Ce n’est pas moi qui l’écris mais Die West mais je suis en phase avec l'analyse, cependant pour équilibrer la balance je vous propose celle de The Economist qui ne la partage pas.
C’est la publication allemande de référence, une autorité outre-Rhin. Ce (très) grand journal d’information et d’analyse politique, pointu et exigeant, se distingue aussi par sa maquette et son iconographie très recherchées. Tolérant et libéral, il paraît tous les jeudis. Créé en 1946 par la force d’occupation britannique, basé à Hambourg, il appartient au groupe Holtzbrinck.
Installé à Berlin, le site Zeit Online possède sa propre rédaction.
Dans les dernières heures de la campagne, Emmanuel Macron s’est vu accusé de plagiat : il aurait volé la “planification écologique” des Insoumis, accusent les partisans de Jean-Luc Mélenchon, il aurait copié la devise historique de la “France unie”, dénoncent les socialistes, et Macron le libéral s’est même permis de prendre au chef de file ouvrier Philippe Poutou le slogan anticapitaliste “nos vies valent plus que leurs profits”. Une récupération qui témoigne de la fébrilité de Macron à quelques jours du premier tour de la présidentielle, le 10 avril : après un mandat marqué par une politique de droite, le voilà désormais contraint de convaincre les électeurs et électrices de gauche s’il veut s’imposer face à Marine Le Pen.
Voilà quinze jours encore, on avait l’impression que personne ne pourrait détrôner Macron. Depuis la guerre en Ukraine et les heures passées au téléphone avec Vladimir Poutine, le président de 44 ans avait parfois jusqu’à 15 points d’opinions favorables de plus que sa concurrente directe, Marine Le Pen, 53 ans, et son Rassemblement national (RN). Seulement, voilà, dans les enquêtes d’opinion sur le duel décisif du 24 avril, seuls deux ou trois points séparent désormais la chef de file du RN de la victoire.
C’est lorsque Macron a présenté son programme et qu’il est entré en campagne que sa cote de popularité a commencé à fléchir. “On a du mal à distinguer une stratégie dans sa campagne”, argumente l’historien Raphaël Llorca, auteur de La Marque Macron [Éditions de l’aube, 2021]. Jusqu’à présent, le fait de piocher des idées à droite et à gauche avait plutôt bien réussi à ce néophyte en politique – sauf qu’aujourd’hui Macron se retrouve à devoir défendre son propre bilan. “Qu’il copie des idées de la gauche, c’était cousu de fil blanc”, poursuit Raphaël Llorca. Cinq années durant, après tout, Macron a mené une politique de droite.
Un bilan qui penche à droite
Une de ses premières mesures, une fois arrivé aux responsabilités, a été de supprimer l’impôt sur la fortune. Il a ensuite revu à la baisse les indemnités de licenciement et lâché la bride de la répression policière face aux “gilets jaunes”, au point que plusieurs dizaines de personnes ont perdu une main ou un œil après des tirs de balles de défense. Sous son mandat, les dividendes des actionnaires ont grimpé en flèche, et les classes les plus défavorisées ont vu s’amoindrir leur pouvoir d’achat. Amnesty International a dénoncé des atteintes à la liberté d’expression et l’obligation d’une quarantaine discriminante pour les réfugiés. Le programme actuel de Macron rejoint, sur certains volets clés, celui des Républicains, ajoute l’historien, comme le report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans ou encore le projet d’obliger les personnes sans emploi à effectuer entre 15 et 20 heures de travail hebdomadaire s’ils veulent continuer à toucher le chômage.
Le soir même de sa victoire en mai 2017, Macron avait promis sur l’esplanade du Louvre : “Je ferai tout, durant les cinq années qui viennent, pour que [les Français] n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes.” Une promesse qu’il n’a pas su tenir : jamais l’extrême droite n’a été plus vigoureuse en France qu’aujourd’hui, jusqu’à trouver en Éric Zemmour un candidat supplémentaire, qui plus est populaire, à côté duquel même Marine Le Pen semble inoffensive.
Macron a cependant contribué à l’ascension de cette dernière. Il a maintes fois usé de vocables et proposé des lois qui relevaient naguère de son répertoire, agitant, par exemple, la peur d’une “immigration clandestine de masse”. De son côté, Marine Le Pen se montre proche du peuple, qu’elle donne à manger à ses chats ou qu’elle élève seule ses trois enfants. Son programme n’impressionne pas, son entourage n’est pas connu et n’inspire pas nécessairement confiance, mais elle peut miser sur l’impopularité de Macron. En ce moment, on peut lire sur ses affiches le slogan “Sans lui. Avec Marine”. On y voit un Macron en noir et blanc et une Marine Le Pen rayonnante, en couleur.
Le Pen, Darmanin et la “mollesse” sur l’islam
“Macron espérait clairement se retrouver face à Le Pen – il estime depuis longtemps que c’est le duel qui lui serait le plus favorable”, analyse Kaoutar Harchi, sociologue et écrivaine parisienne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a dénigré certaines convictions de gauche, comme la solidarité à l’égard des réfugiés, et adoubé l’idéologie d’extrême droite, en réclamant, par exemple, un durcissement du contrôle de l’État sur les mosquées et la dissolution de certaines associations. “En stigmatisant la minorité musulmane, jugée dangereuse, Macron a normalisé Marine Le Pen”, poursuit Kaoutar Harchi. Sa ministre de l’Enseignement supérieur a, par exemple, dénoncé les ravages de l’“islamo-gauchisme” dans les universités, une affirmation dont on attend toujours qu’elle soit étayée.
Ce type de déclarations a permis d’ouvrir la voie à des textes comme la loi dite “pour une sécurité globale” qui restreint la liberté de la presse – en autorisant, par exemple, la police à entraver le travail des journalistes pendant les manifestations ou en autorisant l’État à poursuivre en justice les journalistes d’investigation dans le cas où ceux-ci refuseraient de révéler leurs sources.
L’exécutif a souvent dédramatisé la menace que pouvait représenter Marine Le Pen. Dans un duel télévisé entre celle-ci et le ministre de l’Intérieur de Macron, Gérald Darmanin, elle a estimé que “l’islam [était] une religion comme une autre”. Darmanin a aussitôt reproché à une Marine Le Pen médusée d’être “bien trop molle sur l’islam”. Le ministre de l’Intérieur a par ailleurs qualifié d’“ensauvagées” des banlieues caractérisées par la pauvreté et une forte population immigrée. À maintes reprises, Le Pen et Macron ont eu recours au même vocabulaire. Lorsque les talibans ont conquis l’Afghanistan en août 2021, la première réaction de Macron a ainsi été d’évoquer la menace de “flux migratoires irréguliers importants vers l’Europe”.
Cette semaine encore, Macron a répété que son objectif était de maintenir l’immigration à un niveau minimal. Il revendique le fait d’avoir déjà “réduit sérieusement” l’afflux de réfugiés en France et “relevé les frontières” mais confesse que les résultats restent “insuffisants”.
Bien peu pour la gauche
Le président en exercice se heurte ici à un dilemme. Car Macron est désormais tributaire des voix de la gauche. En 2017 déjà, c’est grâce à elles qu’il avait pu accéder aux responsabilités : la plupart des gens de gauche avaient voté pour lui pour faire barrage à Marine Le Pen – et non, comme le confirment les études, parce qu’ils approuvaient son programme. Or, sur le fond, il n’a rien eu à proposer à ces électeurs et électrices pendant cinq ans. Pendant son mandat, il a rejeté les principales propositions de la Convention citoyenne pour le climat, notamment la hausse des taxes sur les produits importés néfastes pour l’environnement ou la baisse du prix des billets de train. D’après un rapport du Haut Conseil pour le climat, la France reste très en deçà de ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre.
Il fut un temps où Macron avait également fait de l’égalité homme-femme une des priorités de son mandat – jusqu’à ce qu’il apparaisse sur des dizaines de photos entouré de conseillers exclusivement masculins. Dans sa campagne non plus, les femmes n’ont aucune place. Ce sont essentiellement le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, le président de La République en marche, Christophe Castaner, et le Premier ministre, Jean Castex, qui occupent le devant de la scène.
Le gouvernement a systématiquement fait la sourde oreille face à l’opposition, dont aucune des propositions ou presque n’a été reprise. Pendant la crise sanitaire, Macron a décrété seul, depuis un bunker souterrain, la mise en place de trois confinements, de couvre-feux de plusieurs mois et de restrictions de déplacement pour 60 millions de ses compatriotes. Il a pris seul ces décisions pourtant très lourdes de conséquences – sans débats au Parlement et sans réponses aux questions des journalistes. Aujourd’hui, c’est aussi à lui seul que s’adresse la grogne de l’opinion.
Annika Joeres
Dessin de Glez Burkina Faso
Vu du Royaume-Uni.
Si si, les Français, Macron est de gauche, regardez mieux et vous verrez
Emmanuel Macron, l’ultralibéral qui grignote impitoyablement le modèle social chéri par les Français ? Détrompez-vous, alerte The Economist qui défait ici, point par point, les préjugés qui collent à la peau du président français.
Le ton est cinglant, les deux mains viennent frapper la table dans un geste d’irritation, faisant trembler le verre d’eau. “On met un pognon de dingue dans des minima sociaux”, s’emporte Emmanuel Macron devant ses conseillers, assis sur les chaises recouvertes de soie du palais de l’Élysée. La vidéo, publiée sans complexe par une proche du président [Sibeth NDiaye, sa conseillère en communication de l’époque], est devenue virale. C’était en 2018, un an à peine après l’élection, et ces images ont confirmé ce que beaucoup de Français soupçonnaient déjà. Leur nouveau président – un ancien banquier d’affaires qui a supprimé l’impôt sur la fortune et nommé successivement deux Premiers ministres de centre droit – est un libéral de droite, qui cherche secrètement à récompenser les riches et à détruire le modèle social* qui protège les Français de leur premier à leur dernier souffle.
Cette image colle à la peau d’Emmanuel Macron. Dans l’esprit des Français, le président est toujours associé à l’assouplissement du Code du travail, à la fin du régime spécifique de retraite des cheminots et aux plus longues grèves qu’a connues le pays depuis 1968. Ce mouvement de contestation déclenché par le projet de réforme des retraites (que le gouvernement a depuis mis entre parenthèses) avait semblé mettre le pays à l’arrêt, quelques semaines seulement avant que la pandémie ne le fasse pour de bon.
Plusieurs lois strictes sur la sécurité et l’islamisme radical paraissent confirmer le virage à droite de l’Élysée. Aujourd’hui, Emmanuel Macron évoque de nouveau son désir de durcir les règles du régime de retraite afin d’allonger la durée du travail. La France, où l’indignation arrive plus vite que la fin des repas, se prépare au pire. D’après Laurent Berger, un syndicaliste (modéré), relancer la réforme des retraites maintenant serait “politiquement totalement dingue et socialement explosif”.
Un socialiste refoulé
Et si les Français, qui aiment tant les concepts théoriques, oubliaient l’espace d’un instant les cases dans lesquelles ils sont si prompts à ranger leurs dirigeants, pour regarder l’ensemble des éléments ? Les électeurs de gauche convaincus que le président a renié sans vergogne tous leurs idéaux pourraient être surpris par les faits. Car Emmanuel Macron a désormais tout d’un socialiste refoulé.
Le président a réveillé son Mitterrand intérieur, comme le montre clairement son nouveau rapport au portefeuille de l’État. Lorsque la pandémie est arrivée, Emmanuel Macron a juré de lutter contre la crise “quoi qu’il en coûte*”, reprenant ainsi la formule de [l’ancien président de la Banque centrale européenne et actuel Premier ministre] Mario Draghi. Depuis, il a, selon ses propres mots, “nationalisé” les salaires et les comptes d’exploitation des entreprises : pour maintenir à flot les entreprises et les salariés au chômage partiel, il a dépensé dix fois plus l’an dernier que ce que la France a jamais récolté en une année grâce à l’ancien impôt sur la fortune.
Les subventions macroniennes se multiplient : 300 euros de Pass Culture pour les jeunes de 18 ans, une aide supplémentaire de 150 euros pour les bénéficiaires des minima sociaux, jusqu’à 650 euros de revalorisation des salaires des aides-soignants, le repas à un euro dans les restaurants universitaires, des petits-déjeuners gratuits dans les écoles des zones d’éducation prioritaires, la mise à disposition de protections hygiéniques gratuites pour les étudiantes, ou encore la revalorisation de 100 euros des plus petites retraites [de conjoints] d’agriculteurs – une proposition qui, soit dit en passant, vient des communistes. “On catapulte des milliards” d’argent public un peu partout, a tweeté Adrien Quatennens, un député d’extrême gauche, visiblement incapable de choisir entre félicitations et désapprobation.
Macron a accentué la générosité française
Bien sûr, la France n’est pas la seule dans ce cas. Le plan de relance d’Emmanuel Macron fait pâle figure face à celui [du président américain] Joe Biden. Toutefois, avant la pandémie, la France était non seulement plus généreuse et plus performante dans la lutte contre les inégalités que les États-Unis (ce n’est pas difficile), mais elle consacrait également une plus grande part de son produit intérieur brut aux mesures sociales que les pays nordiques (ce qui s’avère bien plus complexe). En d’autres termes, Emmanuel Macron a réussi à accentuer la générosité d’une économie déjà très tournée vers le socialisme –propulsant, par là même, la dette française bien au-delà de la moyenne de l’Union européenne, pourtant élevée.
Le président français a également instauré un nombre croissant de réformes progressistes, bien que cela passe davantage inaperçu. Il a ainsi doublé la durée du congé paternité, qui est passé à quatre semaines, dont une obligatoire. Il a également créé une amende pour les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, et ouvert la procréation médicalement assistée aux couples lesbiens, une première historique en France.
À l’étranger, Emmanuel Macron est souvent considéré comme un provocateur* qui se la joue perso et cherche à imposer les idées françaises tout en revendiquant un discours européen. On connaît moins ses antécédents de défenseur des causes multilatérales et progressistes, dignes de Gordon Brown. On lui doit notamment certaines initiatives, aujourd’hui attribuées à Joe Biden, comme le taux minimal mondial d’imposition sur les sociétés (un engagement pris par le Français en 2017), ou [l’envoi] de vaccins en Afrique. “Je viens de la gauche, affirme Clément Beaune, son secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, et je n’ai pas du tout le sentiment que [le président] ait trahi la ligne sociale-démocrate.”
Dissonance cognitive
Alors, si tout cela est vrai, pourquoi la politique macronienne est-elle toujours perçue de la même façon ? Ce phénomène pourrait s’expliquer par ce que les psychologues nomment la “dissonance cognitive”. Le président français est un ancien banquier issu de l’élite, qui supprime des impôts et recrute dans les rangs de la droite, il ne peut donc pas aussi être de gauche. Les informations contradictoires sont déroutantes. Avec son costume bien coupé et ses chaussures en cuir impeccables, Emmanuel Macron n’a pas l’air d’un défenseur des opprimés. Lorsque, dans une vidéo à destination des jeunes diffusée sur Internet, il a évoqué, en costume cravate, la nécessité de lutter contre la précarité menstruelle chez les sans-abri, les Français ont été stupéfaits. Est-ce bien le même président qui rejette la culture “woke” [la traque des injustices sociales] et qui a un jour déclaré avec arrogance à un jardinier qu’il lui suffirait de “traverse [r] la rue” pour trouver du travail ?
Peut-être Emmanuel Macron recherche-t-il précisément ce genre de contraste. En amont de l’élection présidentielle de 2022, le centre de gravité politique de la France a basculé vers la droite. C’est là, et non pas à gauche, que la concurrence sera la plus forte. Les mouvements vers la gauche esquissés par le président sont savamment tempérés au regard des normes de la gauche ouvrière, et coïncident avec ses inspirations intellectuelles. S’il suit les traces de quelqu’un, ce ne sont pas celles de Mitterrand, mais bien celles de Michel Rocard, l’ancien Premier ministre de centre gauche de l’ex-président socialiste, qui fut l’un des (nombreux) mentors du jeune Emmanuel Macron.
Si le président français n’est pas reconnu pour ses politiques progressistes, c’est peut-être également dû à la nature de son projet. Ayant fait le vœu de n’être “ni de droite ni de gauche”, il se retrouve sans cesse coincé entre les attentes excessives des deux camps et l’inévitable mécontentement suscité par les compromis qu’impose une politique pragmatique. C’est le lot des centristes radicaux. Pourtant, cette contradiction pourrait aller comme un gant à la France, qui pense valoriser la pureté théorique mais se satisfait souvent de vivre avec des compromis chaotiques. Progressiste incompris, libéral imparfait, peu crédible en conservateur, Emmanuel Macron pourrait réussir à faire fonctionner sa ligne politique en pratique, même si elle paraît bancale sur le papier. Vive la France !*
*en français dans le texte
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