Jean-François fut Ministre conseiller pour les affaires économiques 2005 - 2008 3 ans à l’Ambassade de France à Moscou, Russie. Je suis allé dîner chez lui
3 novembre 2006
La place Rouge était... ICI
Rien ne peut excuser la guerre déclenchée par la Russie
Une invasion injustifiable
La Russie a déclenché la guerre contre l’Ukraine jeudi 24 février 2022 au matin.
Cette dictature qui exerce le pouvoir au profit d’un petit groupe d’oligarques mafieux, regroupés autour de V. Poutine, chef de cette mafia, en opprimant et pillant son peuple et les ressources du pays, a déclenché une guerre et envahi un pays n’ayant commis à son égard aucun acte d’agression. Cette guerre doit être condamnée sans aucune nuance. La Russie doit cesser cette guerre et retirer ses troupes sans conditions.
C’est bien sûr ce que toute personne se réclamant de la défense des droits humains, de la République, de la souveraineté comme condition de la démocratie, voire de la Gauche dirait s’il s’agissait d’un acte de guerre américain contre un autre État souverain. Mais comme il s’agit de la Russie et que malheureusement certains « souverainistes » y voient un modèle de défense de la souveraineté contre l’impérialisme américain les choses sont plus compliquées.
Après avoir considéré jusqu’aux premiers obus tirés contre l’Ukraine que Poutine n’avait aucune intention de déclencher la guerre et que les rumeurs laissant penser que la menace était réelle n’existaient que parce que les Américains et leurs marionnettes à travers le monde voulaient mettre sous pression cette pauvre Russie, les amis de la Russie sont obligés de condamner timidement, du bout des lèvres, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, tout en montrant leur compréhension pour l’agresseur par de très longs discours empreints de considérations plus ou moins historiques, à l’instar de ce que V Poutine lui-même a fait à la télévision avant de déclencher son offensive, pour justifier l’injustifiable.
Des justifications « historiques » mensongères
V. Poutine a expliqué à la télévision, le 21 février, à la veille de l’invasion de l’Ukraine, que tout le problème résultait de l’erreur initiale de Lénine responsable de la création d’un Etat artificiel, l’Ukraine, après la révolution bolchevique, au nom du principe des nationalités. Staline a bien essayé de redresser le cap en ne laissant à l’Ukraine, comme aux autres Républiques de l’Union soviétique, qu’une souveraineté limitée est purement formelle, mais il n’a malheureusement pas été assez loin. Il aurait fallu purement et simplement supprimer les Républiques socialistes censées être regroupées au sein de l’Union Soviétique. Mais Staline n’a pas osé le faire. Dès lors, dit V. Poutine, le ver était dans le fruit et c’est cette construction incomplète qui a conduit à l’effondrement de l’Union soviétique, en laissant vivre des ferments nationalistes au sein de la grande patrie du socialisme réel.
Il n’y a donc aucun problème à bombarder un pays qui n’existe pas vraiment, sinon de façon artificielle, et à tuer les Ukrainiens qui veulent défendre leur nation et sa souveraineté.
Se prétendre humilié pour écraser un voisin plus petit
Comme cette justification « historique » peut sembler un peu tirée par les cheveux, les amis de la Russie invoquent une autre justification à l’agression par la Russie de son voisin ; il s’agit de l’humiliation dont les Occidentaux se seraient rendus coupables vis-à-vis de la Russie, notamment au travers de l’extension de l’OTAN.
Il est pathétique de voir reprise à l’envi par une partie de la gauche et la droite et par de multiples sites sur les réseaux sociaux la légende de la pauvre Russie méprisée, agressée, menacée par l’OTAN et qui dans un ultime sursaut pour assurer sa survie est obligée d’envahir l’Ukraine.
L’extension de l’OTAN, après 1991 et l’effondrement de l’URSS, ne résulte pas essentiellement de la volonté des Américains, mais d’une demande des Européens, spécifiquement de la Pologne appuyée par l’Allemagne. La Pologne considérant que son entrée dans l’Union européenne serait un long chemin et désirant bénéficier rapidement d’une garantie occidentale, a fait de son entrée dans l’OTAN un objectif essentiel dès 1992. L’Allemagne l’a appuyée dans cette voie. L’administration Clinton s’est progressivement rangée à cette orientation à partir de 1994. Le principe de l’élargissement à l’Est a été retenu par les 16 membres de l’OTAN en janvier 1994. La France, à l’origine réticente, s’est ralliée à cette perspective après l’élection de Jacques Chirac en 1995. Cette ouverture de l’OTAN n’était cependant pas inconditionnelle. Un nouvel adhérent ne pouvait être accepté que si tous les membres de l’OTAN donnaient leur accord. Des conditions sur le respect de la démocratie et le traitement des populations minoritaires était également imposées (l’OTAN n’a pas été très regardante sur ce sujet dans le passé, acceptant par exemple la Grèce des colonels comme adhérente en 1951).
Les États-Unis d’Amérique sont moins attachés à l’OTAN que ne le sont les Européens. Ils étaient défavorables à son élargissement au lendemain de l’effondrement de l’URSS, car ils n’avaient aucune envie de faire entrer dans cette organisation des pays ne disposant ni d’un appareil militaire véritablement efficace, ni des capacités de le développer. Les nouveaux entrants potentiels représentaient plus à fardeau pour l’OTAN qu’un atout, d’un strict point de vue militaire. Le seul intérêt de l’élargissement pour les États-Unis, était d’élargir le cercle de ses alliés et clients reconnaissants et de contrôler les velléités des Européens de construire une défense autonome.
Il faut bien dire qu’il n’est malheureusement pas très difficile de contrôler ces velléités et d’éviter qu’elles prospèrent...
Faut-il rappeler que Donald Trump considérait l’OTAN comme une organisation obsolète et nuisible aux Américains (E Macron considère qu’elle est en état de mort cérébrale).
Ignore-t-on que depuis l’administration Obama, les États-Unis souhaitent se désengager de l’Europe, pour concentrer leur force là où se situent de leur point de vue les principaux enjeux : l’Asie.
La guerre déclenchée par Poutine est, de ce point de vue, une mauvaise nouvelle pour l’Amérique qui une fois encore se voit détournée de ce qu’elle considère comme ses objectifs stratégiques principaux en Asie et craint que la Chine tente de profiter de cette situation pour agir comme le fait Vladimir Poutine.
Le récit de la promesse non tenue que répète Vladimir Poutine pour justifier sa politique internationale injustifiable est un récit reconstitué a posteriori et pour tout dire une histoire inventée pour justifier son comportement.
Ce qui a été promis en 1990 par les Américains et l’Allemagne à l’Union soviétique, qui existait encore, c’est que les forces de l’OTAN ne seraient pas stationnées dans les Länder orientaux après la réunification allemande. Cette promesse a été tenue jusqu’à aujourd’hui. À cette époque, il n’était pas question d’élargissement de l’OTAN, le pacte de Varsovie existait encore. Mikhaïl Gorbatchev lui-même a déclaré que « la question de l’expansion de l’OTAN n’était alors jamais discutée... Aucun pays d’Europe de l’Est n’en parlait même après la dissolution du pacte de Varsovie en 1991. Les dirigeants occidentaux non plus n’en parlaient pas ».
Si une telle promesse avait été formulée, on peut penser que la Russie aurait exigé qu’elle soit traduite dans un document endossé par les parties en présence. Mais cela n’était de toute façon pas possible puisque l’acte final d’Helsinki de 1975, dont l’Union soviétique était signataire, reconnaissait à chaque signataire « le droit d’être partie ou non à des traités d’alliance ». Quant à la charte de Paris « pour une nouvelle Europe », de novembre 1990, également signée par l’Union soviétique, elle donne à tous ses signataires la liberté de choisir leurs propres arrangements en matière de sécurité.
Vladimir Poutine lui-même a déclaré en Slovénie, à Bled, à l’occasion d’un sommet avec les États-Unis que la question de l’élargissement de l’OTAN ne saurait être un obstacle à la coopération bilatérale américano-russe.
Quant au dispositif militaire de l’OTAN, il a été considérablement réduit de 1990 à 2014. Il n’a été renforcé qu’après l’annexion brutale, en violation du droit international, de la Crimée par la Russie en 2014. Même après ce renforcement, les troupes étrangères stationnées dans la région représentent l’équivalent de six brigades quand les effectifs permanents de la Russie le long de la frontière représentaient une vingtaine de brigades. Aujourd’hui, plus de 100 000 militaires russes sont mobilisés, désormais en partie sur le sol ukrainien.
Fausse identité entre des évènements incomparables
Humilié, Vladimir Poutine serait aussi victime de la partialité de l’opinion manipulée par les Etats-Unis. Il y aurait deux poids deux mesures pour juger deux interventions de même nature : l’invasion de l’Ukraine par la Russie aujourd’hui et l’intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie en 1995.
La vérité oblige pourtant à dire que les deux situations n’ont rien à voir.
S’il n’y avait pas eu une intervention russe dans le Donbass en 2014, en même temps que la Russie annexait la Crimée, intervention visant à maintenir des zones de conflits sur le territoire ukrainien au travers de ces soi-disant républiques autoproclamées soutenues par l’armée parallèle que constituent les milices russes « Wagner », financées par un oligarque proche de Poutine et armées par les moyens militaires russes, il n’existerait pas d’affrontement interne en Ukraine, autres que des compétitions politiques classiques existant dans tout pays à peu près démocratique.
L’utilisation par Poutine de ce que l’on appelle les « conflits gelés » mérite un court développement.
Poutine s’est fait une spécialité de l’utilisation de minorités russophones dans l’ancien espace soviétique pour créer des abcès de fixation lui permettant de maintenir une présence militaire et une influence sur des Etats devenus autonomes : Abkhazie et Ossétie du Sud en Géorgie, Transnistrie en Moldavie, avant de créer les républiques fantoches de Lougansk et Donetsk en Ukraine.
Le conflit de 2020 entre l’Azerbaïdjan soutenu par les Turcs et la république autoproclamée du Haut-Karabakh soutenue par l’Arménie, est un bon exemple de l’utilisation par la Russie de ces conflits gelés, cette fois même en l’absence de minorité russophone. Après l’échec de la tentative du groupe de Minsk d’imposer un cessez-le-feu, la guerre s’est terminée par un accord négocié sous l’égide de la Russie qui lui confie le contrôle du corridor de Latchin entre l’Arménie et le Haut-Karabagh. Ce conflit aura profité à l’Azerbaïdjan et à la Russie au détriment de l’Arménie et de la république autoproclamée, dans un contexte d’incapacité confirmée de l’Europe à agir.
La situation dans l’ex-Yougoslavie après l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990 n’avait rien à voir avec celle de l’Ukraine en 2022.
L’explosion violente de l’ex-Yougoslavie s’est traduite par la multiplication de guerres sur son territoire, en plein cœur de l’Europe, dont les autres pays européens ne pouvaient pas se désintéresser, mais qu’ils étaient comme d’habitude incapables de régler.
La guerre s’est d’abord développée en Bosnie-Herzégovine entre les Serbes, les Bosniaques et les Croates. Georges Bush puis Bill Clinton ne voulaient pas s’en mêler et considéraient qu’il revenait aux Européens de gérer la crise des Balkans. La France proposait d’intervenir en utilisant l’union de l’Europe occidentale. La Grande-Bretagne refusait cette solution. Des troupes internationales furent finalement envoyées sous l’égide de l’ONU. La guerre sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et particulièrement en Bosnie-Herzégovine allait faire plus de 100 000 morts entre 1992 1995. Elle a été marquée par de nombreux crimes de guerre et le massacre de Srebrenica fut qualifié de génocide par le tribunal pénal international. L’intervention de l’OTAN permettra de mettre fin à la guerre et de signer les accords de Dayton. La résolution 1031 du conseil de sécurité des Nations unies adoptées le 15 décembre 1995 a transféré les opérations de paix de l’ONU à l’OTAN et l’a chargée de mettre en œuvre les aspects militaires de l’accord de paix. L’IFOR mise en place par l’OTAN comprenait notamment un contingent russe.
Trois ans plus tard la guerre reprenait cette fois entre la Serbie et sa province du Kosovo dans laquelle était apparue d’abord une opposition démocratique, puis une armée de libération du Kosovo (UCK). La guerre fût d’une grande violence, marquée par des exactions qui conduiront à l’inculpation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité des dirigeants serbes par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Alors que les négociations s’ensablaient à Rambouillet, l’OTAN a lancé une campagne de bombardement de la Serbie pendant 78 jours, sans mandat explicite des Nations unies. Cette intervention sans mandat de l’organisation des Nations unies était condamnable. Elle fut d’ailleurs condamnée, à juste titre, par beaucoup à l’époque. Elle montra une fois encore l’incapacité des Européens à régler eux-mêmes les questions de sécurité qui affectent leur territoire.
Mais il n’y a rien de commun entre cette intervention et la guerre déclenchée en 2022 par la Russie contre l’Ukraine et les guerres des Balkans. La guerre de 2014 a été provisoirement conclue par l’accord de Minsk II qui prévoyait notamment: un cessez-le-feu à minuit le 15 février 2015, le retrait des armes lourdes de chaque côté de la ligne de cessez-le-feu, la vérification du cessez-le-feu, le pardon et l’amnistie, l’échange de prisonniers, la restauration des frontières de l'Ukraine, le retrait des troupes étrangères. De cette simple énumération, chacun pourra tirer les conclusions de ce qui a été fait de ce qui ne l’a pas été au cours des huit années passées.
Ce qui a été reproché à V Zelensky depuis sa prise de pouvoir c’est plutôt sa trop grande complaisance vis-à-vis de la Russie que son comportement provocateur. Les pro-occidentaux lui ont reproché de replier les troupes ukrainiennes sans contrepartie. En octobre 2019 des manifestations ont eu lieu place de Maïdan contre son projet d’autonomie pour le Donbass séparatiste. V Zelensky a poursuivi la politique d’échange de prisonniers avec les séparatistes pro-russes du Donbass, incluant dans ses échanges des membres des unités spéciales ayant participé à la répression de la révolution de Maïdan, ce qui lui fût beaucoup reproché.
On peut ajouter que jusqu’au déclenchement de la guerre, l’Allemagne avançait de façon déterminée sur la voie de la mise en service du gazoduc « Nord Stream 2 » après que Joe Biden a abandonné l’idée de s’y opposer, sans plus de considération pour la défaite que cela représentait pour Zelensky et pour l’Ukraine.
Il ne s’agit pas de décerner un brevet de bonne conduite au gouvernement ukrainien qui ne le mérite pas à de nombreux autres égards, mais simplement d’expliquer pourquoi la guerre déclenchée par Poutine n’a pas d’autre justification que sa volonté de domination régionale, de recomposition de l’empire russe diminué après l’effondrement de l’Union soviétique.
Ne pas mentir sur ce qui se passe
Bien sûr, condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie ne suffira pas à la faire reculer et à rendre à l’Ukraine la souveraineté sur son territoire national.
Mais mentir sur ce qui est en cours, désigner les bourreaux comme des victimes, trouver des excuses en falsifiant l’histoire à ce qui n’est qu’un acte de guerre conduit au mépris de toutes les règles internationales, c’est cracher sur les Ukrainiens après qu’ils ont été piétinés par le régime policier russe au nom de la loi du plus fort.
Nous ne pouvons peut-être pas grand-chose pour aider les ukrainiens dans leur lutte désespérée, profondément inégale, mais nous pouvons au moins être solidaires de cette lutte, le dire, condamner sans appel ceux qui se rendent coupables de ce crime et ne jamais oublier ce qui se passe en ce moment qui marquera la vie de l’Europe certainement pour de longues années.
Jean-François Collin
25 février 2022
MELANIA AVANZATO/OPALE/LEEMAGE
Andreï Kourkov, écrivain ukrainien : « C’est le retour des bolcheviks »
L’auteur du “Pingouin” vit à Kiev. Il nous décrit la situation dans sa ville, depuis que Vladimir Poutine a entamé une guerre contre l’Ukraine. Entre stress et tristesse, il dit combien la situation ne le surprend pas. Et ce qu’il attend de l’Europe.
En cette fin d’après-midi du premier jour de la guerre lancée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine, Andreï Kourkov, 60 ans, est chez lui, à Kiev. L’auteur du Pingouin (2000), du Caméléon (2001), du Dernier Amour du président (2015) et tout récemment des Abeilles grises, tous publiés aux éditions Liana Lévi, que nous avions rencontré en 2004 pendant la « révolution orange », a accepté de nous livrer ses craintes et ses réflexions.
- Comment vous sentez-vous ?
C’est difficile. Nous suivons la situation depuis notre appartement, avec ma femme. C’est une situation extrêmement dangereuse, il y a des combats à 25 kilomètres d’ici, dans la banlieue et près d’un aérodrome aux portes de la ville, dont l’armée russe a peut-être déjà pris le contrôle. Pour tout vous dire, j’ai bien peur que des missiles russes ne tombent sur Kiev pendant la nuit. En réalité, nous sommes attaqués de tous les côtés, par la Crimée, par la Transnistrie (en Moldavie), du coté de la Russie, évidemment, ainsi que de la Biélorussie, d’où sont envoyés des missiles. C’est toute l’Ukraine qui est en danger, pas seulement le Donbass.
Quand nous nous sommes rencontrés en 2004, puis en 2014, vous exprimiez vos craintes que la position géographique de l’Ukraine la rende à jamais sujette à une possible invasion russe.
- Êtes-vous surpris de ce qu’il se passe aujourd’hui ?
Je ne suis pas surpris, mais je suis très triste et… très stressé. Je savais que c’était possible, mais j’espérais vraiment qu’on allait éviter la guerre. L’Ukraine a besoin de former des politiciens beaucoup plus sophistiqués et expérimentés, pour pouvoir défendre ses intérêts entre les deux « blocs » et face à un homme comme Poutine. Mais nous n’avons pas de tradition politique, ni d’école de politiciens. On n’a jamais eu de présidents vraiment capables de résister à la Russie ou de s’entendre avec elle de telle sorte que nos intérêts soient aussi respectés. Heureusement, nous avons au moins réussi à moderniser notre armée, et aujourd’hui, cela compte…
- Cette invasion, c’est l’Histoire qui se répète ?
Oui, c’est comme un continuation de la Seconde Guerre mondiale. L’armée russe qui arrive pour coloniser et contrôler le territoire ukrainien, ce n’est pas tout à fait nouveau : c’est le retour des bolcheviks. Poutine est le plus riche bolchevik du monde, qui veut reconstruire l’Union soviétique mais comme son empire privé ! Même par son langage, avec son discours sur les « nazis », nous sommes dans le prolongement de la « grande guerre patriotique ».
- Qu’attendez-vous de l’Europe ?
Des aides militaires et des pressions diplomatiques, même si je ne crois pas que les pressions puissent changer la politique de Poutine. Il faut couper la Russie du monde civilisé, empêcher toute personne avec un passeport russe de voyager, sinon cette guerre ne s’arrêtera pas avec mon pays. Il y a eu la Georgie, la Transnistrie, l’Ossétie, ça ne s’arrêtera jamais ! Je ne pense pas que les sanctions économiques seules suffiront, mais les aides militaires, le blocage des finances russes dans les banques européennes et américaines, le blocage des comptes des oligarques de l’entourage de Poutine auront peut-être plus d’effet. Peut-être…
- Et qu’attendez-vous des États-Unis ?
En nous envoyant des armes, ils font beaucoup pour que l’Ukraine reste indépendante.
“Mon pays va payer très cher sa résistance dans cette guerre qu’il n’a jamais voulue.”
- Avez-vous la moindre illusion que l’Ukraine, avec ses forces militaires, pourra résister à l’armada russe ?
Elle peut résister pendant quelques semaines. Je ne suis pas un stratège, et donc je ne peux prévoir, mais l’esprit de l’armée ukrainienne me semble beaucoup plus fort que l’esprit de l’armée russe, car le Kremlin a envoyé des soldats qui font leur service militaire et qui n’ont pas une grande motivation pour nous envahir. Alors que les forces ukrainiennes sont extrêmement motivées, tout comme le reste de la population, pour protéger leur pays. J’ai parlé avec des volontaires qui étaient partis dans le Donbass en 2014-2015, et beaucoup de nos quatre cent mille réservistes sont déjà partis pour rejoindre l’armée. Ce ne sera pas si facile pour la Russie de conquérir l’Ukraine… mais je sais bien que mon pays va payer très cher sa résistance dans cette guerre qu’il n’a jamais voulue.
- Que ferez-vous si les Russes occupent Kiev ?
Si je ne suis pas arrêté, je partirai à l’étranger. Je ne suis pas bienvenu dans mon pays, pour les Russes. Mes livres ne sont plus publiés en Russie depuis 2008.
- En 2004, pendant la « révolution orange », vous n’arriviez plus à écrire. Y parvenez-vous en ce moment ?
Non, je viens d’arrêter d’écrire mon dernier roman, sur la vie à Kiev en 1919 pendant la guerre civile. J’écris des articles et des commentaires, mais je vous avoue que je suis très fatigué – et même, psychologiquement, bien plus que fatigué.
- Certains pensent que le projet de Poutine est d’installer une marionnette à la tête de l’Ukraine ; d’autres pensent qu’il a l’intention d’envahir tout le pays pour le raccrocher à une Grande Russie… Et vous ?
Je ne sais pas. Ce dont je suis certain, c’est que Poutine veut contrôler l’Ukraine, et pour moi cela ne ferait pas une grande différence que ce soit un président imposé par Poutine ou un gouverneur russe envoyé par Moscou pour gérer la province ukrainienne, comme à l’époque tsariste…