Peu friand des discours de commémoration j’ai pourtant écouté celui d’Emmanuel Macron à Pithiviers dans cette gare où ont transité une partie des 13.000 Juifs arrêtés à Paris et en banlieue le 16 juillet 1942, il a d'abord repris les mots de Jacques Chirac qui en 1995 avait été le premier président à reconnaitre la responsabilité de la France dans la Rafle du Vel d'Hiv: « L'Etat français manqua à tous les devoirs de la patrie des lumières et des droits de l'homme » rappelant que les déportés sont à la fois des « victimes de l'Allemagne nazie et de la France de Vichy »
« Nous n'en avons pas fini avec l'antisémitisme. Et nous devons en faire le constat lucide. Cet antisémitisme est encore plus brûlant, rampant, qu'il ne l'était en 1995, dans notre pays, en Europe, et dans tant d'endroits du monde » a ensuite mis en garde Emmanuel Macron. Désormais, l'antisémitisme « peut prendre d'autres visages, se draper dans d'autres mots, d'autres caricatures, a-t-il poursuivi, évoquant tour à tour la "barbarie terroriste", les "assassinats et crimes", les commentaires "les réseaux sociaux" ou les "profanations de tombes" »
« Il s'immisce dans les débats sur les plateaux de télévision. Il joue de la complaisance de certaines forces politiques. Il prospère aussi autour d'une nouvelle forme de révisionnisme historique, voire de négationnisme », a-t-il insisté, faisant allusion, sans le nommer, au candidat d'extrême droite à l'élection présidentielle Éric Zemmour qui avait notamment soutenu que le maréchal Pétain avait "sauvé" des juifs français durant la Seconde Guerre mondiale.
« Ni Pétain, ni Laval, ni Bousquet, ni Darquier de Pellepoix, aucun de ceux-là n'a voulu sauver des Juifs. C'est une falsification de l'histoire que de le dire », a répondu le chef de l'Etat, en estimant que « ceux qui s'adonnent à ces mensonges ont pour projet de détruire la République et l'unité de la Nation ».
N’en déplaise aux anti-Macron systématiques ce fut un discours clair, sans ambiguïté, cette ambiguïté si chère à François Mitterrand.
La porte-parole de la NUPES s’est illustrée sur Twitter, sans y écrire le mot juif, en affirmant qu’Emmanuel Macron était disqualifié car il avait rendu hommage au Pétain de Verdun. Polémique stupide, Pétain fut élevé au grade de Maréchal de France puis déchu mais son ignominie en tant que chef de l’Etat Français n’efface en rien son passé. Si la grande majorité des Français se sont ralliés à lui c’est sur l’image d’Epinal qu’il s’était forgé. C’était un conservateur réactionnaire et sa trajectoire finale n’est pas due au hasard, elle était inscrite dans son parcours politique. Bref, je ne me fait pas l’avocat de Pétain, ni son procureur, je regrette le niveau zéro du débat politique qui s’est instauré dans notre pays, une hystérie menée à la baguette par Mélenchon ; disruptif Macron ne fait rien pour calmer le « jeu ».
DÉBATS
ANTISÉMITISME
Dans « De la haine du juif », Pascal Ory déjoue les pièges de l’histoire ICI
En s’attaquant à la « question antijuive », l’historien décortique les différentes formes de judéophobie intervenues depuis l’avènement du christianisme, de l’antijudaïsme médiéval à l’antisionisme contemporain en passant par l’antisémitisme du XIXe siècle.
Par Philippe-Jean Catinchi
Publié le 03 décembre 2021
Il faut un sacré courage à l’historien Pascal Ory pour s’attacher à interroger la longue généalogie de la haine du juif, dont le vocabulaire atteste les mutations comme la variation des fondements revendiqués. Sans le sous-titre « essai historique », l’étude pourrait être prise pour un pamphlet alors il faut du courage pour conduire ce chantier gigantesque. Cela suppose une impeccable vigilance envers les approximations et les anachronismes à déjouer, tant la littérature sur le sujet est encombrée de scories d’une décourageante vitalité.
Du courage aussi puisqu’il n’élude pas la question de sa propre identité pour mieux saisir d’où il vient et où il veut en venir (« Ni juif, à sa connaissance, ni antijuif, autant qu’il le sache. Après tout, ce ne serait déjà pas si mal : imaginez un instant un univers peuplé seulement de juifs et d’antijuifs. ») Au risque d’être disqualifié par ceux qui n’entendent pas sans réserve la parole d’un goy. Du courage enfin parce que la langue est le premier piège – le pire, dès qu’il s’agit de disséquer les haines ? – et que Pascal Ory, qui vient d’être élu à l’Académie française, interroge autant les mots que leur promotion historique (« antijudaïsme » médiéval, « antisémitisme » scientiste du XIXe siècle, « antisionisme » géopolitique contemporain) pour adopter une « judéophobie » générique qui ne règle pas véritablement le problème, la peur (« phobie ») n’équivalant pas à la haine et à la radicalité qu’elle implique. Mais y a-t-il une issue satisfaisante quand tout relève du parti pris hostile ?
Concurrence de radicalités
Car Pascal Ory assume crânement qu’« il n’y a pas de question juive. Mais une question antijuive, oui, assurément ». S’il emprunte la formule à Jean-Paul Sartre et à ses Réflexions sur la question juive (1946), elle remonte au début du XIXe siècle et naît en Allemagne où elle stigmatise l’impossible assimilation d’une communauté au nom de sa religion, et bientôt de sa « race ». C’est dans la culture germanique, où la philologie est une science souveraine, que naît aussi peu après la notion d’antisémitisme, déclinaison particulière de la xénophobie qui accompagne alors l’affirmation des nationalismes.
Que l’essai soit celui d’un historien s’avère d’entrée décisif puisque M. Ory réfute toute judéophobie avant l’avènement du christianisme. Si les récits antiques attestent de luttes et de répressions sous les Assyriens, Babyloniens et autres, jusqu’à Rome, les raisons n’en sont jamais que politiques, l’hétérogénéité tant ethnique que religieuse n’indisposant pas les dominants. L’historiographie a parfois privilégié des temps forts, tels que la destruction, en 70, du Temple de Jérusalem par Titus, dont la compagne Bérénice est du reste fille du dernier roi juif de Judée, ou la révolte du zélote Bar Kokhba qui conduisit Hadrien à raser Jérusalem (135) au terme d’une guerre atroce, mais l’empereur Julien envisagea en 362 la reconstruction du Temple.
Les fables qui ont popularisé l’idée d’une judéophobie impériale ne sont que le fruit d’une concurrence de radicalités pour dire l’une l’impossible assimilation des juifs, l’autre la virulence d’une haine générale à leur égard. L’historien n’est pas dupe. Comme il n’a garde de confondre l’antijudaïsme médiéval, qui caricature le peuple juif en déicide et pointe la foi et les pratiques en ménageant une possible assimilation par la conversion et l’antisémitisme moderne. Là il n’est plus question de réconciliation possible avec des égarés. Malgré les progrès, hérités des Lumières, d’une tolérance théorique et d’une émancipation pratique, l’animosité antijuive persiste et change de registre.
Contre le nouvel ordre libéral, traditionalistes et socialistes traquent le complot et le juif se retrouve au cœur de délirants scénarios dont le franc-maçon fait pareillement les frais. La mythologie haineuse en est réactivée et si la Shoah semble clore le paroxysme sur l’ignominie absolue, la naissance d’Israël ouvre un troisième moment, où l’antisionisme rejoue, en mode désormais mondialisé, la haine activée au cours du IVesiècle quand le christianisme a bouleversé la donne.
On peut penser que cette réflexion dense mais accessible vient à point nommé quand l’actualité littéraire (Anne Berest, La Carte postale, Grasset ; Christophe Donner, La France goy, Grasset ; François Noudelmann, Les Enfants de Cadillac, Gallimard) comme cinématographique (Philippe Le Guay, L’Homme de la cave) accompagne les remous de la candidature d’Eric Zemmour à l’Elysée. Ce serait oublier la cohérence de la démarche de Pascal Ory, champion pionnier de l’histoire culturelle, qui en élève de Jean Delumeau et René Rémond, conjugue stricte rigueur et analyse en profondeur.
En marge des salutaires Ce que dit Charlie (2016), Peuple souverain (2017) et son « Tract » Un monde moins mondial que jamais (2020), tous parus chez Gallimard, il y a aussi récemment livré une capitale réflexion, Qu’est-ce qu’une nation ? (2020), où la place faite aux juifs, tributaire des variations de la notion de national, donnait déjà des clés pour comprendre les récurrences de leur rejet.
« De la haine du juif. Essai historique », de Pascal Ory, Bouquins, 162 pages, 18 euros.
Philippe-Jean Catinchi
Pascal Ory, né en 1948, est un historien français, élève de Jean Delumeau, spécialiste d'histoire culturelle et d'histoire politique. Il s'est intéressé au fascisme dès sa maîtrise, consacrée aux Chemises vertes d'Henri Dorgères. Il est l'un de ceux qui ont, dès les années 1970, contribué à mieux définir l'histoire culturelle.
Après avoir enseigné à l'Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, il est aujourd'hui professeur à l'Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il préside l'Association pour le développement de l'histoire culturelle (ADHC) et il est régent du Collège de Pataphysique.
En janvier 2012, il est nommé commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres. Il a été également Président du Conseil Permanent des Ecrivains (CPE) de 2017 à 2019.
N'en déplaise à Jean-Paul Sartre, il n'y a pas de question juive, mais une question antijuive. Et c'est une question qui se pose aux non-juifs, les goys, comme l'auteur, comme moi. Pourquoi l'Homme a posé la question dans L’Histoire, depuis quand et pourquoi, et surtout pourquoi encore aujourd'hui, et pourquoi elle se posera à jamais. La démonstration est aussi cruelle qu'éclairante.
Le mot antisémitisme est né sous la plume d'un philologue autrichien en 1860 puis repris en 1879 par Wilhelm Marr, un Allemand. Il convient de souligner que la philologie est une spécialité germanique, dont l'une des catégories est le langage « sémitique ». En découle une perspective culturelle visant la bipolarité Aryens / Sémites. L'auteur préfère user du terme de judéophobie. Il en retrace l'histoire, celle des exclusions entre communautés : Grecs, Egyptiens, Romains, Chrétiens. Un panorama des haines : monothéiste, athée, mondialisée …
Après le choc de la Shoah, la situation des Juifs ne fut jamais aussi favorable que pendant les trente années qui la suivirent. Pour la première fois depuis la chute du Second Temple, un Etat put se revendiquer du peuple juif. Un consensus s'impose alors parmi les instances intellectuelles et politiques d'Occident autour de la délégitimation de toutes les formes de judéophobie. Sauf en Union Soviétique
Si la judéophobie est née avec le christianisme, elle est donc « de droite », mais l'antisémitisme d'aujourd'hui vient de « la gauche », parmi ceux qui se considèrent comme exploités, humiliés, menacés : du ressentiment naît la xénophobie – un sondage de 2019 révèle que 44% des sympathisants des Gilets jaunes adhéraient à la thèse d'un complot sioniste mondial, contre 22% (quand même !) dans la population française.
Le phénomène se développe avec l'essor des idéologies et mythologies marginales et complotistes. L'effondrement du modèle marxiste et la droitisation continue de la société israélienne, substitue pour certains intellectuels de gauche militants le concept de « classe » à celui de « race ». le prolétaire est devenu l'immigré, et une partie de la gauche radicale est accueillante à la problématique de la traditionnelle judéophobie du XIXème siècle, sous couvert désormais d'antisionisme.
La conclusion de cet essai historique est tragique. La judéophobie ne remonte pas à la nuit des temps mais prend date pour être éternelle.
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