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2 mai 2022 1 02 /05 /mai /2022 06:00

3074788-4385599 | Breizh Journal

La Mothe-Achard - Carte postale ancienne et vue d'Hier et Aujourd'hui -  Geneanet

Combien de fois ai-je du décliner sur des paperasses inutiles cette origine géographique, je ne sais. Certains lecteurs rencontrés me parlent de l’évocation fréquente de mes racines dans mes chroniques. Certes j’ai raciné pendant mes vertes années dans la glaise du bas-bocage mais depuis je vis ailleurs sans me sentir déraciné. La Vendée c’est le premier bout de ma vie, mon élevage de sauvageon, mes premières expériences, tout ce à quoi je me réfère lorsque j’évoque mes origines. Pour autant je ne tire d’elles aucun sentiment identitaire. Toute l’idéologie récupératrice autour du conflit entre les Vendéens et la République me hérisse le poil. Pire ceux qui me qualifient de Chouan. Comme le rappelle Louis Chaigne « il est superflu de rappeler que les Vendéens ne sauraient être confondus avec les Chouans. Le Chouannerie est essentiellement bretonne et normande. » Quand à la Vendée contemporaine elle ne se réduit pas au Puy-du-Fou et je n’en dirai pas plus ici.

 

« Qui connaît la Vendée, cette rivière modeste, serpentant sur 82,5 km, avant de se fondre dans la Sèvre niortaise, fleuve tout aussi nonchalant, qui se jette dans l’Atlantique, en face de l’île de Ré ? C’est pourtant la Vendée qui donne un nom au département créé en 1790 et dont le chef-lieu est alors Fontenay-le-Comte. La petite histoire veut que les députés de l’Assemblée constituante aient d’abord pensé appeler le département Les Deux-Lays, du nom de deux autres rivières, avant de craindre que deux députés du lieu, particulièrement désavantagés par la nature, n’en prennent ombrage.

Vraie ou fausse, la petite histoire dit en tout cas la création ex nihilo du département et de sa désignation. Jusque-là, les habitants du diocèse de La Rochelle dépendaient du Poitou, commandé par la ville de Poitiers, ils étaient séparés au nord par une quasi-frontière avec la Bretagne qui s’étendait jusqu’à Clisson et Machecoul, et n’avaient guère de relations avec les habitants des Mauges, dépendant du Maine, commandé par Angers. Les trois provinces avaient des régimes d’imposition différents les unes des autres, la Bretagne notamment profitait de taxes particulièrement basses sur le sel, ce qui entraînait une contrebande importante sur ses limites.

Personne n’aurait imaginé que le mot « Vendéens » puisse désigner d’autres populations que ces bas-poitevins coincés entre Nantes et La Rochelle, désunis entre eux, puisque les bocains, du Haut Bocage, les maraîchins de la côte, et les Plainauds du sud, vivaient selon des modes différentes, qu’elles soient agricoles, vestimentaires et religieuses ! Impossible d’imaginer que « Vendéens » allaient pouvoir s’appliquer aux gars du Pays de Retz (les paydrets), au sud de Nantes, autour de Machecoul, aux tisserands et éleveurs du Choletais ou aux métayers du Bressuirais, qui dépendaient de provinces différentes, tournées vers Nantes, Cholet, Angers, Poitiers !

Pourtant c’est ce qui se produit à partir de 1783 et c’est l’objectif de ce livre de raconter comment une région s’est formée dans la guerre et comment une identité inattendue s’est forgée. Tout changea ave l’évènement inattendu de mars 1793 déclenchant « la guerre de Vendée » et ses conséquences dramatiques. Sans qu’elle n’eût jamais de limites précises, une « région » imaginaire devint un acteur essentiel de la vie politique nationale, avant de se transformer en « région-mémoire » façonnant ses habitants, les individualisant vis-à-vis de leurs voisins, les édifiant en modèles, adulés ou contestés, pour l’opinion mondiale, finissant par créer une société inédite et durable.

Toutes les guerres sont dramatiques, et la guerre de Vendée n’est pas différentes des autres, à ceci près qu’elle est la dernière grande guerre civile que la France a connue. Mais peut-être faudrait-il préciser les choses. Les Vendéens, les insurgés du sud Loire qui se battaient contre la Révolution, avaient-ils bien conscience d’être Français ou ne voulaient-ils pas d’abord conserver leurs identités provinciales, protégées par la royauté depuis des siècles ? La véritable guerre civile, elle aussi terrible, ne s’est-elle pas menée au sein du camp républicain, entre révolutionnaires de tendances distinctes ? Celle-ci aggravant, nourrissant celle-là. Le résultat est que cette guerre vieille de plus de 200 ans, qui a entraîné la mort d’à peu près 200 000 personnes, entre 1793 et 1796, continue de marquer les esprits, à susciter des passions, et reste, point pour moi le plus important, une guerre dont nous n’avons pas fait le deuil. »

Jean-Clément Martin professeur émérite de l’Université Paris 1. Il a dirigé l’Institut d’Histoire de la Révolution française et a consacré sa carrière à l’étude de la Révolution, de la Contre-Révolution et de la guerre de Vendée.

Les Vendéens  192 pages PUF

Les vendéens

LA VENDÉE : UN PASSÉ QUI NE PASSE PAS ? ENTRETIEN AVEC JEAN-CLÉMENT MARTIN

Si la mémoire de la Révolution française constitue encore aujourd’hui un sujet de polémiques, la “Guerre de Vendée” (1793-1796) en est certainement l’épisode le plus sulfureux. Simple guerre civile, opération de défense de la République contre les monarchies coalisées ou génocide qui préfigure les pires heures du XXème siècle ? Nous avons posé la question à Jean-Clément Martin, historien, professeur émérite à l’université Paris 1, chercheur au CNRS, membre de la société des études robespierristes et auteur de nombreux ouvrages sur cet épisode (La Vendée et la France, La Vendée de la mémoire…), qui a accordé cet entretien à LVSL.

LVSL – Comment expliquer cette permanence de la mémoire de la guerre de Vendée ? Les conflits politiques autour de la guerre de Vendée ont-ils été nombreux depuis l’instauration de la Troisième République ?

 

Jean-Clément Martin – La présence de la guerre de Vendée dans la mémoire collective est une particularité française qui garde toute son actualité en 2018, comme en témoigne la publication récente du livre de Patrick Buisson parmi tant d’autres ouvrages qui sont à relier avec l’activité importante de Philippe de Villiers autour du Puy-du-Fou. D’une certaine façon, il s’agit là de la suite de deux cents ans de polémiques et de commémorations, mais alors que le souvenir de la Révolution se fait moins présent qu’il ne l’était dans les siècles précédents, celui de la Vendée continue au contraire de manifester un dynamisme dans la foulée de ce qui a été créé dans les années 1980.

Une raison parfaitement objective peut expliquer cette situation. Le souvenir est lié à un événement tout à fait important, puisqu’il s’agit de la dernière guerre civile importante que le pays ait connue et qui a laissé derrière elle au bas mot 200 000 morts. Cependant, la vraie raison est ailleurs. Se règle en ce moment une réinterprétation de l’histoire de France qui modifie les perspectives si bien que la mémoire collective peine encore à l’intégrer correctement. Il ne doit pas y avoir le moindre malentendu sur ce point, la Vendée a été depuis 1793 jusqu’à aujourd’hui une question essentielle, marquant les différentes époques des deux siècles précédents. La naissance du Comité de salut public lui est due, elle est l’objet d’innombrables discussions au sein des assemblées, elle est au cœur du règlement de comptes qui se met en place après l’exécution de Robespierre, devenant l’exemple par excellence de « la Terreur », elle est par la suite l’objet de l’attention de Louis XVIII et de Charles X et la bête noire des républicains de la IIIe République qui entretiennent une guerre des monuments, des symboles et des publications particulièrement fructueuse. Nous vivons encore largement sur les legs érudits et artistiques que ce moment a suscités et dont nous continuons encore à débattre. Devant la prolifération des traces et la force de leurs rappels, il est pour le moins paradoxal comme l’écrit régulièrement Reynald Sécher de dire qu’il y eut mémoricide de la Vendée. Les chouans bretons, les contre-révolutionnaires basques, les partisans de la « terreur blanche » du Midi, ou même les « enragés » sans-culottes hostiles à Robespierre et aux meneurs de la sans-culotterie auraient largement de quoi se plaindre davantage de leur disparition de l’espace mémoriel national.

 

Il est possible toutefois de penser que la vraie question est ailleurs. D’une part, ce succès mémoriel est resté d’abord polémique, si bien qu’il a fallu attendre les années 1980 pour que les calculs des pertes humaines soient faits sérieusement, attestant que l’histoire de la Révolution a toujours du mal à intégrer dans le récit qui en est fait la Contre-Révolution. Voilà près de trente ans que je souhaite que le rôle exact de la Contre-Révolution dans sa grande diversité soit pris en compte pour éviter que l’on juge de la Révolution comme si ses seuls adversaires avaient été les émigrés aux frontières et surtout les factions internes au camp révolutionnaire – lui aussi d’une grande diversité. Or, d’autre part, cette incapacité à penser la Révolution de façon complexe s’est aggravée depuis le bicentenaire qui a focalisé l’attention sur les totalitarismes et leurs victimes.

 

“La Vendée a été considérée comme prémonitoire du Goulag et comparable à des génocides”

 

La Vendée a été considérée comme prémonitoire du Goulag et comparable à des génocides, avant que, depuis une quinzaine d’années, la « terreur » devenue un nom commun soit amalgamée avec les terrorismes de tout poil, dont, évidemment le terrorisme « islamiste ». Le fait que notre mémoire nationale ait continuellement réalimenté les conflits idéologiques qui avaient été liés à la guerre de Vendée depuis 1793 nous a rendus incapables de faire, ensemble, le deuil de l’événement. Tant que le souvenir de la Révolution mobilisait des groupes et organisait un champ de pensée l’équilibre pouvait encore se faire ; en ce XXIème siècle, le principe même de révolution a été tellement mis en doute qu’il ne reste que son challenger, la Contre-Révolution, illustrée par la Vendée, promue victime exemplaire.

 

LVSL – Dans quel contexte commence la guerre de Vendée ?

 

Jean-Clément Martin – Devant cette situation il me semble qu’il convient de revenir encore et encore à un exposé précis des faits avérés, sans a priori. Un point essentiel est de savoir qui a parlé de guerre de Vendée et à quel moment, alors que ce genre d’appellation n’a jamais été en usage pour évoquer les années d’affrontements qui eurent lieu dans la vallée du Rhône ou dans le Midi, pas plus que pour la quinzaine d’années de « chouannerie » bretonne. Or, comme je l’ai montré il y a maintenant trente ans, la « guerre de Vendée » est une expression qui naît à Paris, à la Convention, quand les Montagnards accusent les Girondins de ne pas avoir de politique assez rigoureuse contre les contre-révolutionnaires et contre les insurgés qui se sont levés dans un gros quart du pays à l’occasion de la levée des 300 000 hommes. Il n’est pas utile de retracer l’histoire qui suit, mais il l’est de relever que cette désignation suffit à transformer un épisode modeste, une défaite d’une troupe républicaine le 13 mars 1793 dans le département de la Vendée, en événement capital témoignant que l’équivalent de Coblence existe dans le pays et que cet autre ennemi public numéro 1 est la Vendée. Cette désignation conduit à y envoyer des contingents depuis toutes les provinces et à créer une armée incohérente et divisée autour d’opinions politiques incompatibles, ce qui provoque une succession d’échecs militaires rendus d’autant plus graves que chaque camp rejette sur les autres la responsabilité. Rapidement, cela entraîne une montée continue des violences, déjà à un haut niveau partout dans le pays, et mène à la prise du pouvoir par les groupes sans-culottes au sein du ministère de la Guerre, transformant la guerre de Vendée en machine de guerre contre les Conventionnels !

 

Non seulement il n’existe pas d’identité vendéenne avant la guerre de 1793 mais surtout les mesures qui ont été prises n’ont pas créé un groupe précis

 

Les batailles qui se déroulent dans l’automne 1793 sont d’une très grande violence et donnent la victoire aux armées dirigées par les sans-culottes, les armées vendéennes doivent quitter la région et aller de Cholet jusqu’à Granville pour essayer de joindre les armées anglaises. Leur échec est suivi d’un retour vers la Loire jalonné de combats très meurtriers et de massacres. La répression qui suit, notamment à Nantes, avec les fameuses noyades, ou à Angers, est effroyable et concerne des milliers de personnes. Pourtant, l’épuisement des troupes sans-culottes et la reprise en main par le Comité de salut public, via le gouvernement révolutionnaire, de la direction politique du pays contribue à changer le cours de la guerre, sauf sur un point, l’envoi sous la conduite du général Turreau de colonnes incendiaires, vite renommées infernales, dans toute la région. Ces colonnes commettent surtout dans les Mauges et le Haut Bocage vendéen des atrocités sur toutes les populations rencontrées, qu’elles soient blanches ou bleues. A partir de mars, la mutation politique repérée dès décembre à la Convention se traduit par la fin de ces opérations de dévastation au bénéfice d’une pratique guerrière plus traditionnelle. Mais ces exactions ont eu pour effet de relancer les bandes armées, autour de Charette et de Stofflet, qui continueront d’être actives et dangereuses jusqu’en 1795.

 

LVSL – Quelle politique a eu le Comité de salut public vis-à-vis de la Vendée ? Cette politique a-t-elle mené à un génocide comme le pensent certains auteurs comme Patrick Buisson dernièrement ?

 

Jean-Clément Martin – Non seulement il n’existe pas d’identité vendéenne avant la guerre de 1793 mais surtout les mesures qui ont été prises n’ont pas créé un groupe précis. Des lois ont été faites pour « exterminer les brigands de la Vendée », comme d’autres entendaient tuer d’autres « brigands » d’autres régions – héritage dans le droit de la culture de la violence venue de l’Ancien Régime. Aucune limite territoriale n’a été fixée pour délimiter un espace dans lequel la répression devait s’abattre. Il y eut même l’attribution de sommes conséquentes au profit des « réfugiés de la Vendée », au bas mot plus de 20 000 personnes, pour leur permettre de vivre hors de la guerre, et il y eut aussi la recension des Vendéens patriotes afin que leurs biens soient protégés de toute réquisition. Le cadre de la loi est évidemment fragile dans de pareilles circonstances : non seulement des femmes et des enfants jugés complices des « brigands » ont été mis à mort, mais les populations « civiles », y compris patriotes, ont été livrées dans un certain nombre d’endroits à la violence des soldats pillant, volant, violant et brûlant. Cependant même les tribunaux d’exception ont souvent respecté les termes de la loi et c’est au nom des lois que quelques officiers, responsables d’exaction, ont été poursuivis et exécutés. Le silence de la Convention, du Comité de salut public et de Robespierre sont assurément à juger, mais outre leur ignorance de la réalité régionale ils ont été pris dans des jeux d’alliances qui les ont conduits à l’évidence à laisser les sans-culottes mener ce genre d’opérations pour supprimer la menace vendéenne qui était très réelle et aussi pour les épuiser. Les violences de guerre, incontestablement d’une grande ampleur, ne relèvent pas d’une politique génocidaire, mais s’apparentent à d’autres luttes qui existèrent dans l’histoire du monde entre Etat et paysanneries, celles-ci traitées comme des rebelles par celui-ci. A cet égard, il n’y a pas d’exception vendéenne, des violences identiques ont été commises ailleurs (notamment en Italie dans les années 1797-1815). Dit autrement, il y eut indiscutablement de nombreux crimes de guerre mais ni génocide ni populicide, terme inventé en 1794 dans un contexte de luttes politiques et remis au goût du jour au moment du bicentenaire.

 

Propos recueillis par Gauthier Boucly.

 

 

Jean-Clément Martin : à propos du « génocide vendéen ». - La Révolution  Française à Nogent le Rotrou

SUR LA GUERRE DE VENDÉE ET LE « CONCEPT DE GÉNOCIDE » ICIUNE MISE AU POINT HISTORIQUE

 mercredi 7 mars 2018 

Guerre de Vendée : "Il n'est pas possible de parler de 'génocide'"

A propos du "génocide vendéen". Du recours à la légitimité de l'historien ICI

[article]

Jean-Clément Martin

Sociétés Contemporaines  Année 2000  39  pp. 23-38

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commentaires

J
Tout à fait d'accord, témoin ce texte de 2012 :<br /> <br /> Quand l'histoire est instrumentalisée...<br /> <br /> Plus de deux cents trente ans après les exactions et horreurs commises en Vendée de janvier à avril 1794 par les brigades de Turreau, la mémoire demeure et divise encore les Vendéens, savamment exploitée par d'habiles politiques locaux, au XIXe d'abord, puis au XXe. . Plus encore quand un certain Philippe de Villiers, démissionnant de son poste de sous-préfet le lendemain de l'élection de Mitterrand «pour ne pas servir un état socialiste », devenait président du conseil général en 1988 , et utilisait sa cinéscénie du Puy du Fou , qu'il avait créé en 1978, pour promouvoir sa version fantasmée et révisionniste des évènements de 1793.<br /> C'est lui aussi qui ressortira en 1989 (!) le logo (créé à la demande des représentants anti républicains de Vichy répondant à un concours proposé par le Maréchal, pendant l'occupation en 1943), le fameux double cœur surmonté d'une croix et d'une couronne, pour l'imposer à tous comme symbole du département, logo qui, près de 30 ans après, suscite toujours la polémique. On me dit qu'au Puy du Fou, on ne parle pas des horreurs commises contre les protestants pendant plus de deux siècles (en gros, de 1534 à 1787 ) par les dragons de leurs très saintes et catholiques Majestés François Ier, Henri III, puis Louis XIV, XV et XVI ! Étonnant, non ? L'histoire de la Vendée selon Ph. de V. et son successeur ne commencerait donc qu'en 1793 ?<br /> Il est « amusant » de comparer, à une époque où l'on met tout en chiffres, les 250 ans de persécutions des Protestants, et les quelques mois d' exactions des Colonnes « infernales » ! Comme si des atrocités commises au nom d'un Roi de droit divin étaient plus acceptables que celles, similaires, perpétrées au nom de la République sans dieu, cela n'excusant pas ceci. Les Dragonnades ont fait plus de victimes que la terreur, et la fuite des protestants après la révocation de l'Édit de Nantes a privé le pays, et la Vendée, d'un nombre considérable de cerveaux pleins d' idées progressistes! Mais, me direz-vous, pourquoi un conflit vieux de 230 ans a-t-il pu imprégner aussi profondément et durablement la mémoire de la société vendéenne alors qu'il en fut autrement dans les autres départements de la « Vendée militaire » pourtant durement réprimés eux aussi, autour de Nantes, Cholet, Angers ou Bressuire, non plus que dans le Lyonnais, le Bordelais et Toulon où sévirent Collot d' Herbois , Tallien et Barras ? Mais tout simplement parce que, ici, jugeant ces évènements anciens à l'aune de leurs propres idées, des hommes, religieux et politiques de la droite conservatrice et anti républicaine, se sont consacrés âprement à la diffusion et à l' enracinement de la mémoire, par esprit de revanche et pour affirmer des convictions politiques très éloignées, vous vous en doutez bien, des idéaux républicains et de la philosophie des Lumières. Il suffit de se remémorer les réactions haineuses dans l' Ouest contre la Loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'État pour s'en convaincre et les violences autour des « inventaires des biens de l'église », orchestrés sous le gouvernement d'un Vendéen, de gauche et anticlérical, Georges Clemenceau. Le Clergé et les politiciens de la droite catho-royaliste mais aussi des associations comme « Le Souvenir Vendéen » (créée en 1932, elle a fait inaugurer, de 1932 à 1987, plus de cent plaques et croix commémoratives évoquant le « peuple martyr »)ou « La Vendée Militaire » (association créée en 1975 par Dominique Lambert, nom auquel il a modestement ajouté le pseudonyme de « de la Douasnerie », inventeur des "veillées vendéennes" destinées à l' édification des masses populaires ), se sont donné pour mission de "protéger et entretenir" la mémoire de ces guerres, par des publications, des cérémonies, des monuments, des rassemblements... Dès 1712, le pape Cément XI lançait sa grande reconquête de l'ouest pour y restaurer la foi, envoyant notamment Louis Marie Grignon de Montfort (curé breton fondateur des Frères de St Gabriel à St Laurent sur Sèvre en Vendée où il est mort en 1716). Sous sa houlette, la Vendée s'est ainsi couverte de centaines de croix de mission. L'ignorance a conduit à croire que la Vendée avait été de tout temps une terre catholique. <br /> La comparaison entre la répression des Républicains et la barbarie nazie est sciemment entretenue (ce n'est pas pour rien que Soljénitsine, in,vité ^par de Villiers à, l'inquguration qualifia en 1993 Les Lucs-sur-Boulogne d' « Oradour vendéen » ). Tous se sont engouffrés dans le vide de l'oubli volontaire et les approximations ( la légende de Bara par ex. inventée par les républicains) des programmes scolaires voulus par la IIIe République. Y avait- il volonté de punir cette Vendée traîtresse ou de gommer des actes dont on n'avait pas à être fier ? On le sait maintenant, la République répugne à reconnaître ses erreurs... et ses horreurs ! Il suffit de se replonger dans les manuels d' histoire de l'école primaire du XXe siècle, jusque dans les années 60, pour constater le peu de place consacré aux guerres de l'Ouest et aux atrocités de la colonisation. <br /> Dès 1830, et encore récemment, la Vendée se couvre de croix, de plaques commémoratives, de monuments, de chapelles aux vitraux éloquents (voir ceux de la Tulevrière), à la mémoire des « martyrs » de 93 et à la gloire des chefs de l'Armée catholique et royale, les Charrette, Lescure, Cathelineau, Bonchamps et consors, on exhibe des reliques, vêtements ou objets de culte ayant appartenu aux prêtres réfractaires, on reconstitue des camps dans la forêt (comme à Gralas ), on met en scène des combats de « Géants ».... Des chansons naissent pour glorifier ces « Héros » vendéens, contribuant à créer la légende (autour de Charette par ex. ). Bien qu'elles soient nées à la fin du XIXe, et même après, la plupart des gens les croient « d'époque ». Des livres sont écrits et largement diffusés, « pédagogiques », certains destinés aux jeunes enfants, sous formes de B.D. édifiantes, sachant bien en la matière que le catéchisme est toujours plus efficace si l'âge est plus précoce (on les trouve dans tous les « points de vente » du C.G., au P. du Fou, bien sûr, mais aussi à la Chabotterie, Maillezay, Grammont, Nieul sur l'Autise, La Grainetière, etc... où, en revanche, on ne rencontre aucun ouvrage contradictoire de Jean Clément Martin, François Lebrun ou Claude Langlois, pour ne citer que ces trois historiens ). Bien entendu, le manichéisme aidant, les Bleus y sont les méchants bourreaux et les Blancs, les gentilles victimes. Dans le chiffre des morts (près de 70 000, ce qui est déjà beaucoup, mais loin des 400 000 avancés par Secher, certains, comme Chaunu, allant même jusqu'à 600 000, chiffre qui dépasse largement celui de la population de l'époque qui était environ de 240 000 habitants (elle est de 650 000 aujourd'hui!) on ne compte jamais les morts patriotes, sans doute aussi nombreux.<br /> Le terme de ''populicide'', puis de "génocide", appuyé par des chiffres largement exagérés, introduits par ces associations et repris par Ph. De V., apparaît sous la plume d'historiens aussi contestés que Pierre Chaunu (soutien inconditionnel de Ph. de V.), qui porte bien ostensiblement son titre de Professeur à la Sorbonne en guise de caution scientifique ou Reynald Sécher (« La Vendée-Vengé» ou « le génocide franco-français », sous-titre dont P. Chaunu, qui préface le livre, revendique la paternité ), thèse reprise par E. Leroy Ladurie, entre autres. Pierre Chaunu, pour sa part, pense que «la philosophie des Lumières et la Révolution sont responsables de tous les totalitarismes du XXe siècle » allant même jusqu'à affirmer que, je le cite, « le génocide franco-français de l'Ouest est le point de départ, le modèle, l'archétype, la souche d'une série qui comprend le génocide arménien, l'holocauste hitlérien, le goulag soviétique, jusqu'au flamboiement khmer rouge au Cambodge ». On comprend mieux l'admiration de Ph. de V. pour Soljénitsyne et la présence de ce dernier lors de l'inauguration du monument des Lucs/ B. au cours de laquelle il affirmait que «les dirigeants communistes de Russie avaient appliqué les procédés de la Révolution française» et on comprend aussi le but politique de ces manipulateurs.<br /> Les thèses de ces historiens, basées sur la manipulation de chiffres invérifiables, (lire Paul Tallonneau et J.C. Martin) et sur des convictions au service d'une politique d'ultra-droite, sont rejetées par la plus grande partie du monde universitaire mondial. L'historien australien Peter McPhee parle de « la méthodologie grossière et de la polémique peu convaincante de Secher et des faiblesses de son analyse sur le nombre des victimes », réfute le terme de génocide et met en doute les causes de l'insurrection défendues par l'écrivain ( et que contredit Marcel Lidove dans Les Vendéens de 93) . L'État d'alors est très affaibli, en proie aux querelles personnelles ( Robespierre, qui n'a jamais ordonné la destruction de la Vendée, évincé du Comité de Salut Public par les sanguinaires Fouché, Barère, Collot d'Herbois ... qui lui feront porter la responsabilité de la Terreur ), menacé de toutes parts par les armées de la Ligue aux frontières et à l' intérieur par des soulèvements locaux. « Ce n' est pas la violence de l' État qui s' est abattue sur les populations, mais une incapacité à empêcher la violence entre insurgés et patriotes », dit Robespierre ( la peur des deux côtés conduisant à des actes extrêmes de soldats très mal encadrés livrés à eux-mêmes et aussi d' « insurgés » revenus aux vieilles habitudes des anciennes révoltes rurales en l'absence de leurs chefs, spirale de violence qui conduit inévitablement aux atrocités et aux crimes de guerre ).<br /> Des disques de chants (entre autres, une parodie de la Marseillaise en « patois » ou « La catholique », sur l'air de « Dansons la carmagnole » ) sont enregistrés, notamment sous la direction d'un certain J.M. Le Pen , dont on connaît l'attachement pour les chants « patriotiques », quitte à caresser le nazisme dans le sens du poil ! De grands rassemblements sont organisés en des lieux «stratégiques» (le Mont des Alouettes, Les Lucs/Boulogne par ex) sortes de grand messes menées par des prêtres où sont fustigés les méfaits des Bleus, en présence d' autorités ecclésiastiques et politiques : des évêques comme Mgr Cazaux (pas très « clair » sous l'occupation nazie !), des députés comme MM Ansquer et Caillaud, des conseillers généraux comme de Baudry d'Asson, Crucis puis de Villiers, des maires comme de Tinguy du Pouet et de Guerry de Beauregard , et même Jean Yole, ex. fans du Maréchal Pétain et chantre de la Vendée profonde... maires destitués à la Libération pour leur « proximité » avec l'occupant ! ) Le clou sera enfoncé à partir de 1978 par la création du spectacle du Puy du Fou, chantant "l'âge d' or" perdu en 1793 et qui semble avoir été inspiré par « les mémoires de la Marquise de la Rochejaquelain », écrit et promu par celui qui, royaliste notoire proche de l'Action française, deviendra 10 ans plus tard président du C.G. de la Vendée et créera en 1989, anniversaire du bicentenaire de la Révolution, le fameux logo (récupéré du modèle pétainiste de 1943) aujourd'hui omniprésent. Des « lieux de mémoire » sont créés comme le Puy du Fou, la Chabotterie, les Lucs sur Boulogne, La Tulevrière, le Mont des Alouettes etc... L' image du Chouan, figure du paysan mythique, qui se vend décidément mieux que le « péquenot » vendéen, fait recette, sans doute influencée par la littérature ( ''Les Chouans'' de Balzac ou ''Quatre vingt treize'' de V. Hugo ) et le cinéma, même en dehors de la zone concernée par la Vendée militaire ( Hôtel des Chouans à La Faute/mer ou la Cave du Chouan à Jard par ex.), la confusion étant soigneusement entretenue, sachant bien que de chouannerie, il n'y en eut guère ailleurs qu'en Bretagne, organisée par Cadoudal, donnant naissance à des bandes comme celle de Jean Cottereau en Mayenne, en Normandie, dans le Maine et au nord de l'Anjou. Une dernière « chouannerie » touchant la Vendée sera menée en 1832 par la Duchesse de Berry et les légitimistes durant la Monarchie de Juillet, visant à destituer Louis Philippe au profit du Duc de Bordeaux (Henry V). Arrêtée, la duchesse sera emprisonnée dans la citadelle de Blaye en Charente.<br /> Participant à la diffusion du « culte », les enseignes "Au chouan" abondent, restaurants, hôtels, campings, cafés, entreprises, et même un journal d'annonces distribué gratuitement. Le chouan, au même titre que le logo, envahit tout : statuettes de combattants arborant le double cœur sans craindre l'anachronisme, drapeaux, pin's, sacs de super marché, emballages de brioche, bouteilles de vin, papier enveloppant le beurre ou le fromage, poche de sel ou de farine, briques de lait, bornes kilométriques, autobus, bâches de poids lourds, bâtiments publics, T-shirts, bijoux, Pare-brise d' autos, Papier à en-tête du C.G.( d' où a été supprimée en 2009 la mention «République française » !) et bien sûr les inévitables panneaux géants du C.G. au bord des routes et des travaux. Aujourd'hui, les idées reçues sont bien ancrées, non seulement dans l' esprit des Vendéens eux-mêmes, très souvent ignares en ce qui concerne leur propre histoire, mais aussi, dans celui de tous les Français, et même des touristes étrangers. Ainsi, on a réussi à asseoir en Vendée une identité régionale et une mobilisation sociale qui sont devenues l'instrument politique qui a permis, dès les années 80, à Ph. De V. de construire son image. Cette « pédagogie de la mémoire » s' appuie sur le mythe et la légende et l'exploitation du passé par le présent pour démontrer que la Révolution, les révolutions tuent la liberté. Voilà l'idée qui anime une certaine droite française « décomplexée » indigne de gouverner La République.<br /> Le C.G. de Vendée, bravant la loi de la neutralité et méprisant une bonne moitié de la population du département, a dû, depuis 30 ans, dépenser une fortune en subsides publics dans la communication autour de cette question (voir le Vendée-globe), et j' ai bien peur qu'on en ait encore pour longtemps à traîner l'étiquette car « on » œuvre ardemment pour que perdure l'idée que la Vendée est le seul département qui ne soit toujours pas dans le giron de la République issue de 1789.<br /> J.B. octobre 2012 <br /> <br /> Références : Marcel Lidove ( Les Vendéens de 93) Jean-Clément Martin ( Une guerre interminable, Le massacre des Lucs ) Jean Huguet ( « Un cœur d' étoffe rouge » ) François Lebrun ( La guerre de Vendée, Annales de Bretagne, colloques de La roche sur Yon, d' Angers, de Châtillon , qui parlant de la mémoire, écrit : « ...souvenir reconstruit, sans cesse rappelé, là où le peuple le plus souvent ne se souvient pas ...! ») Claude Langlois ( « La Révolution malade de la Vendée ») Paul Tallonneau : «Les Lucs et le génocide vendéen» ou «Comment on a manipulé les textes», «Le cœur vendéen, l' histoire d' un mythe» )
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