C’est un roman de femme, Ilaria Tuti, un roman dit policier mais qui n’est d’aucun genre même si l’étrange enquête est menée par une femme commissaire Teresa Battaglia ; c’est un roman de frontière : celle de l’ex-Yougoslavie, frontière avec la Slovénie, sur la route des Balkans, le passage des migrants fuyant les guerres et se dirigeant vers un pays d'accueil, demandant l'asile politique à ce pays , à la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. C’est aussi un pays de forêts et de vignes. Enfin, Chiara, la petite fille par qui le roman prend racine, est atteinte du Xeroderman pigmentosum : la maladie des enfants de la lune (maladie héréditaire très rare, les enfants de la lune souffrent d'une hypersensibilité aux rayonnements ultraviolets, qui leur interdit toute exposition au soleil) ICI Je suis très sensible aux maladies dites orphelines.
L’extrait que je cite m’avais troublé, je l’avais coché, et il s’avère être le nœud du roman.
Enfin, je n’aime pas les cabernets francs en général, et ceux de Nicolas Reau en particulier.
Pietro Arturo se faisait appeler Pieri, il exigeait qu’on le tutoie et semblait avoir au moins cent ans. Une écorce dure, sa peau, comme faite d’un cuir cordovan estampé de rides, présentait des motifs en linéation comme ceux des rochers affleurants après une collision catastrophiques des plaques tectoniques. Le sourire aux lèvres jointes ne s’éteignait jamais et rendait le menton du vieillard encore plus fuyant, comme celui de Popeye. Toutefois, on percevait une force encore vivace qui parcourait ce corps hâlé par tellement d’étés, si recuit qu’il ne pâlissait plus jamais, même pas après une semaine de pluie de vent et de neige.
Il s’installa bien volontiers à la table avec eux, posa son chapeau de paille sur le dossier de son siège et commanda un cabernet franc. Cette fois, le patron envoya un serveur s’occuper d’eux. Teresa observa les doigts noueux et épais de Pietro qui cueillirent la tige du verre à pied comme si c’était celle d’une fleur délicate. C’était les doigts de son grand-père, ceux des beaux vieillards occupés par une vie de travaux au grand air, des doigts aux caresses rugueuses, aux existences au creux de l’hiver, désormais recroquevillés sur eux-mêmes ou peut-être déjà tendus vers ailleurs.
Pietro avait une grande envie de raconter. Il était flatté de retenir leur attention. Il ne devait pas avoir un caractère facile, même s’il se montrait aimable envers eux. à un certain point il s’en prit à un homme assis sur le banc, lui lançant des plaisanteries mordantes à l’ironie féroce, où il était question d’une vie de fainéant et de son vice du jeu, mais l’homme ne réagit pas. Il s’en alla presque aussitôt. Teresa croisa son regard, il était hagard. Dans son agitation, il la heurta en sortant, sans s’excuser. Elle en conclut que ces prises de bec en public devaient se produire depuis longtemps et que cet homme en était éprouvé.
Elle étudia Pietro.
- Pourquoi tu t’en prends à lui ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Le vieux mâcha un morceau de fromage.
- Il fait semblant de ne pas me connaître, mais moi je lui rappelle chaque fois, et il finit par décamper. (Il se pointa un doigt contre la poitrine) Moi, je n’ai rien à perdre, mais pas lui.
- Il faisait montre d’une dureté impressionnante, sur un visage de vieillard. Tout à coup, il se radoucit.
- Je suis trop bon, trop. Toujours été généreux avec tout le monde.
- Il t’a offensé ?
- C’est la vieillesse qui m’offense. Ils se tiennent tous loin des vieux qui ont un pied dans a tombe (Il lui adressa un clin d’œil.) Moi, je ne meurs pas. Je ne prends pas congé.