« Stalinien un jour, stalinien toujours… » scandions-nous en mai 68, face aux dirigeants du PCF et de la CGT, que nous trouvions bien conservateurs.
Le slogan s’applique de la même manière aux trotskystes lambertistes, avec en prime leur goût immodéré pour l’opacité, le comportement plus encore sectaire que celui des cocos.
Les choix de jeunesse sont des marqueurs qui ne s’effacent pas avec l’âge, la France Insoumise c’est pour Mélenchon sa boutique qu’il tient d’une main de fer, sans réelle démocratie interne, il est le chef, il décide et tout le monde suit.
Je verse au dossier 2 pièces vous en faites ce que vous voulez :
Comment être de gauche en France aujourd’hui ? ICI
Résumé
Nupes, affaire Taha Bouhafs : assiste-t-on au retour d'une gauche autoritaire ? Comment expliquer cette tendance de la principale force de gauche aujourd’hui à renouer ainsi avec les pratiques opaques que l’on croyait dépassées ?
Avec :
Thomas Guénolé (Politologue), Stéphanie Roza (Chargée de recherches au CNRS, spécialiste des Lumières et de la Révolution française.), Maud Le Rest (Journaliste, spécialiste de l’histoire des féminismes), Fatima Benomar (Co-fondatrice du mouvement #NousToutes).
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Le 10 mai 1981, la gauche unie arrivait au pouvoir après que sa frange radicale ait accepté le leadership de la gauche modérée. Aujourd’hui, c’est le contraire. Au sein de la Nouvelle Union Populaire Economique et Sociale, ce qu’il reste de la gauche modérée s’est rangé sous la bannière radicale de Jean-Luc Mélenchon pour présenter un programme commun qui sera défendu par ses candidats à la députation le mois prochain.
Or, l’Union à peine constituée, le parti même de Jean-Luc Mélenchon La France insoumise s’est retrouvée sur la sellette la semaine dernière, avec le retrait de l’une de ses figures montantes, le jeune militant Taha Bouhafs pressenti pour être candidat dans la 14e circonscription et qui a dû se retirer en raison d’accusations non prouvées d’agressions sexuelles et même de viols. L’affaire déjà grave en soi a pris une ampleur politique aberrante quand les responsables de La France insoumise ont donné le sentiment de soutenir publiquement Bouhaf en attribuant son retrait au racisme ambiant, avant de reconnaitre le motif réel de son éviction une fois celui-ci révélé par les médias.
Or, l’histoire de La France insoumise de ces dernières années montre que ses dirigeants ont plusieurs fois invoqué contre des militants des accusations d’agressions sexuelles qui se sont dégonflées par la suite. Au-delà de ces péripéties inexplicables, donc, l’affaire pourrait bien se révéler plus complexe qu’il n’y parait. Les dysfonctionnements et pratiques qu’elle révèle obligent en tous cas à réfléchir. Comment expliquer cette tendance de la principale force de gauche aujourd’hui à renouer ainsi avec les pratiques opaques que l’on croyait dépassées ?
Assiste-t-on au retour d'une gauche autoritaire ?
Thomas Guénolé évoque les dérives sectaires du parti La France insoumise, il retrace son parcours : "Je suis arrivé à la maison Mélenchon par conviction, par enthousiasme, mettre la question sociale et la question de l'antiracisme au centre, ça me va très bien, mais une fois que vous êtes dedans, en tout cas, moi, c'est ce qui m'est arrivé, ce que j'ai découvert petit à petit, c'est une machine dictatoriale, orwellienne.(...) l'individu doit s'effacer devant la parole du parti (...) Thomas Guénolé esquisse une comparaison avec 1984 de George Orwell, il analyse "on affiche certaines valeurs et on pratique en interne très exactement le contraire". Maud Le Rest revient sur la sociologie des organisations et indique : "il y a une minorité de gens qui sont autour du leader charismatique qui décide de tout en fait, sans que les militants n'aient jamais leur mot à dire, c'est cela la théorie populiste".
Fatima Benomar évoque l'affaire Taha Bouhafs : "voilà pourquoi cela a abouti, les victimes se sont tournées vers cette militante qui leur a dit : saisissez la cellule mais écrivez en parallèle à Caroline de Haas, à Sandrine Rousseau et à Clémentine Autain -pour certaines récemment arrivées dans la galaxie NUPES- elles auront beaucoup moins le réflexe d'entraver vos témoignages ; c'est pour cela qu'il y a eu une prise au sérieux de leur parole".
Stéphanie Roza énonce "quand la réalité des pratiques n'est pas en adéquation avec les principes, ça produit un effet désastreux. Parce qu'à un moment ou un autre le double standard se voit et ça c'est démobilisateur. (...) cette idée d'affaiblir la cause, il faut se défaire de cette illusion".
Avec la Nupes, les liens se resserrent entre les trotskistes lambertistes et Jean-Luc Mélenchon ICI
Le Parti ouvrier indépendant, héritier de la formation trotskiste lambertiste OCI, a investi des candidats aux législatives pour la Nupes et héberge des réunions du « Parlement populaire » dans ses locaux historiques parisiens. Un moyen pour Jean-Luc Mélenchon de renouer avec sa jeunesse militante.
Par Abel Mestre et Julie Carriat
Jean-Luc Mélenchon aime les clins d’œil historiques. Alors, en ce 23 janvier, lors de son intervention pour clôturer la première audition du Parlement de l’Union populaire (PUP, structure réunissant les soutiens à sa candidature à l’Elysée, issus des mouvements politiques partenaires et de la société civile), il ne peut s’empêcher de faire une petite digression qui amuse les militants réunis. « Il y a pour moi une sorte d’humour de situation (…) J’étais, il y a un nombre d’années sur lequel il n’est pas besoin de revenir, assis au fond de cette salle, dans l’organisation à laquelle j’appartenais à l’époque, qui était l’ancêtre du POI [Parti ouvrier indépendant] qui nous accueille aujourd’hui. »
M. Mélenchon fait allusion à l’Organisation communiste internationaliste, l’OCI, formation historique du trotskisme lambertiste (du pseudonyme de son fondateur et dirigeant Pierre Lambert), aile orthodoxe de cette famille politique, pratiquant l’entrisme et aux multiples obédiences. Le Parti ouvrier indépendant (POI) en est aujourd’hui l’un des héritiers, avec le Parti ouvrier indépendant démocratique (POID), séparation issue d’une scission en 2015. Mais, surtout, le POI est un partenaire historique du mélenchonisme. Ses membres soutiennent La France insoumise (LFI) depuis le début de son histoire en 2017 et sont partie prenante de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) pour les législatives, contrairement aux autres trotskistes du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).
Ce compagnonnage n’a rien d’étonnant : Jean-Luc Mélenchon (qui n’a pas donné suite à nos demandes) et Alexis Corbière, l’un de ses plus proches lieutenants, sont d’anciens lambertistes. Un héritage politique qu’ils n’ont jamais caché. Certains fondamentaux du mélenchonisme sont d’ailleurs partagés avec le lambertisme, comme le combat contre les institutions de la Ve République, un certain euroscepticisme et, plus largement, la mise en avant de l’identité républicaine et laïque du mouvement ouvrier français, ou encore la référence permanente à la « grande Révolution » de 1789.
Ce cheminement commun apparaît au grand jour pour les élections législatives des 12 et 19 juin. Toute petite organisation politique mais très implantée à Force ouvrière, le POI voit l’un de ses dirigeants, Jérôme Legavre (contacté, il n’a pas répondu à nos sollicitations), investi dans la 12e circonscription de Seine-Saint-Denis, au départ prévue pour Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Officiellement, c’est le seul membre du POI investi à ce titre. Mais au moins trois autres militants sont aussi candidats, en tant que titulaires ou suppléants, aussi bien dans le Pays de Retz que dans le Var ou les Yvelines.
Trésor de guerre
Paul Vannier, le « monsieur élections » de LFI botte en touche : « Je ne les connais pas. Beaucoup de militants de LFI ou de l’Union populaire sont aussi membres d’un parti politique… Le POI est engagé dans l’Union populaire depuis sa fondation. Certains de ses membres ont été proposés comme candidats par les “insoumis” lors d’assemblées de circonscription dès décembre 2021. Jérôme Legavre a été investi dans le cadre d’un accord politique passé entre LFI et le POI au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. »
Pour La France insoumise, le POI (qui n’a pas non plus donné suite à nos demandes d’entretien), en plus d’être un allié loyal, a un avantage : il a un patrimoine immobilier impressionnant qui s’avère bien utile. En effet, LFI n’a jamais eu de local à la mesure d’un mouvement voulant incarner le premier opposant de gauche à Emmanuel Macron. D’abord installé rue de Dunkerque, dans le 10e arrondissement de Paris, le siège était trop petit. Pour la présidentielle, les mélenchonistes ont emménagé dans le même arrondissement, passage Dubail, dans des locaux biscornus. Clairement insuffisants pour organiser de grandes réunions avec tous les soutiens.
Or, après la scission de 2015, le POI a conservé un trésor de guerre : le bâtiment historique des lambertistes. C’est là que se sont déroulées les sessions du Parlement populaire. « Les quatre ou cinq réunions que l’on a eues en physique étaient au POI, ça nous permettait d’avoir un espace suffisant : 300 personnes dans le même lieu, avec des ateliers en haut. Le POI fait partie du Parlement, c’est l’une de ses très nombreuses composantes. Le lieu, c’est simplement parce que c’était le plus pratique, il ne faut y voir aucune intention », minimise Aurélie Trouvé, présidente du Parlement de l’Union populaire. Trois des membres du PUP apparaissent en tant que représentants du POI, d’autres lambertistes, comme l’historien Jean-Marc Schiappa (qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien), sont présentés comme issus de la société civile.
Ambiance un rien paranoïaque
Le lieu n’a rien d’anodin et a une forte charge symbolique que Jean-Luc Mélenchon ne peut ignorer. Un peu comme si le leader de la Nupes bouclait son histoire militante. Situé au 87, rue du Faubourg-Saint-Denis, toujours dans le 10e, c’est presque aussi grand qu’un pâté de maisons. Plusieurs bâtiments sont distribués autour d’une cour intérieure. Le « 87 » abrite également une librairie, la Société d’édition et librairie d’informations ouvrières, où l’on peut trouver les classiques du marxisme, du léninisme et du trotskisme, mais qui propose également les ouvrages de Jean-Luc Mélenchon, d’Alexis Corbière et d’autres « insoumis » de premier plan, comme Eric Coquerel ou Adrien Quatennens.
L’entrée du « 87 » est dotée d’une discrète caméra de vidéosurveillance, et on y pénètre après avoir sonné à un interphone. Il arrive aussi que le visiteur soit gentiment éconduit, même lorsque l’on veut aller à la librairie pour acheter un exemplaire du Programme de transition de Léon Trotsky. « Pour entrer au 87, il ne faut pas y aller seul. Mais si l’on est identifié [comme militant ou sympathisant], pas de problème », explique aujourd’hui Philippe Campinchi, ancien lambertiste, ex-président du syndicat étudiant UNEF-ID dans les années 1990, contrôlé alors par ces trotskistes un peu particuliers. Il décrit une ambiance un rien paranoïaque. « L’immeuble était sécurisé sur les toits », se remémore-t-il encore.
A l’époque, l’activité du local atteint son acmé entre le mercredi et le samedi. Le premier jour du week-end, les militants passent prendre le journal et les tracts pour les marchés du dimanche, ainsi que les affiches ou les pétitions pour la campagne en cours. Le mercredi, leur efficacité est mesurée : les résultats sont centralisés et dépouillés. Les « phalanges » (cotisations) sont centralisées. Payées en liquide, évidemment, pour ne pas pouvoir tracer l’origine et dans un souci de garder tout clandestin.
« La ruche centrale »
Dans son livre Les Lambertistes, un courant trotskiste français (Balland, 2000), M. Campinchi décrit une intense activité militante, où les gens se croisent pour assister aux réunions qui se succèdent. Une équipe de militants franciliens, la « garde de nuit », est même quotidiennement mobilisée pour surveiller le local entre 19 heures et 7 heures. « Voici donc la ruche centrale, propriété foncière du mouvement, centre intellectuel, stratégique, tactique et militant. (…) Parler de “87” est devenu un signal de reconnaissance, un code entre militants. Se rendre au “87” signifie se rendre au local, au saint des saints. » C’est dire si la mise à disposition de la grande salle du « 87 » pour les sessions du Parlement populaire est un symbole politique fort.
Le « 87 » est connu de tous les militants de gauche. Les lambertistes y ont emménagé en 1969. Dans son livre retraçant ses années lambertistes, La Dernière Génération d’octobre (2003), l’historien Benjamin Stora écrit : « Pendant plusieurs mois, à partir de septembre 1969, je m’y suis rendu régulièrement pour y accomplir des tâches de maçonnerie, de nettoyage et de réfection. Je faisais partie des “brigades de bénévoles de jeunes” que l’organisation appelait de ses vœux. (…) Après toutes ces heures, ces journées, ces week-ends à suer et à verser tant d’argent pour bâtir ce local, je me suis parfois demandé, en plaisantant, si je n’étais pas, avec beaucoup d’autres, un peu “propriétaire” de cet immeuble de la rue du Faubourg-Saint-Denis… » Un sentiment de « copropriété » morale – notamment parce que le local a été acquis grâce aux dons et cotisations des militants – encore largement partagé dans ces milieux.
Crime de lèse-trotskisme
Le fait que l’Union populaire se réunisse dans la salle historique qui a vu les interventions de Pierre Boussel (le vrai nom de Pierre Lambert), Stéphane Just ou Pierre Broué, en a ainsi ulcéré quelques-uns. Daniel Gluckstein, dirigeant des rivaux du POID, s’est fendu d’un long texte s’offusquant de voir le drapeau français mis en avant par le Parlement populaire. De même, voir les « insoumis » entonner le chant des « gilets jaunes » dans la cour du « 87 » relève quasiment du crime de lèse-trotskisme pour le POID. « Pierre Lambert se retournerait dans sa tombe en voyant comment sont trahis les extraordinaires efforts militants qui avaient permis d’acquérir ce local. (…) Cette grande salle du 87, rue du Faubourg-Saint-Denis, hier pavoisée de drapeaux rouges, de portraits de Marx, Lénine, Trotsky, aujourd’hui pavoisée de tricolore et d’affiches à la gloire du nouveau Front populaire. »
Pour M. Gluckstein, le drapeau tricolore est celui « des Versaillais » (lors de la répression de la Commune de Paris en 1871) et le dirigeant rappelle que Léon Trotsky a vertement critiqué la stratégie de Front populaire dans plusieurs textes réunis notamment dans le recueil Où va la France ? (1938).
Certains militants trotskistes lambertistes craignent que cet usage du « 87 » ne cache un autre dessein : celui du rachat, partiel ou total, du siège du POI par l’Union populaire, en pleine dynamique politique et qui est devenue le premier parti de la gauche française. Un soupçon démenti, début mai, par des cadres mélenchonistes.
Abel Mestre et Julie Carriat