J’aime les fenêtres du hasard : pour digérer la biographie d’Hitler, je l’ai lu en alternant avec un polar espagnol de Dolorès Redondo 674 pages tout de même, qui a pour toile de fond l’ouragan Katrina ICI qui a ravagé la Nouvelle-Orléans en août 2005.
Et puis, l’autre soir, par hasard je suis tombé sur le d’un film Dans la brume électrique de Bertrand Tavernier avec Tommy Lee Jones et John Goodman, qui a pour cadre La Nouvelle-Orléans.
J’aime bien Tavernier.
Tommy Lee Jones et John Goodman, sont de grands acteurs, le premier est aussi un grand réalisateur. 2005 : Trois Enterrements (The Three Burials of Melquiades Estrada), 2014 : The Homesman (également scénariste). Je reviendrai sur ce dernier film que je viens aussi de visionner.
Comme je n’ai aucune vocation de critique aussi bien littéraire que cinématographique, je délègue.
“La Face nord du cœur”, de Dolores Redondo : la nouvelle reine du polar ne vient pas du froid, mais du Pays basque
Michel Abescat
Publié le 05/02/21
Une vallée sombre des Pyrénées navarraises. Des habitants taiseux, tourmentés par une mythologie effrayante. Et une enquêtrice, enfant du pays à l’intuition hors normes. Révélée par sa trilogie du Baztán, l’autrice basque espagnole Dolores Redondo remonte dans le temps pour ce nouvel opus, remarquable.
Son nouveau roman, La Face nord du cœur, qui vient de paraître dans la Série noire, est un événement à la mesure du succès de la fameuse trilogie du Baztán qui l’a précédé. Qui aurait pu parier, pourtant, que cette petite vallée d’une quinzaine de villages, enclavée dans les Pyrénées navarraises, serait un jour connue des amateurs de polar du monde entier ? La raison en est simple : comme l’écrivain islandais Arnaldur Indridason l’a fait pour son pays, Dolores Redondo a su installer un nouveau territoire du polar, le Pays basque espagnol, dont elle est originaire.
Un pays qu’elle peint à la manière des fjords de l’Est chers à Indridason. Fascinants, mais aussi inquiétants. Sous le regard de Dolores Redondo, la vallée du Baztán apparaît sauvage, isolée, battue par des pluies incessantes, recouverte de sombres forêts, vastes à s’y perdre. La vie y est rude et ses habitants, plutôt taiseux, enfermés dans leur carapace. Avec un sens aigu des atmosphères, elle fait ainsi du paysage un personnage étrange, déprimant et angoissant.
Et peut-être a-t-elle déjà fait école. À la fin de l’année dernière en effet paraissait le premier roman d’un auteur basque, Ibon Martin, qui empruntait le même chemin. La Valse des tulipes se situait dans l’estuaire d’Urdabai, entre Guernica et les falaises de la mer cantabrique, et l’auteur en faisait ressortir la splendeur, mais aussi la rudesse et la mélancolie des jours de pluie. Racontant une série de meurtres de femmes, le roman accordait une large place à l’histoire et à la mythologie basques, qui devenaient ainsi le sujet principal du livre.
Anthropologue méticuleuse, Dolores Redondo se plaît également à extirper la mémoire de son pays, en particulier celle de ses plus vieilles croyances. La trilogie du Baztán est ainsi hantée par les figures de la mythologie basco-navarraise. Le tarttalo par exemple, cyclope gigantesque qui « se nourrit de brebis, de jeunes filles et de bergers », est au centre du deuxième volume, De chair et d’os. Le basajaun, étrange créature mi-ours, mi-homme, seigneur de la forêt, inspire le titre du premier épisode, Le Gardien invisible. Quant à Inguma, il ne faut guère de temps pour que ce démon de la nuit qui « boit l’âme des enfants pendant qu’ils dorment », soit soupçonné d’être à l’origine des morts subites de nourrissons qui endeuillent la vallée dans le troisième volet, Une offrande à la tempête.
Charme maléfique des traditions de sorcellerie
Dolores Redondo s’appuie sur ce monde mythologique qui a bercé son enfance et qui, dit-elle, « subsiste à Baztán comme dans peu d’endroits au monde ». Elle en fait sa pâte romanesque, et ravive de livre en livre le charme maléfique des traditions de sorcellerie qui ont marqué la vallée en imaginant des intrigues autour de meurtres rituels et de sectes sataniques façon Rosemary’s Baby.
Restait ensuite à créer un personnage profondément ancré dans ce territoire, éminemment sensible à sa culture et à ses traditions. De la même façon qu’Arnaldur Indridason a imaginé la figure d’Erlendur Sveinsson comme une incarnation de l’âme islandaise, homme de brume et de silences, hanté par la disparition de son petit frère dans une tempête quand ils étaient enfants, Dolores Redondo a façonné son personnage de femme enquêtrice, Amaia Salazar. Et c’est une magnifique réussite, sans doute l’atout maître de ses romans.
Inspectrice à la police forale de Navarre, Amaia Salazar est une guerrière, le genre de flic qui ne lâche jamais sa piste, remarquable analyste, douée d’un grand sens de la déduction. Mais elle est aussi une fille du pays, qu’elle a fui pendant des années pour se mettre à distance d’une enfance traumatisée par la haine que sa mère lui vouait jusqu’à tenter de la tuer. De cet enfer, Amaia est sortie armée d’une sorte de sixième sens, une intuition hors du commun, une sensibilité acérée au comportement criminel, un don singulier pour « discerner la trace du mal », dira un de ses collègues. Amaia avance ainsi, « l’ombre de sa mère penchée sur elle », et incarne une sorte de pont entre le monde réel et l’invisible si présent dans la tradition de son pays, où les morts et les démons ne sont jamais très loin.
Décor apocalyptique post-ouragan Katrina
À la différence des trois premiers, le nouveau volume de la série, La Face nord du cœur, se situe pour l’essentiel hors du Pays basque, et en amont de la trilogie. En août 2005, la jeune sous-inspectrice Salazar est venue en stage à Quantico, en Virginie, pour étudier le profilage des criminels à l’académie du FBI. Un de ses professeurs remarque ses dons exceptionnels et l’entraîne avec lui en Louisiane sur les traces d’un tueur en série qui s’attaque à des familles, toutes sur le même modèle, et selon un schéma fortement ritualisé. L’intrigue est haletante, remarquablement tenue, et très vite reviennent les souvenirs et les hantises d’Amaia confrontée à un être maléfique qui la renvoie à sa mère. Le passé, la vallée du Baztán envahissent ainsi le présent américain, dans une série d’allers et retours temporels, et ce quatrième volume est à nouveau au cœur des obsessions de l’autrice. D’autant plus que l’action se déroule au moment du passage de l’ouragan Katrina, dont Dolores Redondo utilise la puissance dramatique pour installer un décor d’apocalypse en phase avec son propos.
La mort et le mal dominent ainsi ce nouvel épisode, qui se révèle tout aussi troublant que les précédents. Les défunts semblent aussi présents que les vivants, ils se manifestent, réclament justice. Quant aux figures du mal, la mère d’Amaia par exemple ou le tueur en série, ils sont certes des psychopathes, mais ils incarnent aussi, à l’évidence pour l’autrice, l’existence d’une force obscure, maléfique, à l’œuvre parmi les humains. Comme le dit Amaia à propos du tueur en série qu’elle poursuit, « sa satisfaction et son pouvoir proviennent du fait que nous ne croyons pas à son existence. Comme le diable ».
Dolores Redondo joue ainsi, une nouvelle fois, avec une belle efficacité romanesque, de l’ambivalence entre légende et réalité, sciences criminelles et croyances millénaires, pour installer définitivement son pays comme territoire singulier du polar. Un pays on l’on pense comme la tante d’Amaia, qui aime à répéter : « il ne faut pas croire aux sorcières, mais il ne faut pas dire non plus qu’elles n’existent pas ».
La Face nord du cœur, de Dolores Redondo, traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet, éd. Gallimard, coll. Série Noire, 688 p., 20 €.
Les volumes de la trilogie du Baztán sont disponibles en poche dans la collection Folio-Policier.
La Valse des tulipes, d’Ibon Martin, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, éd. Actes Sud, coll. Actes Noirs, 480 p., 23 €.
Dans la brume électrique : les relations tendues entre Tavernier et Tommy Lee Jones... 4 autres anecdotes à découvrir ICI
De quoi ça parle ? New Iberia, Louisiane. Le détective Dave Robicheaux est sur les traces d'un tueur en série qui s'attaque à de très jeunes femmes. De retour chez lui après une investigation sur la scène d'un nouveau crime infâme, Dave fait la rencontre d'Elrod Sykes. La grande star hollywoodienne est venue en Louisiane tourner un film, produit avec le soutien de la fine fleur du crime local, Baby Feet Balboni. Elrod raconte à Dave qu'il a vu, gisant dans un marais, le corps décomposé d'un homme noir enchaîné. Cette découverte fait rapidement resurgir des souvenirs du passé de Dave. Mais à mesure que Dave se rapproche du meurtrier, le meurtrier se rapproche de la famille de Dave...
1. LES RELATIONS TENDUES ENTRE BERTRAND TAVERNIER ET TOMMY LEE
Interviewé au Festival de Berlin par AlloCiné, Bertrand Tavernier a confié que Tommy Lee Jones s'était montré très interventionniste pendant le tournage : "J'ai du faire 30 sessions de travail avec lui dans différents États. Je l'ai suivi au Nouveau-Mexique quand il tournait le film de Paul Haggis, en Floride quand il faisait des matchs de polo... Il coupait, il réécrivait... Un jour, il est venu avec une idée qui ne me plaisait pas. Je lui ai dit : " Je ne veux pas de ça, et si vous insistez je quitte le film." -"Bertrand, on n'en reparlera plus", m'a-t-il répondu." Ces relations tendues n'ont pas empêché le cinéaste de redire son admiration pour le comédien, ni de sourire avec tendresse en évoquant la raison pour laquelle celui-ci dit s'être senti proche de Robicheaux : "Le père du personnage meurt sur un puits de pétrole, or le père de Jones travaillait aussi sur un puits de pétrole. Il m'a confié : "J'ai passé toute mon enfance à attendre que mon père rentre du travail, dans la peur d'un accident." Au final, Tommy Lee Jones a apporté sa propre contribution en écrivant totalement certaines scènes, comme par exemple celle de la pêche.
La suite ICI
Les spectateurs français découvriront, mercredi 15 avril, la version voulue par le réalisateur. Les Américains en verront une autre, sur DVD.
Interprété par Tommy Lee Jones, l'inspecteur Dave Robicheaux est assis dans un bar et se présente d'emblée comme un alcoolique. "Parfois, j'ai envie de boire un verre. Mais je résiste toujours à la tentation." Tel est le début de Dans la brume électrique, de Bertrand Tavernier... dans sa version américaine.
La version qui sort dans les salles françaises, mercredi 15 avril, commence autrement : par un long travelling sur les bayous de Louisiane couverts de brume, au son de la voix off de l'enquêteur : "Dans les temps anciens, les gens mettaient des pierres sur la tête des mourants..." Ce monologue, qui se poursuit lors de la découverte d'un cadavre, évoque encore le rêve d'"une louve au sommet d'un arbre qui mangeait ses petits", et plus tard la disparition des chauves-souris de la région, "bouffées par les moustiques". Autre exemple de cette différence de perception artistique, une scène où l'on découvre un camp de confédérés : son direct, avec bruits de crapauds-buffles et musique dans la version française ; soldats bruités, avec cris et scie dans celle américaine.
Ce film a donc une double personnalité. Après le tournage, au printemps 2007, un long face-à-face a opposé le cinéaste et son producteur américain, Michael Fitzgerald. Fin 2008, ils se sont mis d'accord : il existera deux versions du film. L'américaine n'existe pas en salles (hormis en Louisiane), elle est diffusée en DVD sous le titre In the Electric Mist. Le montage a été effectué par Roberto Silvi sous contrôle de Michael Fitzgerald. L'autre version, montrée dans le monde entier, hors Etats-Unis, est celle qu'a voulue Tavernier ; elle a été projetée pour la première fois en février, au Festival de Berlin.
UN AMOUREUX DES ETATS-UNIS
"Ensemble, nous sommes parvenus à la conclusion que ce que Bertrand envisageait convenait moins bien au public américain, qui a besoin d'un rythme plus rapide", explique Michael Fitzgerald. Ce dernier, dont la société s'appelle Ithaca Pictures, s'est fait connaître en écrivant le scénario du Malin, de John Huston, un film qu'il a coproduit. Il a aussi produit The Pledge et a accompagné les débuts de Tommy Lee Jones comme réalisateur avec Trois enterrements. Ces films, qui ont été plus des succès critiques que publics, placent Fitzgerald davantage dans le camp des auteurs que des financiers.