Le hasard toujours, après la grosse biographie d’Hitler, dure comme le sont les travaux d’historiens je suis tombé l’autre soir sur une chaîne à laquelle je suis abonné, sur un film inédit en salles, Quand Hitler S’empara Du Lapin Rose, est diffusé sur une chaîne sur laquelle je suis abonné.
C’est l’adaptation du livre autobiographique Als Hitler Das Rosa Kaninchen Stahl, le premier tome d’une trilogie écrite par Judith Kerr publiée entre 1971 et 1978. Il s’agit du nouveau film de la réalisatrice allemande Caroline Link qui avait reçu l’Oscar du Meilleur Film Etranger en 2003 pour son long métrage Nowhere In Africa.
Quand Hitler S’Empara Du Lapin Rose raconte un pan de la vie d’une petite fille juive allemande, Anna Kemper, âgée à peine de neuf ans qui menait une vie insouciante et heureuse à Berlin jusqu’à ce qu’Adolf Hitler accède au pouvoir en 1933. Intuitive et sensible, elle pressent la catastrophe à venir en se réfugiant dans son univers d’enfant. Lorsqu’elle doit partir en Suisse rejoindre secrètement son père, auteur de théâtre inscrit sur la liste noire, elle comprend que sa vie ne sera plus jamais la même. Lors de son périple, elle apprend l’exil et la perte de ses racines.
J’ai aimé ce film car il est à hauteur d’enfant, il faut pour l’apprécier le regarder avec un regard d’enfant, et il me semble que c’est un excellent film d’initiation pour les jeunes enfants (10 ans et plus) à ce que fut la chasse aux Juifs par Hitler et les nazis dès leur arrivée au pouvoir.
On peut aussi leur proposer de lire Quand Hitler s’empara du lapin rose (When Hitler Stole Pink Rabbit), de Judith Kerr, traduit de l’anglais par Boris Moissard, Albin Michel Jeunesse, 316 p., 14 €. Dès 11 ans
« Anna a 9 ans en cette année 1933 quand, dans la précipitation à remplir sa valise, elle préfère emporter avec elle un chien en chiffon plutôt que ce lapin élimé. Adolf Hitler a accédé au pouvoir en Allemagne, il faut faire vite. Le père d’Anna, un écrivain juif dont les ouvrages seront bientôt brûlés en public, a pris les devants en quittant Berlin pour rejoindre la Suisse. Anna, son frère Max et sa mère s’apprêtent à sauter dans un train pour le retrouver.
Commence un long exil qui se poursuivra en France puis à Londres, où Judith Kerr – Anna, dans ce roman autobiographique, a vécu jusqu’à sa mort le mercredi 22 mai 2019, à 95 ans.
« À l’origine, il y a la volonté de Judith Kerr de raconter à ses propres enfants ce que fut son enfance. Peintre de formation, elle se lance dans l’écriture, un travail qu’elle connaît peu, sauf à travers les scénarios pour la télévision de son mari Nigel Kneale. C’est lui qui va la pousser à prendre la plume, en lui recommandant notamment de « faire apparaître Hitler dès la première page » (la deuxième, en réalité). Lui, aussi, qui trouvera le titre du roman et encouragera la romancière débutante, alors âgée de 45 ans à ne pas abandonner au bout de trois chapitres (le livre parut au Royaume-Uni en 1971). « Je sais ce que je fais quand je dessine. Beaucoup moins quand j’écris », confie, dans un français sans accent, celle qui continue de publier régulièrement des albums pour la jeunesse.
La magie du roman réside pour beaucoup dans cette candeur de novice. Raconté à hauteur d’enfant, le récit de l’exil évite l’écueil du pathos naïf, Anna-Judith s’appliquant à relater les petits événements d’un quotidien bousculé par la grande histoire, sans rien éluder des angoisses endurées devant l’incertitude des lendemains. Manifeste en faveur du monde libre, le texte célèbre aussi l’amour familial à travers un style épuré, dépourvu de toute mièvrerie. » ICI
Judith Kerr, la dame qui n’avait pas peur des tigres ICI
Marine Landrot
Publié le 24/05/19
Connue pour avoir pris le thé avec un tigre en 1968, Judith Kerr, l’immense illustratrice anglaise, s’est éteinte à l’âge de 95 ans.
Il a bien fait de sonner à la porte, ce tigre, avec ses yeux moqueurs et son estomac dans les talons. Elle a bien fait d’ouvrir, cette fillette, avec son air mutin et ses collants à carreaux. Car parfois, l’imprévu donne un cours intéressant aux existences endormies. En 1968, Judith Kerr jetait un pavé dans la mare de la littérature jeunesse. Grâce au titre de son album Le tigre qui s’invita pour le thé, une nouvelle expression venait détrôner « l’éléphant chez un marchand de porcelaine » dans la langue anglaise. Depuis, ce grain de folie ne s’est plus délogé de la tête des petits lecteurs d’outre-Manche, qui vouent un culte à cet album transmis de générations en générations. A première vue, le conformisme est pourtant de mise dans les pages : maman s’active à la maison pendant que papa carbure au bureau. Reflet de la situation de l’auteure, à l’époque où cette idée de livre lui jaillit à l’esprit. Seule chez elle avec sa fille de 3 ans, alors que son mari scénariste était en déplacement professionnel, elle tua le temps en racontant à son enfant ce qui lui passait par la tête : « Et si un tigre entrait tout à coup chez nous ? »
Elle ne soupçonnait pas que cette image saugrenue était la métaphore de la gloire qui allait surgir dans sa vie de femme au foyer tranquille, entre les quatre murs jaunes de sa maison en briques londonienne. A vrai dire, Judith Kerr en connaissait déjà un rayon en soubresauts du destin et en bifurcations soudaines de l’existence. Petite fille, elle avait fui l’Allemagne nazie avec sa famille, dans les années 30, sans comprendre pourquoi ces affiches représentant un sosie de Chaplin faisaient peur à ses parents. Son histoire de tigre venant soudain chambouler la vie d’une famille insouciante raconte donc aussi l’incrédulité candide qui fut la sienne, lorsqu’un dictateur s’invita dans son quotidien d’enfant, et mit sa vie sens dessus dessous. L’exil de Judith Kerr fit l’objet d’un récit, Quand Hitler s’empara du lapin rose, qui figure depuis des années au programme des collégiens allemands, ce dont Judith Kerr s’excusa maintes fois, traumatisée par ses propres souvenirs de lectures obligatoires à l’école. Caché dans le titre français de cette autobiographie, le lapin rose se retrouve sur la couverture de son album Mog et Bunny, dans la gueule d’un chat tigré, le sien, auquel elle consacra toute une série d’albums malicieux, d’une simplicité enveloppante.
Judith Kerr n’aimait rien tant que dessiner, bien au chaud dans son atelier, où elle se laissa filmer maintes fois, dévoilant les innombrables croquis au crayon qui précédaient ses planches définitives, avec sa dégaine irrésistible de clone d’Agatha Christie et de la reine Elizabeth. Elle partait d’un personnage qu’elle dessinait sur plusieurs feuilles, l’insérant dans différents environnements, tantôt entouré d’autres êtres humains, tantôt d’un chat, et soudain, c’était ça, elle avait trouvé la combinaison parfaite, et le livre était né. En 2016, alors qu’elle participait à un festival de littérature à Berlin, une admiratrice lui demanda si elle pensait écrire un nouvel album. Judith Kerr s’exclama : « Bien-sûr ! Je n’ai que 93 ans, vous savez ! » Elle s’est éteinte mercredi 22 mai 2019, à 95 ans, sans avoir tenu cette promesse. Mais elle laisse derrière elle dix-sept histoires de Mog (dont seules quatres sont disponibles en français, aux éditions Albin Michel), et une invitation à vie pour prendre le thé avec un tigre, ce qui ne se refuse pas.