Qui se souvient du juge Halphen ? (1)
Pas grand monde...
Et de Gaston de Pawlowski ? (2)
Personne sauf Lunettes Rouges alias mon ancien collègue de la SVF Marc Lenot
Et de L’Angélus et des Glaneuses de Jean-François MILLET ?
Le monde entier !
Et de Jean-Charles MILLET ?
Personne sauf Éric Halphen ...
- (1) Magistrat connu pour son instruction de l’affaire des HLM de Paris au début des années 2000, Éric Halphen est aussi écrivain. Auteur de romans noirs et policiers, il s’attaque cette fois-ci au récit non-fictionnel, avec l’affaire dite « des faux Millet », qui défraya la chronique dans les années 1930. Dans Le faussaire de la famille, qui parut le 10 février 2022, il revient sur l’histoire de Jean-Charles, petit-fils du peintre Jean-François Millet, qui n’a pas hésité à vendre plusieurs œuvres faussement attribuées à son grand-père, bernant ainsi marchands d’arts et musées…
Des marchés attribués « aux copains du RPR »
« A l’époque, on parlait d’Etat RPR (Rassemblement pour la République), explique Éric Halphen. Les marchés de la ville de Paris se comptaient en dizaines et centaines de millions d’euros et ils étaient donné uniquement aux entreprises qui étaient dirigées par les copains du RPR et du maire de Paris ».
« Jacques Chirac n’aura pas laissé que de bons souvenirs. Surtout, il aura montré le mauvais côté de la politique, c’est-à-dire celui où l’on se sert des marchés publics pour enrichir un parti afin d'arriver au pouvoir. C’est triste quand quelqu’un meurt mais je retiendrai surtout le chef de l’Etat qui a abaissé la fonction présidentielle, car il est arrivé au pouvoir par de mauvais chemins »
PUBLIÉ LE 24 JANVIER 2013 PAR LUNETTES ROUGES ICI
- (2) Hommage à Gaston de Pawlowski
Que vient donc faire le fondateur du Canard Enchaîné et de l’Union Vélo-cyclopédique de France, l’inventeur de l’adorable appareil à sécher les larmes et du politiquement incorrect silencieux pour dames, le promoteur des tableaux remuants et l’inspirateur du Grand Verre, l’adepte du cri-cri pinçon pour faux appas et l’auteur du précurseur Voyage au pays de la quatrième dimension (réédité avec une préface de Jean Clair…) dans une respectable mais audacieuse galerie de la rue Saint-Claude ?
L’ART DU FAUX
« Dans un article titré Il n’y a pas de faux tableaux paru peu après l’arrestation de Jean-Charles dans l’hebdomadaire satirique Cyrano, Gaston de Pawlowski, écrivain, critique littéraire et reporter sportif, ne comprend pas « en quoi un tableau ou une statue peuvent être assimilés à un billet de banque, si ce n’est par les marchands et les acheteurs mercantis qui ont transformé l’art en simple valeur de spéculation » alors qu’au « point de vue purement artistique, il n’y a pas de faux ou de vrais tableaux, mais des œuvres bonnes ou mauvaises, quel qu’en soit l’auteur ». Il considère qu’en revanche « les faux connaisseurs sont innombrables, je veux dire ceux qui achètent aujourd’hui une œuvre d’art, non point pour le plaisir qu’elle leur procure, mais pour les bénéfices futurs qu’ils espèrent en tirer (...) Faute de pouvoir juger de la valeur d’un œuvre au strict point de vue artistique, le public a pris l’habitude de ne l’estimer qu’en gros sous, et les Américains, sur ce point, sont passés maîtres. Du moment qu’on leur affirme qu’une chose vaut tant, ils achètent et l’admirent ».
Et le chroniqueur d’ajouter : « Pour un véritable amateur d’art, ce n’est point la valeur marchande d’une œuvre qui peut donner une indication quelconque, mais la manière du peintre, la trace évidente de son génie. Il peut fort bien arriver, du reste, qu’un peintre de grand talent fasse certain jour de très mauvaises choses, tandis qu’un humble copiste peut avoir, par contre, un jour, une inspiration de génie. Qu’importe la signature ou l’absence de signature ! si l’œuvre est belle, cela doit suffire amplement. »
Enfin, après avoir rappelé que, des « contrefacteurs officiels », « il n’y eut que cela dans les ateliers des grands maîtres d’autrefois », à savoir « les élèves du maître, chargés de terminer ses tableaux suivant la même technique et les mêmes procédés de métier », il écrit que « les contrefacteurs d’aujourd’hui, les faussaires comme on les appelle, en sont tout simplement des élèves à la manière d’autrefois, et ces élèves sont rares ».
Dans la même veine, Jean Cassou, écrivain, futur résistant et critique d’art, écrit dans Marianne durant le procès de 1935 que la contrefaçon, « quand elle est appliquée, quand elle est sincère, doit apparaître comme un hommage, fatal et peut-être nécessaire, rendu au génie ». Soutenant qu’un style, qu’il s’agisse de celui de Corot – lorsqu’on lui apportait des toiles douteuses à lui attribuées, il rangeait d’un côté celles qui lui semblaient intéressantes, de l’autres les médiocres, en concluant que seules les premières étaient de sa main – ou de celui de Millet, n’est « qu’une interprétation du monde, qui n’a aucune valeur absolue », il considère comme normal que « des esprits soumis et modestes, comme le sont les contrefacteurs, s’y arrêtent, l’exploitent, lui confèrent quelque durée », puisque dans la mesure où « tout le monde ne peut pas inventer ou créer », il faut aussi qu’il y ai des « vulgarisateurs ». Il finit son article sur une note d’espoir : « Il y a peut-être en Jean-Charles Millet l’étoffe d’un grand peintre et qui serait l’égal de son grand-père. »
Pages 209 à 211
Jean-Charles Millet peint lui aussi. Si sa technique n’est pas mauvaise, il manque d’originalité et se cantonne aux thématiques traitées par son grand-père. Les seules œuvres qu’il vend sont des croquis « à la manière de Jean-François Millet » proposées aux visiteurs du musée consacré à son aïeul à Barbizon, en Seine-et-Marne. (Crédit : Jean-Charles Millet / Wikicommons)
Le faussaire de la famille", d'Éric Halphen ou l'obsession de la contrefaçon ICI
Coup de cœur lecture
Par Eve Charrin
Publié le 13/02/2022
Chaque dimanche, « Marianne » isole parmi la foisonnante production littéraire un livre coup de cœur. Cette semaine : « Le faussaire de la famille », du magistrat Éric Halphen, enquête sur une usurpation familiale dans le milieu de la peinture.
Magistrat anticorruption puis antiterroriste, de surcroît auteur d’une demi-douzaine de polars, Éric Halphen aime l’enquête. Judiciaire ou littéraire, il la mène en professionnel chevronné, pas du genre à lâcher l’affaire. À moins que les affaires refusent de le lâcher : « On n’échappe pas à sa vie », écrit-il non sans mélancolie dès les premières pages du Faussaire de la famille.
La preuve ?
À ses heures perdues, le juge s’intéresse à la peinture impressionniste, il convoite sur eBay un dessin de Jean-François Millet (1814-1875), célèbre peintre des Glaneuses et de l’Angélus. Las, une rapide recherche sur Internet lui apprend que le cachet « JFM » a été usurpé par le propre petit-fils du maître, Jean-Charles Millet (1892-1944). Démasqué, le faussaire a été jugé et emprisonné à deux reprises dans les années 1930. Un sujet en or pour le magistrat-écrivain, ainsi arraché à la contemplation des « paysages de Barbizon » et brutalement ramené à l’enquête : « Ta mission ici-bas est de t’occuper des infractions, mon gars ».
UNE TRANSGRESSION MAJEURE la suite ICI
Le faussaire de la famille, d’Éric Halphen. Éd. Buchet-Chastel, 256 p., 19,90 €
Jean-François Millet (1814-1875), bien qu’artiste reconnu, ne connaîtra jamais la fortune. La cote de ses œuvres s’envolera seulement après sa mort, en 1875. (Photo : Nadar / Wikicommons / domaine public)
Le juge Éric Halphen raconte dans un nouveau livre la fascinante affaire des faux Millet ICI
Amateur d’art à ses heures perdues, le juge Éric Halphen avoue chiner des tableaux du XIXe siècle sur le site d’enchères en lignes eBay. C’est ainsi que, par hasard, il découvre cette histoire incroyable, oubliée aujourd’hui, qui fit pourtant grand bruit à l’époque et passionna la presse et l’opinion publique : l’affaire des faux Millet. 27 février 1935 : Jean-Charles Millet est condamné à six mois de prison ferme et 500 francs d’amende confirmés, pour abus de confiance et apposition de fausse signature, par le tribunal correctionnel de Fontainebleau. Cinq ans auparavant, il a déjà été écopé d’un an de prison ferme pour escroquerie et émission de chèques sans provision. Rien de très original au premier abord. Mais c’est en regardant l’ascendance du personnage que ce fait divers prend une autre dimension…
Jean-Charles Millet n’est pas n’importe qui. Il est le petit-fils de Jean-François Millet (1814-1875), artiste internationalement reconnu, auteur de chefs-d’œuvre comme L’Angélus et Les Glaneuses. S’il n’a pas connu son grand-père, il ne peut échapper à la figure tutélaire de cet artiste, dont la mémoire est entretenue par toute la famille, notamment à Barbizon, le village de Seine-et-Marne où celui qu’on surnomme « le peintre paysan » avait posé ses valises, après avoir fui le tumulte de la vie parisienne.
C’est d’ailleurs ici que Jean-Charles passe une partie de son enfance, puisque ses propres parents se sont installés dans la commune. Le jeune homme côtoie donc nombre de peintres venus en pèlerinage sur les traces du fondateur de « l’école de Barbizon ». Lui aussi se rêve artiste, il s’inspire du style et des thèmes de son grand-père, restant dans le registre naturaliste, l’originalité et le génie de son aïeul en moins…
Seul André Douhin, un marchand d’art qui a transformé l’ancienne maison de Jean-François Millet en petit musée qui attire déjà les touristes, lui commande quelques œuvres « dans le genre de Millet » pour les vendre dans la boutique, plus attiré par le nom du créateur que par ses réels talents.
La naissance de l’arnaque
Ainsi, Jean-Charles se retrouve à reproduire, dans le style de son grand-père, des dessins représentant l’église du village, les fermes ou les champs des environs qui auraient inspiré l’illustre artiste. Entre le cadeau souvenir et le produit dérivé avant l’heure, en quelque sorte… Le tout pour quelques sous. « La conclusion est évidente. Si Jean-Charles ne peut être l’égal du maître, s’il ne peut à son tour exister en tant que peintre, il ne lui reste qu’une solution : s’effacer », écrit Éric Halphen.
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Lors de ses procès (ici à Melun, en correctionnelle, en 1935), Jean-Charles Millet a évoqué sa volonté de venger son grand-père, exploité selon lui par les marchands d’art qui se sont enrichis sur son dos. (Crédit : Agence Rol / BNF / domaine public)
La une du Journal, daté du 8 mai 1930, met en scène l’arrestation de Jean-Charles Millet et de son complice. L’enquêteur à la tête des policiers qui interpellent les deux escrocs n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Jules Belin, membre de la première « brigade du Tigre », qui a déjà appréhendé à l’époque le tueur en série Landru et le célèbre chef de la bande à Bonnot. (Crédit : Le Journal / BNF / domaine public)