’en restant la énième écrevisse de la bassine », disait-il, en 2017, pour expliquer sa décision de ne pas se présenter une troisième fois à la présidentielle. En employant le mot « métapolitique », cher à l’extrême droite, il reconnaissait mener un combat culturel et militant.
Représentations flatteuses
La première impression des chercheurs en immersion est cependant favorable : ils reconnaissent que le spectacle est époustouflant et que cette promesse est tenue. De même ne sont-ils pas choqués par le fait que le parc ne cherche pas à faire une restitution à tout point juste du passé. Une licence artistique est d’autant plus facilement accordée que les différents spectacles présentés mêlent des éléments de fantastique au récit, il serait donc vain de s’attendre à une parfaite vérité historique. Néanmoins, le rapport aux faits reste, au mieux, équivoque.
Par exemple, dès lors qu’est abordée la guerre de Vendée, c’est pour reprendre la thèse – discréditée – d’un complot des révolutionnaires parisiens pour « exterminer la race rebelle », comme le dit un personnage inventé par le Puy du Fou. Des massacres ont bien eu lieu, mais sans qu’ils relèvent d’un plan systématique et génocidaire.
De même s’efforce-t-on d’installer, ou plutôt de renforcer, le mythe d’une France éternelle, préfigurée par un peuple gaulois présenté comme unifié, réfractaire aux ordres venus de Rome et prompt à se convertir au christianisme. Au cours d’un spectacle résonne sur scène même un vibrant : « Vive la Gaule libre ! », en écho à la visite du général de Gaulle à Montréal en 1967, au cours de laquelle il s’écria : « Vive le Québec libre ! » Ainsi, le vrai-faux participe à renforcer certaines représentations flatteuses de la nation française, faite de moments d’éclats par des héros intrépides et où le bon peuple est une figure passive, qui fête et chante, tout en restant figée dans une « immobilité sociale ».
L’imaginaire convoqué par le Puy du Fou s’inspire, en grande partie, du XIXe siècle. Les Gaulois, mis en scène dans le spectacle Le Signe du triomphe, revêtent une panoplie faite de casques à cornes et de cheveux longs tout droit sortie de l’art pompier. Au IVe siècle, époque à laquelle se déroule le drame, ce peuple celte était déjà largement romanisé. Le Puy du Fou remet en scène « nos ancêtres les Gaulois » et le roman national tel qu’il a été pensé au XIXe siècle. Mais ce n’est pas le fantôme de la IIIe République qui habite le Puy du fou, c’est le fantasme d’une autre histoire, celle rédigée par des auteurs antimodernes, où la Révolution française est présentée comme l’événement venu perturber un pays éternel, partagé entre une noblesse valeureuse et un bon peuple chrétien. « Le parc d’aujourd’hui imite en cela la manière dont les historiens conservateurs du XIXe siècle, écrivant dans des périodiques légitimistes et ultramontains comme la Revue des questions historiques ou la Revue de la Révolution, concevaient l’histoire : ils s’efforçaient alors de montrer et démontrer la persistance de l’Ancien Régime. » Pour l’avoir écrit, le collectif à l’origine de ce livre fait aujourd’hui face à la vindicte des milieux conservateurs et réactionnaires, si prompts à défendre le « débat » contre la « cancel culture ».
Le Puy du Faux, de Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, Les Arènes, 208 pages, 18 euros.
Le Puy du Faux : tel est pris qui croyait prendre ICI
Posté le 09-05-2022
Quatre historiens pointent avec rigueur la manière avec laquelle le parc de Philippe de Villiers tord l’histoire dans un but métapolitique. Mais les auteurs semblent, eux aussi, au service d’une idéologie. Une preuve supplémentaire que l’Histoire est un perpétuel champ de bataille.
Le clivage gauche-droite est-il bel et bien mort ? Il suffit de lire les critiques et comptes rendus de lecture du Puy du Faux pour comprendre qu’il vit toujours. Pour Thierry Lentz dans Le Point, l’ouvrage a pour but principal de "décortiquer, critiquer, empêcher de tourner en rond, pérorer un peu si nécessaire et tenter de gâcher le plaisir dans tous les cas". De l’autre côté de l’échiquier, dans Télérama, Samuel Gontier s’intéresse peu au fond de l’enquête. Avec le sens de la mesure qui le caractérise si bien, il préfère défendre les auteurs victimes, selon lui, de la tyrannie de la droite extrême. Qu’on fait les historiens Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère pour susciter d’aussi vives passions ? Ils se sont intéressés au Puy du Fou...
Décorticage rigoureux
Leur objectif ? Montrer que le parc d’attraction est au service d’un projet politique qui, on le comprend très rapidement, ne suscite pas leur adhésion. Affirmer que l’entreprise prospère de Philippe de Villiers cultive une vision de la France "de droite", voire "d’extrême droite" est facile. Soulignons toutefois qu’en décryptant les scénographies des spectacles, les personnages mis en avant ou encore les périodes choisies, les auteurs apportent un éclairage pertinent sur "un discours très intelligemment construit".
Les quatre compères, qui ont passé plusieurs jours sur place, notent avec justesse que tous les tableaux représentés dans le parc vendéen obéissent au même schéma narratif : une communauté villageoise unie et joyeuse est frappée par un élément perturbateur venu de l’extérieur. L’héroïsme et le courage d’un noble et la foi catholique permettent presque à coup sûr de faire face à tous les obstacles. En filigrane, le schéma des trois ordres (la noblesse d’épée combat, le clergé prie, le peuple trime en silence et danse) est présent partout et ancre dans les esprits un "discours qui symbolise l’immobilité sociale".
Au Puy du Fou, les spectacles ont globalement le même scénario : une communauté villageoise est heureuse et unie. Un évènement perturbateur venu de l'étranger survient mais héroisme et catholicisme permettent une "happy end"
L’ouvrage pointe également quelques points peu relevés par les critiques : aucun artiste ayant dépassé le XVIIIe siècle n’est mentionné dans les tableaux vivants. Rousseau, Diderot ou Voltaire sont donc tombés dans les oubliettes. De même, figures de la Révolution française et élites républicaines du XIXe sont systématiquement haineuses ou ridicules car, dans l’esprit de Philippe de Villiers, grand architecte du lieu, elles "vont petit à petit venir affaiblir le pouvoir aristocratique et social des vieilles familles aristocratiques".
C’est dans ces observations que l’enquête est la plus intéressante. Elle montre à quel point les concepteurs du parc mettent en avant une France fondée sur le culte de la noblesse, du catholicisme, du terroir. Une France où la conversion au catholicisme des Normands ou Romains est la condition sine qua none d’une intégration dans la communauté nationale. La vision de l’Hexagone véhiculée par le parc est l’intérêt central de ces presque deux cents pages.
À trop frapper, l’on se fatigue
Cet éclairage bienvenu et revigorant est toutefois gâché par certaines attaques. Est-il besoin de se centrer sur des détails insignifiants aux yeux des profanes pour discréditer le parc ? Est-il si dramatique que les moines de l’époque de Clovis rédigent en minuscule caroline ou que des chevaliers écrivent en cotte de maille ? Ces "micro-erreurs" mises quasiment sur le même pied que de graves anachronismes dans l’histoire de la Rome antique laissent poindre un certain acharnement qui gâche en partie les éléments les plus intéressants de l’enquête en immersion.
Le "pompon" est décroché dans le passage voulant démontrer la vision patriarcale et réactionnaire des lieux. O crime, O scandale : la boutique propose des jouets genrés. Aux petites filles des livres à colorier représentant des princesses, aux petits garçons les chevaliers. À elles les peluches de lapins, à eux celles d’aigles. Le comble apparaît lors de l’étude des menus des restaurants. Les plats caloriques et carnés portent des noms masculins (charcuterie du Vert-Galant, plat d’Aldéric, canard de Saint Philibert), tandis-que les recettes à base de légumes sont féminines (salade de la Reine Mathilde, tarte de Guenièvre). De quoi façonner dès l’enfance des milliers de petits Zemmour !
L’idéologie sort du bois
Ces critiques par leur "pinaillage" ou l’angle adopté montrent que les auteurs cherchent à éclairer, certes. Mais aussi à discréditer un lieu qui "mal-pense". En mettant en lumière la politisation du parc, ils révèlent bien vite que, eux aussi, sont clairement politisés.
Le Puy du Fou est empreint d'idéologie ? Oui. Mais les auteurs aussi...
L’attaque contre les jouets et la gastronomie genrés sont un incontournable de la nouvelle gauche universitaire. Les auteurs abattent leur jeu à la fin de l’ouvrage en suggérant de nouveaux scénarios historiques aux metteurs en scène du Puy du Fou. Honnêtement, ils donnent envie d’être vus même si l’on y retrouve, une fois encore, les préoccupations de leur idéologie. Avec eux, les croix et les villageois soumis à la noblesse sont invisibilisés. À la place, on tombe sur la bonne vieille lutte des classes marxiste mais aussi sur l’obsession pour la parité et la diversité. Les historiens proposent notamment de mettre en scène un marchand russe, qui a réellement existé, converti à l’islam pour son plus grand bonheur. Ma foi, pourquoi pas. Même s’il est assez troublant de se draper dans le rôle d’expert historique pour condamner, à juste titre, un parc à vocation idéologique. Pour verser dans les mêmes biais.
Le mythe de la neutralité historique
Toutefois, difficile de jeter la pierre aux auteurs qui montrent que l’Histoire est une matière "idéologiquement inflammable". Il est impossible d’être factuellement exact (eux-mêmes le reconnaissent). Finalement, le passé est avant tout au service de la politique et, osons-le mot, d’une certaine forme de propagande. D’une certaine façon un parc qui glorifie la France catholique est aussi inexact qu’un autre qui se base sur quelques anecdotes pour faire croire que l’égalité entre les hommes et les femmes ou la présence importante de l’islam ou de la culture africaine en France a toujours existé.
Sur la forme, le déroulé de lecture est agréable, les références mises en avant dans la bibliographie donnent des clés de compréhension de bon aloi. En revanche, la manie consistant à féminiser systématiquement tous les termes rend parfois la lecture hasardeuse. La première page mentionnant "deux historiennes, deux historiens", "deux millions de spectateurs et spectatrices", "chercheurs et chercheuses", ou encore "toutes et tous" est particulièrement rébarbative. Elle est, comme l’utilisation répétée du terme "problématique" un must have de la nouvelle gauche universitaire. Les échanges entre universitaires de l’IEP de Grenoble cherchant à cancel les professeurs Vincent Tournier et Klaus Kinzler trop déviants à leurs yeux reprennent à plusieurs reprises le terme "problématique". Ce qui "signe" la charge des auteurs. Qui, malgré tout, ont donné naissance à un ouvrage ayant toute sa place dans le débat public. Et accessoirement dans une bibliothèque.
Lucas Jakubowicz
Reconstitution d’une bataille médiévale au Puy du Fou (2013) © CC4.0/Pierre-André Leclercq
Dans le parc d’attréaction ICI
par Solène Minier
4 juin 2022
Deux historiennes et deux historiens passent au crible le célèbre parc d’attractions vendéen à thème historique qu’est le Puy du Fou. Bilan : mêlant allègrement histoire et fiction, sans jamais offrir à leur public les outils pour les distinguer, les spectacles ignorent superbement la méthode critique nécessaire à la pratique de l’histoire. Pire, ces séduisantes falsifications offrent le cheval de Troie parfait à une propagande réactionnaire.
L’intérêt des historiens pour le Puy du Fou n’est certes pas nouveau : dès les années 1980, Jean-Clément Martin et Claude Langlois ont dénoncé la réécriture contre-révolutionnaire de l’histoire par le parc vendéen. Depuis l’essor des « historiens de garde » tenants du roman national dans l’espace public, les historiens n’ont cessé d’alerter contre l’instrumentalisation de l’histoire mise en œuvre sous la houlette du millionnaire royaliste, soutien actif d’Éric Zemmour et propriétaire du parc, Philippe de Villiers. Le point d’orgue fut atteint en 2016 quand Villiers prétendit avoir acquis une bague ayant appartenu à Jeanne d’Arc et dont la communauté historienne, William Blanc et Christophe Naudin en tête, questionna sérieusement l’authenticité.
La dilatation du parc, de ses infrastructures et des périodes abordées (pas moins de 16 spectacles), ainsi que son succès auprès du grand public (plus de 2 millions de visiteurs par an), justifient une étude plus approfondie qu’une tribune ou une interview radiophonique. Voici donc nos quatre universitaires en route, « par un matin d’août pluvieux », pour trois jours de spectacles, de photos et d’annotations frénétiques. De l’histoire de terrain : l’exercice est assez nouveau, en particulier pour des historien.ne.s spécialistes de périodes éloignées de plusieurs siècles, pour exiger une méthodologie nouvelle. Le premier parti pris est celui d’une recherche collective : quatre historien.ne.s, deux hommes et deux femmes, respectivement spécialistes de chacune des quatre périodes canoniques de l’histoire occidentale (antique, médiévale, moderne et contemporaine). Loin de se consacrer uniquement à la recherche, tous enseignent dans le secondaire ou à l’université et se sont engagés dans des entreprises de vulgarisation de l’histoire.
Le second parti pris est celui de la diversité des sources traitées : non contente d’assister aux spectacles (parfois plusieurs fois), l’équipe examine les produits proposés à la vente dans les boutiques du parc, les noms des plats des restaurants et des chambres d’hôtel, et jusqu’aux icônes des toilettes ! Elle lit aussi la bibliographie ancienne et plus récente produite par les historiens sur le parc, mais aussi les livres vendus dans le parc – au premier rang desquels l’autobiographie de Philippe de Villiers et les historiens partisans de la thèse (invalidée par toute l’historiographie) du génocide vendéen – et même les commentaires des visiteurs sur TripAdvisor. La méthode historique de critique croisée s’applique tout aussi bien à ces sources du XXIe siècle qu’aux documents plus anciens qui leur sont coutumiers. Néanmoins, une réserve concerne l’absence d’entretiens sociologiques avec des personnels du parc et des visiteurs : si les auteur.e.s font preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, admettant ce biais né du manque de temps, il aurait été profitable de pousser plus avant le choix de la recherche collective et de s’adjoindre la compagnie de sociologues formé.e.s à ces méthodes. Cela ne porte cependant pas préjudice au bel équilibre intellectuel et à l’efficacité rhétorique de cet ouvrage.
Le livre met d’abord au jour le rapport ambivalent entretenu par le parc avec le passé et avec la discipline historique. Né en 1978, le parc prospère sur le terreau du regain mémoriel des années 1980 et, plus particulièrement, de la mémoire vendéenne. Son succès repose toutefois sur le virage, négocié avec succès, du passage à l’échelle nationale. Pour cela, l’histoire locale ne suffit plus : le parc recourt alors à des images d’Épinal éculées mais partagées par un large public et devient la tête de pont de la diffusion d’un roman national fantasmé. L’invocation de la « liberté artistique », le flou délibérément entretenu sur les limites entre art et faits historiques, voire l’invention pure et simple d’objets prétendument authentiques, présentés sans contexte ni critique (la bague de Jeanne d’Arc), constituent la cheville ouvrière de cette vaste entreprise de falsification. En présentant un passé immobile, familier, rassurant car toujours voué à se répéter, le Puy du Fou ignore l’un des principes de la méthode historique, qui consiste à étudier avec nuance les phénomènes d’échos et de décalages entre les différentes périodes historiques. Le concepteur du parc n’explique rien : il ne contextualise pas et ne donne à comprendre ni les causes ni les conséquences des événements narrés. Chaque spectacle reprend la mélodie ronronnante du combat manichéen entre une communauté toujours-déjà-paysanne-très-chrétienne et des agresseurs venus de l’extérieur.
Préférant caresser son public dans le sens du poil plutôt que de remettre en cause ses idées reçues et lui enseigner comment se construit le savoir historique, le parc assène une vision nationaliste et antimoderne du passé. Souvent invisibles, les rares femmes représentées dans les spectacles attendent toujours le retour (de croisade, du front) et le secours d’un homme. Elles vivent par et pour le couple, valeur catholique cardinale du parc. Il n’y a ni conflits ni douleurs internes à la communauté paysanne : on ne voit jamais de grossesses, d’accouchements, de maladies, de famines, d’enfants ou de personnes handicapées. Jamais n’apparaissent de tensions entre les différentes classes sociales, toujours respectueuses d’un ordre aristocratique rêvé : les élites nobiliaires font advenir l’intrigue et l’Histoire, quand les paysans ne sont là que pour assurer répétition et continuité. Le parc ne cache pas, d’ailleurs, ses valeurs aristocratiques, dont le mépris du travail, pas plus que sa propagande ouvertement monarchiste. Les élites républicaines, comme les agents de la mairie au début du XXe siècle, ou encore les élites scientifiques (et, en filigrane, la communauté historienne), sont tournées en ridicule.
Philippe de Villiers fait le jeu des inquiétudes suscitées par la mondialisation et présente le Puy du Fou, emblème de la ruralité française éternelle, comme un abri face aux mutations du monde contemporain et au multiculturalisme honni. Le catholicisme aussi est proposé au public comme valeur refuge : filant avec lourdeur le thème chrétien de la lumière qui résiste, chaque spectacle associe cette religion à la paix et au bien. Jamais aucune autre religion n’est montrée, alors qu’ont vécu en Gaule puis dans le royaume de France des polythéistes gallo-romains, des juifs, des musulmans et des protestants. La mythification du baptême de Clovis synthétise l’association entre un royaume de France éternel (et fantasmé), le christianisme et la royauté – reprenant en tous points la vision qu’en propose Zemmour dans Destin français.
Le présent livre constitue donc un jalon important dans la bataille culturelle contre l’occupation du champ médiatique et politique par les discours d’extrême droite. Le style est efficace et enlevé, proche de l’oral sans jamais perdre de sa rigueur, parfois délicieusement caustique (« on apprend ainsi que la poule gâtinaise est « essentiellement française » (brave poulette) »). Loin de se parer des atours des défenseurs de la Vraie Foi Scientifique, les auteur.e.s ne font jamais preuve de mépris intellectuel envers le public ou les employés. Ils reconnaissent au contraire le plaisir et la fascination suscités par le parc, tout comme la capacité du public à marquer une distance critique face aux discours qu’on lui assène. Très conscients des tenants du débat dans lequel ils s’inscrivent, ils répondent aux critiques qu’on ne manquera pas de leur adresser : la méthode historique n’est pas le propre des historiens, mais de toute personne désireuse de faire preuve de curiosité et de sens critique ; l’histoire n’a pas à être rébarbative et un parc d’attractions pourrait être un excellent vecteur pédagogique. En somme, ce livre est un outil critique indispensable pour remettre en perspective un parc qui, aujourd’hui, sert de modèle de politique culturelle aux extrémistes de droite en PACA (liste Zou ! aux élections régionales) comme aux nationalistes espagnols, hongrois ou chinois.
Photo Franck Dubray/PHOTOPQR/OUEST FRANCE/MAXPPP
Le Puy du fou en flagrant délit de faux ICI
Samuel Gontier
Publié le 06/04/22
« L’histoire n’attend que vous », clame le slogan du Puy du Fou. Oui, mais quelle histoire ? Des chercheurs (Michel Vovelle, Jean-Clément Martin…) avaient déjà critiqué son traitement de la Révolution française et sa mise en avant d’un prétendu « génocide vendéen ». Cette fois, les presque deux millénaires évoqués dans le parc d’attractions sont passés au crible par une antiquisante (Pauline Ducret), un médiéviste (Florian Besson), un moderniste (Guillaume Lancereau) et une contemporanéiste (Mathilde Larrère). Ils ont non seulement vu les représentations mais aussi fréquenté les restaurants, scruté les livres et les objets vendus dans les boutiques, lu les « livrets pédagogiques » et l’autobiographie de Philippe de Villiers, créateur du parc et auteur de tous les spectacles. L’enjeu est de taille : le Puy du Fou accueille plus de deux millions de visiteurs par an et s’adresse explicitement aux scolaires.
Une France éternellement catholique et royaliste
« Des étoiles plein les yeux et le cerveau qui bugue », résument les auteurs. Éblouis par des spectacles grandioses, ils n’en relèvent pas moins quantité d’erreurs, d’anachronismes, d’approximations, de contre-vérités. Mais le véritable problème réside dans l’idéologie sous-jacente qui irrigue tous les siècles traversés. Le passé est fantasmé comme « une période plus simple et plus vraie », note Florian Besson, baigné d’« un nationalisme qui chante la grandeur de la France ». Une France éternelle jamais plus belle que dans le catholicisme et la royauté. Bref, explique Mathilde Larrère, le Puy du Fou délivre « un discours anti-universaliste, antirépublicain, anti-égalitaire, xénophobe, qui masque les dominations de classe et de genre ».
Les auteurs violemment attaqués
« Propagande woke », « gauchistes », « fils de p… marxiste », « extrémistes »… Depuis la parution du livre, les quatre historiens sont sur les réseaux sociaux accablés d’insultes, voire de menaces de mort (on promet le « bûcher » aux autrices et le « pal » aux auteurs). Sur RMC, Les grandes gueules les situent dans « la mouvance de la “cancel culture” ». Les médias d’extrême droite s’en mêlent, CNews en tête. Mathieu Bock-Côté, le remplaçant d’Éric Zemmour, dénonce « un livre d’une médiocrité épouvantable » commis par « des commissaires politiques qui se font passer pour des historiens » et emploient « les poncifs habituels du politiquement correct » comme la « théorie du genre ». L’éditrice Hélène de Virieu se dit « sidérée par la violence des attaques », d’autant plus qu’elles relèvent du procès d’intention et ne reposent sur aucune remise en cause de la solidité des arguments développés par les chercheurs . Cette (fausse) polémique illustre en tout cas combien il est dérangeant – et vital – de réfuter le roman national promu par l’extrême droite.