Combien de fois ai-je du décliner sur des paperasses inutiles cette origine géographique, je ne sais. Certains lecteurs rencontrés me parlent de l’évocation fréquente de mes racines dans mes chroniques. Certes j’ai raciné pendant mes vertes années dans la glaise du bas-bocage mais depuis je vis ailleurs sans me sentir déraciné. La Vendée c’est le premier bout de ma vie, mon élevage de sauvageon, mes premières expériences, tout ce à quoi je me réfère lorsque j’évoque mes origines. Pour autant je ne tire d’elles aucun sentiment identitaire. Toute l’idéologie récupératrice autour du conflit entre les Vendéens et la République me hérisse le poil. Pire ceux qui me qualifient de Chouan. Comme le rappelle Louis Chaigne « il est superflu de rappeler que les Vendéens ne sauraient être confondus avec les Chouans. Le Chouannerie est essentiellement bretonne et normande. » Quand à la Vendée contemporaine elle ne se réduit pas au Puy-du-Fou et je n’en dirai pas plus ici.
« Qui connaît la Vendée, cette rivière modeste, serpentant sur 82,5 km, avant de se fondre dans la Sèvre niortaise, fleuve tout aussi nonchalant, qui se jette dans l’Atlantique, en face de l’île de Ré ? C’est pourtant la Vendée qui donne un nom au département créé en 1790 et dont le chef-lieu est alors Fontenay-le-Comte. La petite histoire veut que les députés de l’Assemblée constituante aient d’abord pensé appeler le département Les Deux-Lays, du nom de deux autres rivières, avant de craindre que deux députés du lieu, particulièrement désavantagés par la nature, n’en prennent ombrage.
Vraie ou fausse, la petite histoire dit en tout cas la création ex nihilo du département et de sa désignation. Jusque-là, les habitants du diocèse de La Rochelle dépendaient du Poitou, commandé par la ville de Poitiers, ils étaient séparés au nord par une quasi-frontière avec la Bretagne qui s’étendait jusqu’à Clisson et Machecoul, et n’avaient guère de relations avec les habitants des Mauges, dépendant du Maine, commandé par Angers. Les trois provinces avaient des régimes d’imposition différents les unes des autres, la Bretagne notamment profitait de taxes particulièrement basses sur le sel, ce qui entraînait une contrebande importante sur ses limites.
Personne n’aurait imaginé que le mot « Vendéens » puisse désigner d’autres populations que ces bas-poitevins coincés entre Nantes et La Rochelle, désunis entre eux, puisque les bocains, du Haut Bocage, les maraîchins de la côte, et les Plainauds du sud, vivaient selon des modes différentes, qu’elles soient agricoles, vestimentaires et religieuses ! Impossible d’imaginer que « Vendéens » allaient pouvoir s’appliquer aux gars du Pays de Retz (les paydrets), au sud de Nantes, autour de Machecoul, aux tisserands et éleveurs du Choletais ou aux métayers du Bressuirais, qui dépendaient de provinces différentes, tournées vers Nantes, Cholet, Angers, Poitiers !
Pourtant c’est ce qui se produit à partir de 1783 et c’est l’objectif de ce livre de raconter comment une région s’est formée dans la guerre et comment une identité inattendue s’est forgée. Tout changea ave l’évènement inattendu de mars 1793 déclenchant « la guerre de Vendée » et ses conséquences dramatiques. Sans qu’elle n’eût jamais de limites précises, une « région » imaginaire devint un acteur essentiel de la vie politique nationale, avant de se transformer en « région-mémoire » façonnant ses habitants, les individualisant vis-à-vis de leurs voisins, les édifiant en modèles, adulés ou contestés, pour l’opinion mondiale, finissant par créer une société inédite et durable.
Toutes les guerres sont dramatiques, et la guerre de Vendée n’est pas différentes des autres, à ceci près qu’elle est la dernière grande guerre civile que la France a connue. Mais peut-être faudrait-il préciser les choses. Les Vendéens, les insurgés du sud Loire qui se battaient contre la Révolution, avaient-ils bien conscience d’être Français ou ne voulaient-ils pas d’abord conserver leurs identités provinciales, protégées par la royauté depuis des siècles ? La véritable guerre civile, elle aussi terrible, ne s’est-elle pas menée au sein du camp républicain, entre révolutionnaires de tendances distinctes ? Celle-ci aggravant, nourrissant celle-là. Le résultat est que cette guerre vieille de plus de 200 ans, qui a entraîné la mort d’à peu près 200 000 personnes, entre 1793 et 1796, continue de marquer les esprits, à susciter des passions, et reste, point pour moi le plus important, une guerre dont nous n’avons pas fait le deuil. »
Jean-Clément Martin professeur émérite de l’Université Paris 1. Il a dirigé l’Institut d’Histoire de la Révolution française et a consacré sa carrière à l’étude de la Révolution, de la Contre-Révolution et de la guerre de Vendée.
Les Vendéens 192 pages PUF
LA VENDÉE : UN PASSÉ QUI NE PASSE PAS ? ENTRETIEN AVEC JEAN-CLÉMENT MARTIN
Si la mémoire de la Révolution française constitue encore aujourd’hui un sujet de polémiques, la “Guerre de Vendée” (1793-1796) en est certainement l’épisode le plus sulfureux. Simple guerre civile, opération de défense de la République contre les monarchies coalisées ou génocide qui préfigure les pires heures du XXème siècle ? Nous avons posé la question à Jean-Clément Martin, historien, professeur émérite à l’université Paris 1, chercheur au CNRS, membre de la société des études robespierristes et auteur de nombreux ouvrages sur cet épisode (La Vendée et la France, La Vendée de la mémoire…), qui a accordé cet entretien à LVSL.
LVSL – Comment expliquer cette permanence de la mémoire de la guerre de Vendée ? Les conflits politiques autour de la guerre de Vendée ont-ils été nombreux depuis l’instauration de la Troisième République ?
Jean-Clément Martin – La présence de la guerre de Vendée dans la mémoire collective est une particularité française qui garde toute son actualité en 2018, comme en témoigne la publication récente du livre de Patrick Buisson parmi tant d’autres ouvrages qui sont à relier avec l’activité importante de Philippe de Villiers autour du Puy-du-Fou. D’une certaine façon, il s’agit là de la suite de deux cents ans de polémiques et de commémorations, mais alors que le souvenir de la Révolution se fait moins présent qu’il ne l’était dans les siècles précédents, celui de la Vendée continue au contraire de manifester un dynamisme dans la foulée de ce qui a été créé dans les années 1980.
Une raison parfaitement objective peut expliquer cette situation. Le souvenir est lié à un événement tout à fait important, puisqu’il s’agit de la dernière guerre civile importante que le pays ait connue et qui a laissé derrière elle au bas mot 200 000 morts. Cependant, la vraie raison est ailleurs. Se règle en ce moment une réinterprétation de l’histoire de France qui modifie les perspectives si bien que la mémoire collective peine encore à l’intégrer correctement. Il ne doit pas y avoir le moindre malentendu sur ce point, la Vendée a été depuis 1793 jusqu’à aujourd’hui une question essentielle, marquant les différentes époques des deux siècles précédents. La naissance du Comité de salut public lui est due, elle est l’objet d’innombrables discussions au sein des assemblées, elle est au cœur du règlement de comptes qui se met en place après l’exécution de Robespierre, devenant l’exemple par excellence de « la Terreur », elle est par la suite l’objet de l’attention de Louis XVIII et de Charles X et la bête noire des républicains de la IIIe République qui entretiennent une guerre des monuments, des symboles et des publications particulièrement fructueuse. Nous vivons encore largement sur les legs érudits et artistiques que ce moment a suscités et dont nous continuons encore à débattre. Devant la prolifération des traces et la force de leurs rappels, il est pour le moins paradoxal comme l’écrit régulièrement Reynald Sécher de dire qu’il y eut mémoricide de la Vendée. Les chouans bretons, les contre-révolutionnaires basques, les partisans de la « terreur blanche » du Midi, ou même les « enragés » sans-culottes hostiles à Robespierre et aux meneurs de la sans-culotterie auraient largement de quoi se plaindre davantage de leur disparition de l’espace mémoriel national.
Il est possible toutefois de penser que la vraie question est ailleurs. D’une part, ce succès mémoriel est resté d’abord polémique, si bien qu’il a fallu attendre les années 1980 pour que les calculs des pertes humaines soient faits sérieusement, attestant que l’histoire de la Révolution a toujours du mal à intégrer dans le récit qui en est fait la Contre-Révolution. Voilà près de trente ans que je souhaite que le rôle exact de la Contre-Révolution dans sa grande diversité soit pris en compte pour éviter que l’on juge de la Révolution comme si ses seuls adversaires avaient été les émigrés aux frontières et surtout les factions internes au camp révolutionnaire – lui aussi d’une grande diversité. Or, d’autre part, cette incapacité à penser la Révolution de façon complexe s’est aggravée depuis le bicentenaire qui a focalisé l’attention sur les totalitarismes et leurs victimes.
“La Vendée a été considérée comme prémonitoire du Goulag et comparable à des génocides”
La Vendée a été considérée comme prémonitoire du Goulag et comparable à des génocides, avant que, depuis une quinzaine d’années, la « terreur » devenue un nom commun soit amalgamée avec les terrorismes de tout poil, dont, évidemment le terrorisme « islamiste ». Le fait que notre mémoire nationale ait continuellement réalimenté les conflits idéologiques qui avaient été liés à la guerre de Vendée depuis 1793 nous a rendus incapables de faire, ensemble, le deuil de l’événement. Tant que le souvenir de la Révolution mobilisait des groupes et organisait un champ de pensée l’équilibre pouvait encore se faire ; en ce XXIème siècle, le principe même de révolution a été tellement mis en doute qu’il ne reste que son challenger, la Contre-Révolution, illustrée par la Vendée, promue victime exemplaire.
LVSL – Dans quel contexte commence la guerre de Vendée ?
Jean-Clément Martin – Devant cette situation il me semble qu’il convient de revenir encore et encore à un exposé précis des faits avérés, sans a priori. Un point essentiel est de savoir qui a parlé de guerre de Vendée et à quel moment, alors que ce genre d’appellation n’a jamais été en usage pour évoquer les années d’affrontements qui eurent lieu dans la vallée du Rhône ou dans le Midi, pas plus que pour la quinzaine d’années de « chouannerie » bretonne. Or, comme je l’ai montré il y a maintenant trente ans, la « guerre de Vendée » est une expression qui naît à Paris, à la Convention, quand les Montagnards accusent les Girondins de ne pas avoir de politique assez rigoureuse contre les contre-révolutionnaires et contre les insurgés qui se sont levés dans un gros quart du pays à l’occasion de la levée des 300 000 hommes. Il n’est pas utile de retracer l’histoire qui suit, mais il l’est de relever que cette désignation suffit à transformer un épisode modeste, une défaite d’une troupe républicaine le 13 mars 1793 dans le département de la Vendée, en événement capital témoignant que l’équivalent de Coblence existe dans le pays et que cet autre ennemi public numéro 1 est la Vendée. Cette désignation conduit à y envoyer des contingents depuis toutes les provinces et à créer une armée incohérente et divisée autour d’opinions politiques incompatibles, ce qui provoque une succession d’échecs militaires rendus d’autant plus graves que chaque camp rejette sur les autres la responsabilité. Rapidement, cela entraîne une montée continue des violences, déjà à un haut niveau partout dans le pays, et mène à la prise du pouvoir par les groupes sans-culottes au sein du ministère de la Guerre, transformant la guerre de Vendée en machine de guerre contre les Conventionnels !
“Non seulement il n’existe pas d’identité vendéenne avant la guerre de 1793 mais surtout les mesures qui ont été prises n’ont pas créé un groupe précis”
Les batailles qui se déroulent dans l’automne 1793 sont d’une très grande violence et donnent la victoire aux armées dirigées par les sans-culottes, les armées vendéennes doivent quitter la région et aller de Cholet jusqu’à Granville pour essayer de joindre les armées anglaises. Leur échec est suivi d’un retour vers la Loire jalonné de combats très meurtriers et de massacres. La répression qui suit, notamment à Nantes, avec les fameuses noyades, ou à Angers, est effroyable et concerne des milliers de personnes. Pourtant, l’épuisement des troupes sans-culottes et la reprise en main par le Comité de salut public, via le gouvernement révolutionnaire, de la direction politique du pays contribue à changer le cours de la guerre, sauf sur un point, l’envoi sous la conduite du général Turreau de colonnes incendiaires, vite renommées infernales, dans toute la région. Ces colonnes commettent surtout dans les Mauges et le Haut Bocage vendéen des atrocités sur toutes les populations rencontrées, qu’elles soient blanches ou bleues. A partir de mars, la mutation politique repérée dès décembre à la Convention se traduit par la fin de ces opérations de dévastation au bénéfice d’une pratique guerrière plus traditionnelle. Mais ces exactions ont eu pour effet de relancer les bandes armées, autour de Charette et de Stofflet, qui continueront d’être actives et dangereuses jusqu’en 1795.
LVSL – Quelle politique a eu le Comité de salut public vis-à-vis de la Vendée ? Cette politique a-t-elle mené à un génocide comme le pensent certains auteurs comme Patrick Buisson dernièrement ?
Jean-Clément Martin – Non seulement il n’existe pas d’identité vendéenne avant la guerre de 1793 mais surtout les mesures qui ont été prises n’ont pas créé un groupe précis. Des lois ont été faites pour « exterminer les brigands de la Vendée », comme d’autres entendaient tuer d’autres « brigands » d’autres régions – héritage dans le droit de la culture de la violence venue de l’Ancien Régime. Aucune limite territoriale n’a été fixée pour délimiter un espace dans lequel la répression devait s’abattre. Il y eut même l’attribution de sommes conséquentes au profit des « réfugiés de la Vendée », au bas mot plus de 20 000 personnes, pour leur permettre de vivre hors de la guerre, et il y eut aussi la recension des Vendéens patriotes afin que leurs biens soient protégés de toute réquisition. Le cadre de la loi est évidemment fragile dans de pareilles circonstances : non seulement des femmes et des enfants jugés complices des « brigands » ont été mis à mort, mais les populations « civiles », y compris patriotes, ont été livrées dans un certain nombre d’endroits à la violence des soldats pillant, volant, violant et brûlant. Cependant même les tribunaux d’exception ont souvent respecté les termes de la loi et c’est au nom des lois que quelques officiers, responsables d’exaction, ont été poursuivis et exécutés. Le silence de la Convention, du Comité de salut public et de Robespierre sont assurément à juger, mais outre leur ignorance de la réalité régionale ils ont été pris dans des jeux d’alliances qui les ont conduits à l’évidence à laisser les sans-culottes mener ce genre d’opérations pour supprimer la menace vendéenne qui était très réelle et aussi pour les épuiser. Les violences de guerre, incontestablement d’une grande ampleur, ne relèvent pas d’une politique génocidaire, mais s’apparentent à d’autres luttes qui existèrent dans l’histoire du monde entre Etat et paysanneries, celles-ci traitées comme des rebelles par celui-ci. A cet égard, il n’y a pas d’exception vendéenne, des violences identiques ont été commises ailleurs (notamment en Italie dans les années 1797-1815). Dit autrement, il y eut indiscutablement de nombreux crimes de guerre mais ni génocide ni populicide, terme inventé en 1794 dans un contexte de luttes politiques et remis au goût du jour au moment du bicentenaire.
Propos recueillis par Gauthier Boucly.
SUR LA GUERRE DE VENDÉE ET LE « CONCEPT DE GÉNOCIDE » ICIUNE MISE AU POINT HISTORIQUE
mercredi 7 mars 2018
A propos du "génocide vendéen". Du recours à la légitimité de l'historien ICI
[article]
Sociétés Contemporaines Année 2000 39 pp. 23-38