Difficile en ce moment de gloser sur le vin nu alors que la guerre s’est installée de nouveau sur le territoire de l’Europe, de plus Google à des vapeurs, mon ordinateur mouline.
Après Donbass, son premier roman, que j’ai lu, qui racontait au plus près des gens, à ras des rues et des maisons, la routine de cette guerre qui n’en finit pas, à l’est de l’Ukraine, entre séparatistes pro-russes et forces gouvernementales, Benoît Vitkine, correspondant du journal Le Monde à Moscou, publie Les Loups qui se passe en 2012, quelques mois avant la révolution de Maïdan et l’installation d’un gouvernement pro-européen en Ukraine. La lecture de ce livre est une excellente manière d’aborder l’histoire et la réalité de ce pays. D’autant plus que Benoît Vitkine en est un éminent spécialiste.
Les loups, prend place dans une Ukraine toujours en conflit avec la Russie. Un pont évident se fait alors avec l'actualité des derniers jours.
« S'il fallait résumer le moment, je dirais qu'on est un peu dans un feuilleton, avec ce que ça comporte d'excessif. Mais le dialogue entre Lavrov et Poutine à son importance, puisqu'il semble amorcer un début d'apaisement », explique le journaliste et écrivain. Dans son livre, Benoît Vitkine entremêle la réalité et la fiction.
Il y a un agresseur et un agressé
« Les oligarques qui gravitent autour de cette femme sont des gens glamour mais qui sont pour autant des ordures », précise Benoît Vitkine. Le livre se recentre sur l'Ukraine mais la Russie joue son rôle. « On est encore dans une Ukraine rêvée de Poutine, à qui on peut pardonner son indépendance, à partir du moment où elle joue selon ses règles. La corruption et la manipulation », poursuit-il. Selon lui, l'Ukraine essaye peu à peu d'évoluer, mais la Russie ne veut pas que ça soit le cas : « Il n'y a pas de gentil et pas de méchant. Mais dans l'actualité il y a bien un agresseur et un agressé », assure Benoît Vitkine.
On est à Kiev, mais aussi dans une petite ville au sud-est du pays. Et le roman multiplie les allers-retours entre passé et présent.
À quoi renvoie le titre, Les loups ?
Aux maîtres du pays, une poignée d’hommes d’affaires richissimes qui ont profité des opportunités de la fin de l’empire soviétique. Ils possèdent l’essentiel des ressources, les usines, les moyens de distribution, les médias.
Les loups, ce sont les oligarques dont le roman dit la brutalité et l’avidité. Des prédateurs qui aiment l’argent mais aussi se battre, dominer, montrer leur force. Le roman décrit ainsi l’Ukraine en 2012, ravagé par la corruption, gangrené à tous les échelons de la société. Un pays de ce fait bloqué politiquement, économiquement et socialement.
Parmi ces loups, Olena Hapko, la femme d’affaires la plus riche de l’Ukraine, la reine de l’acier, que beaucoup surnomment « la Chienne » fille du peuple, élevée dans une petite ville, brillante à l’école, et qui va tout faire pour réussir. Sans aucun tabou.
Elle vient donc d’être élue sur un programme de réformes ambitieux. Même si son attitude est ambiguë, elle souhaite lutter contre la corruption, rétablir l’État de droit pour répondre aux revendications de liberté et de dignité qui commencent à se faire entendre dans la société.
Évidemment certains sont en embuscade pour la faire tomber, en particulier les Russes qui voient ces changements d’un mauvais oeil. L’Ukraine rêvée de Poutine, c’est celle des oligarques corrompus que l’on peut facilement manipuler.
Le roman, solidement construit, vif, rythmé, est une sorte de thriller politique absolument passionnant. C’est le portrait d’une génération que brosse l’auteur. Celle qui a grandi à la fin de l’empire soviétique, qui a été élevée dans les valeurs et les références du modèle communiste devenues brusquement nulles et non avenues. Au moment où ils deviennent adultes, s’ouvre une nouvelle période, celle du capitalisme carnassier de l’après 1991. Le monde auquel ils doivent s’adapter est aussi sauvage que violent. Pour gagner, il faut être un loup.
Extrait :
Setchine doit profiter de l’arrivée au pouvoir d’Olena Hapko pour résoudre définitivement le dossier gazier à l’avantage de la Russie, et accroître dans le même temps la dépendance de l’Ukraine vis-à-vis de son voisin. Le plan conçu par Moscou permettrait de passer la bride aux rêves ukrainiens d’émancipation. Année après année, les oligarques ukrainiens viendront manger dans la main des Russes pour obtenir leurs précieux rabais. Poutine ne prend aucun plaisir à humilier ainsi le pays voisin et ses habitants. Tout serait plus simple s’ils restaient à leur place, celle du petit frère docile et satisfait de son sort. À vrai dire, dans l’esprit du président russe, l’idée même de peuple ukrainien est une vue de l’esprit. Les Ukrainiens ne sont rien de plus qu’une copie, certes un peu brouillonne, des Russes. Un prototype qui a mal tourné. L’indépendance ukrainienne a été une nouvelle trahison de ce pleutre de Gorbatchev et des Occidentaux. À présent ceux-ci cherchent à attirer l’Ukraine dans leurs filets. À lui, Poutine, de rétablir la balance.