« Nous invoquons une œnologie plus juste, plus raisonnée, et surtout plus humble »
Matthieu Dubernet, œnologue
Nous de majesté ou expression d’un collectif éprouvant le besoin de corriger – normal pour une profession dont l’essence est d’accompagner, dit-on l’élaboration du vin – une image écornée par l’interventionnisme et la chimie ?
Les 20 dernières années furent pour l’œnologie : flamboyantes, sûres d’elles, dominatrices, les winemaker globe-trotter jetaient leurs filets sur le monde des grands vins, haro sur la nature, les médecins du vin « oxygénaient ! », remettaient sur pieds, chassaient en bandes les défauts, formataient.
Hors eux point de salut !
Je force à dessein le trait pour souligner le caractère tardif du chemin de Damas évoqué par Matthieu Dubernet, que de lazzis, de mépris, d’exclusion m’a-t-il fallu subir de la part des sachants, des vendeurs de poudre de perlimpinpin, excommunication de buveur de vins nu... J’en passe et des pires...
Pour autant, je ne me suis jamais rangé dans les chapelles de naturistes sectaires qui ont fait de cette démarche un fonds de commerce, trop de cavistes se prennent pour des pères prêcheurs, mêlant l’insoumission politique à leur prosélytisme, ils m’emmerdent !
Mon passé vendéen, de l’humilité à la sauce des curés me font me méfier de ce sentiment où, l’individu qui l’invoque, affirme avoir conscience de ses insuffisances, de ses faiblesses et est porté à rabaisser ses propres mérites...
« L'orgueil n'est jamais mieux déguisé que lors qu'il se cache sous la figure de l'humilité. »
François de La Rochefoucauld ; Les réflexions et sentences morales (1665)
« L'humilité est un sentiment de l'imperfection de notre être. »
Voltaire ; Le dictionnaire philosophique (1764)
Matthieu Dubernet, œnologue expert de l’analyse des vins : « Nous invoquons une œnologie plus juste, plus raisonnée, et surtout plus humble »
Scientifique à la tête du plus gros laboratoire indépendant d’Europe, ICI Matthieu Dubernet revient pour le Figaro Vin sur sa découverte d’une technologie d’analyse microbiologique du vin censée mener à une œnologie plus à l’écoute du vivant.
Par Alicia Dorey
Publié le 09/05/2022
Président du groupe de laboratoires d'œnologie qui porte son nom – basé en Languedoc et dans la Vallée du Rhône – Matthieu Dubernet est à la fois ingénieur Agronome de l'Agro Paris, titulaire du diplôme national d'Œnologue, ainsi qu'expert dans la délégation française de l'Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV). S'il défend l'idée selon laquelle « le grand prodige du vin est d'être le reflet de l'environnement dans lequel il est produit », il entend proposer à travers ses travaux de recherches une approche humaniste de l'œnologie contemporaine. Dans ces lignes, il partage avec le Figaro Vin sa vision d'un métier aujourd'hui profondément transformé par les avancées technologiques, et notamment la microbiologie.
LE FIGARO. – Quelle serait votre définition de l’œnologie aujourd’hui ?
Matthieu Dubernet. – L’œnologie est une science au service d’un projet presque esthétique, ayant pour objet d'accompagner le vin, qui, ne l'oublions pas, reste un produit issu de la main de l’homme. En ce qui me concerne, je cumule plusieurs métiers qui me permettent une mise en perspective, puisque je suis à la fois œnologue-conseil, mais aussi laborantin, une profession peu connue du grand public.
Quel doit être le rôle premier de l'œnologue ?
L'œnologie est basée sur l'observation d'une rencontre entre des phénomènes naturels et le savoir-faire humain. En tant qu'œnologue, le premier critère consiste à s'assurer que le vin n’a pas de défaut qui vienne brouiller sa signature organoleptique. Mais il faut faire attention à cette notion de défaut. Certains sont considérés à tort comme une forme de singularité. Il faut par conséquent se méfier des effets de mode, et toujours en revenir au terroir et à l’origine, qui sont les composantes élémentaires de toute singularité. Selon moi, l’authenticité passe par une absence de défaut.
Malgré ces critères, subsiste-t-il toujours dans le vin une part de mystère ?
Le vin est aujourd'hui l'un des produits les plus réglementés et analysés qui soit, car il contient de l’alcool et qu'il est éminemment fragile. Il reste un ensemble de données physicochimiques, mais c'est aussi du vivant, avec une première fermentation alcoolique via les levures, la malolactique via les bactéries, puis les brettanomyces, ces levures qui donnent au vin un goût phénolé. La science nous apprend paradoxalement à être très humble, dans la mesure où certains de ces phénomènes naturels à l'œuvre dans le vin gardent une part de mystère qui nous échappe. Au sein du laboratoire, nous marchons en permanence sur deux jambes : d'une part une science très objective, et d'autre part un savoir très empirique, basé sur l'expérience. Nous revendiquons cette subjectivité.
En quoi la microbiologie vient-elle révolutionner l’œnologie ?
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