© Copyright: DR
L’outrage, la violence faite aux femmes... ICI
Il ne reste du tristement célèbre quartier Bousbir, à Casablanca, que des souvenirs sulfureux ternis par le temps. Voici l’histoire du «quartier réservé» et de ses femmes…
Dans les années 1920, alors que le Maroc est sous Protectorat français, les colons se plaisent à dresser la carte postale d'un pays pittoresque, exotique et poétique. Des photos et des écrits qui nous restent de cette sombre page de l’histoire marocaine, ceux de ces femmes, que l’on classe encore sous la bannière d’un style orientaliste.
Mais au-delà des scènes de vie et des clichés de femmes dénudées capturés par les objectifs de l’époque, se cache une réalité bien sombre, celle de la prostitution.
À Casablanca, au début du XXe siècle, un quartier sordide était ainsi dédié au commerce du sexe.
En 1914, les hommes en quête de plaisirs charnels se rendaient à Bab Marrakech, à quelques pas de la Medina. C’est là que des "filles de joie" faisaient commerce de leur corps sur les terres d’un Français du nom de Prosper Ferrieur. Avec le temps, on baptisa l’endroit du nom de son propriétaire et « Prosper » devint « Bousbir ».
L’endroit étant un peu trop central au goût des autorités du protectorat français, sans compter l’insalubrité qui y régnait et le manque d’hygiène qui favorisait la propagation des maladies, on décida en 1923 de transférer ces "activités" loin des regards, à Derb Soltane, dans un quartier spécialement construit à cet effet et qui serait dédié à la prostitution sous haute surveillance.
La concession est achetée par un certain M. Bouquet, représentant des Mines de Lens, et le chantier confié à l’entreprise La Cressonnière.
L’ancien bordel à ciel ouvert de Bab Marrakech se transforme alors en cliché touristique. Une petite ville enceinte de murs, des blocs d’habitations, des commerces, des ruelles bordées d’arbres, un hammam, un cinéma, des cafés… On entre par l’unique porte, gardée par un poste de police, pour passer du bon temps dans Bousbir comme on le ferait dans une médina typiquement marocaine. Une jolie carte postale, tristement poétique, dressant le portrait de femmes soit disant libérées, lascives, tout droit sorti des Mille et une nuits.
La suite ICI
Bousbir, sorte de parc à thème érotico-exotique, fréquenté aussi bien par la population locale que par les voyageurs, embarrassait déjà l’administration coloniale à l’époque. «Les Français ont mis Bousbir en périphérie de Casablanca, derrière un mur de 6 mètres de haut, accessible par une seule porte, parce que même si c’était un mal nécessaire, c’était la honte», explique Jean-François Staszak. Bousbir a été conçu selon la logique froide et rationnelle de l’époque que les hommes avaient des «besoins» et «qu’armée signifiait donc prostitution». Pour éviter la propagation de maladies vénériennes, il valait mieux contrôler cette activité que la bannir.
Attentes des Occidentaux
Mais Bousbir, quartier destiné aux soldats français, aux tirailleurs sénégalais ou encore à l’armée marocaine, s’est rapidement transformé en «resort sexuel», comme l’exprime Jean-François Staszak: «C’était le plus grand bordel à ciel ouvert du monde. Il y avait énormément d’animation, des restaurants, un cinéma, des spectacles érotiques et pornographiques. Les touristes y allaient parce que c’était une attraction incontournable.» L’architecture y joue pour beaucoup, car tout avait été conçu afin de répondre «aux attentes des Occidentaux et donc pour correspondre à l’image qu’ils se faisaient de la femme marocaine, du Maroc, des Mille et Une Nuits», ajoute Raphaël Pieroni.
Au total, plus de 12 000 femmes y auraient vécu et officié jusqu’en 1955, dans des conditions proches du travail forcé. La moyenne d’âge des femmes qui rentraient à Bousbir était de 18 ans. Aucune n’avait plus de 28 ans.
«Quartier réservé. Bousbir Casablanca», sous la direction de Jean-François Staszak et Raphaël Pieroni, Editions Georg, 2020, 208 pages.
L’article ICI