- Figure 3 – Proportion d’élèves issus de catégories socio-professionnelles très favorisées par lycée public général et technologique (élèves entrés en seconde à la rentrée 2021)
- Lecture : À la rentrée 2021, 80 % des élèves qui sont entrés en seconde générale et technologique au lycée Louis-le-Grand étaient issus de catégories socio-professionnelles (PCS) très favorisées (chefs d’entreprises, professions libérales, cadres et professions intellectuelles). Cette proportion s’élevait à 87 % parmi les élèves précédemment scolarisés dans l’académie de Paris.
Champ : Élèves inscrits en seconde générale et technologique dans les lycées publics de l’académie de Paris à la rentrée 2021 et qui étaient scolarisés en troisième l’année précédente.
Notes : Pour déterminer l’origine sociale d’un élève, on utilise la PCS la plus élevée de ses responsables légaux.
Source : Base Élèves de l’académie de Paris. Calculs des auteurs.
Le titre : «J’ai compris que j’étais pauvre en arrivant au lycée Henri-IV» de cet article du Monde m’a fait bondir.
H4 ou Henri IV est avec LLG Louis le Grand est, dit-on, le temple de la méritocratie républicaine.
Pauline Charousset & Julien Grenet du Collège de France répondent :
« Rentreront-ils dans le rang ? La modification annoncée de la procédure de recrutement des deux prestigieux lycées de la capitale est accusée par ses opposants de « briser l’excellence » et de faire le jeu du privé. L’analyse des données de l’académie de Paris va à l’encontre de ces arguments. »
- Tableau 1 – Un « nivellement par le bas » ? Profil des élèves qui auraient été admis à Henri-IV et Louis-le-Grand en 2016 selon différentes modalités de sélection
- Lecture : En 2016, 1537 élèves ont déposé un dossier de candidature pour entrer en seconde au lycée Henri-IV. Les 271 candidats ont obtenu une note moyenne de 16,0 au baccalauréat général (colonne 2). Les 271 candidats qui auraient été admis s’ils avaient été sélectionnés uniquement sur la base de leur note moyenne au contrôle continu de troisième ont obtenu une note moyenne de 16,3 dans les lycées où ils ont poursuivi leur scolarité (colonne 5). Les élèves qui auraient été admis s’ils avaient été sélectionnés selon la nouvelle procédure prévue pour la rentrée 2022 ont quant à eux obtenu une moyenne de 15,8 (colonne 8).
Champ : Élèves ayant déposé un dossier d’admission en seconde aux lycées Henri-IV et Louis-le-Grand à la rentrée 2016.
Source : Données Affelnet-Lycée 2016 et données des sessions 2018 à 2020 du baccalauréat. Calculs des auteurs.
« Premières fois » : récits de moments charnières autour du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Tony évoque sa scolarité au lycée Henri-IV et le choc social qu’il y a vécu en intégrant cet établissement parisien en seconde.
EXTRAIT
Capital culturel
Au départ, j’étais très mal à l’aise. J’étais dépassé par le niveau d’anglais des élèves. Tous avaient beaucoup voyagé et évoluaient dans des environnements cosmopolites ; de mon côté, je n’avais jamais pris l’avion. Leurs parents étaient plus âgés que ma mère, qui m’a eu à l’âge de 22 ans. Cette différence de génération se reflétait dans les goûts de mes camarades, très marqués : ils écoutaient les Beatles, parlaient des films de la Nouvelle Vague. La bourgeoisie ex-soixante-huitarde avait transmis ce capital culturel à ses enfants. A l’époque, je me disais qu’on ne vivait pas dans le même pays.
J’entends aussi des discours qui me mettent en colère, comme cette proposition d’un camarade, en cours d’économie, de baisser le smic, alors qu’il vit dans un hôtel particulier. Tous étaient pourtant très bienveillants et admiratifs de mon parcours. Je me servais de mon histoire pour me démarquer.
Tous les week-ends, je prends le train pour retrouver ma famille et travailler au tabac-presse de mon village, en Isère. Je sens douloureusement un fossé se creuser entre mon milieu et mon nouvel environnement. Je me déconnecte complètement des préoccupations des jeunes de mon âge.
Après le premier trimestre de la classe de 1re, je craque. Je dis à ma mère que je commence à étouffer. Il se trouve que la situation devenait financièrement difficile : je décide de rentrer définitivement en Isère. J’avais pourtant été positionné pour représenter Henri-IV aux concours généraux de français et d’histoire.
A Paris, « l’intégration forcée des lycées Henri-IV et Louis-le-Grand dans Affelnet serait une erreur » ICI
Collectif
Dix jours après l’annonce de l’entrée des deux prestigieux établissements scolaires dans la procédure d’affectation informatisée, des parents d’élèves et des élèves, anciens et actuels, prennent la parole pour défendre ce qu’apporte, selon eux, la sélection sur dossier.
Publié le 01 février 2022
Tribune. Les élèves, anciens élèves, parents d’élèves et professeurs des lycées Henri-IV et Louis-le-Grand ont récemment appris avec surprise la volonté du rectorat de supprimer la sélection des élèves parisiens sur dossier pour entrer dans ces établissements.
Henri-IV et Louis-le-Grand seraient des temples de « l’entre-soi » et de la bourgeoisie, des « mauvais élèves » de la mixité sociale et scolaire. En tant qu’anciens élèves et parents d’élèves de ces lycées, nous exprimons ici notre stupéfaction. La réalité de notre expérience est très loin de ces clichés.
Pourquoi est-ce un mauvais procès ? Le rectorat met en avant un pourcentage de 9 % de boursiers à Henri-IV et Louis-le-Grand pour l’année 2021, chiffre qui serait inférieur à la moyenne nationale. Or ce chiffre ne reflète nullement la réalité historique des entrées de boursiers dans ces lycées depuis 2015. A Louis-le-Grand, par exemple, 20 % des entrants au lycée en 2015 étaient boursiers, et le taux moyen de boursiers y oscille entre 10 % et 14 %, ou plus, selon les années, et, en classes préparatoires, ce chiffre dépasse régulièrement les 20 %. Par ailleurs, les internats sont réservés en priorité aux boursiers (en classes préparatoires) pour encourager leur venue.
En 2020, les 260 élèves admis à Louis-le-Grand en seconde provenaient de 175 établissements. A Henri-IV, ce sont quelque 170 établissements dont sont issus les 280 élèves de seconde. Quel autre lycée en France peut se vanter d’une telle diversité ? En analysant leur indice de position sociale (IPS) [un indicateur créé par l’éducation nationale] sur la base d’un calcul rétrospectif, la moitié des collèges d’origine aurait un score de 600 ou 1 200 [scores d’un collège intermédiaire et/ou défavorisé, intégrés depuis 2021 à l’algorithme Affelnet, et jouant comme un « bonus » pour les collégiens qui y ont fait leur scolarité]. Par ailleurs, Henri-IV et Louis-le-Grand sont parties prenantes, depuis plusieurs années, d’un programme de « cordées de la réussite », qui permet à d’excellents élèves issus de collèges très défavorisés d’intégrer ces lycées.
Accompagnement individuel
Les lycées Henri-IV et Louis-le-Grand mettent un point d’honneur à accompagner leurs élèves issus de milieux modestes grâce à leurs fondations respectives : d’ores et déjà 750 élèves ont été aidés financièrement par le fonds de dotation d’Henri-IV, et 700 élèves l’ont été par la Fondation de Louis-le-Grand. Au-delà de cette aide financière, les élèves qui en ont besoin bénéficient d’un accompagnement individuel qui leur permet de s’épanouir, de bénéficier de la même vie culturelle et des mêmes opportunités que leurs camarades plus favorisés : solutions d’hébergement, sorties culturelles, séjours linguistiques, programmes de soutien et de tutorat.
Si le souhait est de recruter plus de boursiers ou de profils plus divers, l’étude individuelle et humaine des dossiers de candidature permet tout à fait de réaliser ces objectifs. Il suffit pour cela de puiser davantage dans le vivier d’excellents dossiers d’élèves éligibles – on estime, par exemple, à Louis-le-Grand, qu’il y a environ 350 « admissibles » ayant le niveau souhaité sur 260 places en seconde –, sans pour autant dévaloriser la qualité du recrutement. Pourquoi donc, dans ce cas, insister pour confier à l’algorithme Affelnet cette démarche, alors même que la sélection sur dossier, très sensible et personnalisée, intègre toutes les dimensions du profil de l’élève : notes, appréciations de ses professeurs, motivation et bien entendu son statut de boursier ?
L’intégration forcée des lycées Henri-IV et Louis-le-Grand dans le système Affelnet serait une erreur. En ce qui concerne les notes, tout d’abord : Affelnet fonctionne sur un agrégat beaucoup moins riche en informations qu’un bulletin scolaire. Affelnet ne distingue que faiblement la part de telle ou telle matière dans le résultat moyenné et empêche d’identifier les cas atypiques, ainsi que les élèves excellents en sciences ou en lettres par exemple (les coefficients de chaque matière étant plus ou moins les mêmes). Aussi, ce que le rectorat appelle « lissage » (il s’agit en réalité d’un nivellement) permet de rehausser ou d’abaisser les notes en fonction de tranches de points : un 15 et un 20 se valent dans ce système. Par conséquent, Affelnet ne fait pas de différence entre un excellent dossier et un autre simplement bon ! Ce qui révèle, en creux, l’un des objectifs de la réforme Affelnet : la disparition des « lycées de niveau ».
Disparition des filières d’excellence
Autre problème, le score IPS. L’indice de position sociale utilisé par Affelnet est un outil statistique illustrant en un « score » la diversité des positions sociales et métiers des parents d’élèves d’un collège donné, tels que renseignés par les parents à chaque rentrée de sixième sur des formulaires demandant d’indiquer la « profession des parents ». Si, sur cette base déclarative, le collège est jugé privilégié, Affelnet lui affecte un score IPS de zéro. Cela pénalise d’un malus de points tous les collégiens de cet établissement, qui ne sortiront donc pas, à niveau scolaire égal, parmi les premiers dossiers retenus sur la base du score total. A contrario, si l’IPS d’un collège est élevé, tout élève qui en est issu bénéficie d’un bonus de 600 à 1 200 points supplémentaires.
D’après les études communiquées par les parents d’élèves du collège Victor-Hugo à Paris, sur la base des scores et affectations des élèves de l’année 2020-2021, le score IPS permet d’ajouter jusqu’à près de 8 points à la moyenne de l’élève ! L’effet pervers est évident : quid de l’enfant de famille modeste habitant dans les « beaux quartiers », qui aura un « IPS 0 » ? Quid du fils de cadre supérieur d’un quartier jugé moins favorisé, qui aura, lui, un « IPS 1 200 » ? Un enfant scolarisé dans un collège à IPS avec bonus « IPS 1200 » avec 12/20 de moyenne se retrouverait peut-être ainsi en haut de la pile pour entrer dans un lycée d’excellence, alors qu’un excellent élève fréquentant un collège à « IPS 0 » en serait possiblement exclu. On voit bien l’incohérence d’un tel mécanisme avec l’objectif d’une sélection par le pur mérite. Quand bien même des aménagements à Affelnet seraient proposés pour Louis-le-Grand et Henri-IV, ils n’atténueraient qu’à la marge les effets structurels d‘un logiciel qui vise une autre finalité, difficilement conciliable avec la dynamique d’excellence républicaine.
En conséquence, avec les paliers de notes qui empêchent les excellents élèves de se démarquer, et l’indice IPS sans lien avec la qualité propre de l’élève, il n’y aura plus aucune motivation pour les élèves travailleurs et sérieux, les profils d’exception, à candidater dans ces établissements, tant leurs chances d’y entrer seront désormais encore plus réduites et surtout très fortement aléatoires.
Une telle absence de clarté et un si fort sentiment d’iniquité ne peuvent que faire le jeu des établissements privés, aux dépens des élèves de familles n’ayant pas les moyens financiers ou les relations pour y accéder. Pour ceux qui resteront dans le public, ces filières d’excellence auront bel et bien disparu. En les mettant en péril, tout en ne servant qu’à la marge l’ouverture sociale, la réforme proposée entraînera demain une véritable ségrégation de niveaux et de classes sociales entre un secteur public dépouillé et un secteur privé en plein essor.
Tribune écrite par un collectif d’élèves, de professeurs, d’anciens élèves et parents d’élèves des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV, et co-signée par des représentants d’associations de parents d’élèves, des élus, des anciens élèves et des professeurs de ces établissements, dont : Anne Biraben, membre des Conseils d’Administration du college et lycée Henri-IV, ancienne élève du lycée Henri-IV ; Alexandre Barrat, membre du Conseil d’administration du lycée Louis-le-Grand, ancien élève du lycée Louis-le-Grand ; Antoine Bonneval, FCPE Louis-le-Grand, président depuis 2021, élu au Conseil d’administration ; Céline Jeanjean, FCPE Louis-le-Grand, vice-présidente depuis 2016, élue au Conseil d’administration ; Bruno Bensaid, FCPE Louis-le-Grand, membre du bureau, élu au Conseil d’administration et ancien du Lycée Henri-IV ; Béatrice Millot, FCPE Louis-le-Grand, secrétaire du bureau local, élue au Conseil d’administration et ancienne élève du lycée Henri-IV ; Nicolas Balaresque, professeur d’Histoire-Géographie en ECG au lycée Henri-IV ; Marie-Noëlle Faure, professeure honoraire de chaire supérieure, Lycée Henri-IV ; Martine Leloup, professeure honoraire de Lettres, lycée Henri-IV ; Carine de Saint-Rémy, professeur d’histoire au lycée Henri-IV ; Aliocha Piéchaud, élève de l’École normale supérieure, ancien élève du lycée Henri-IV (2016-2021) ; Aline Boutchenik, juriste publiciste, ancienne élève du lycée Henri-IV (2010-2013) et du CPES-PSL (2014-2017) ; Karim Bouyad, ancien élève du lycée Henri-IV (1998-2004), entrepreneur ; l’Association des anciens élèves de Louis-le-Grand (AAELLG) avec Bernard Chapot, president ; Habib Shoukry, vice-président ; Sophia Fassassi, membre du Conseil d’administration et professeure de Lettres ; Ophélie-Tiphaine Arcilla Borraz, membre du Conseil d’administration et enseignante ; Bérengère Chmielewski, membre du Conseil d’administration etc.
Collectif