Longtemps j’ai cru que le woke était le wok, l’ustensile de la tradition culinaire en Chine : la cuisine au wok : on peut faire sauter, faire mijoter, faire cuire à la vapeur, et même frire !
Caramba j’avais tout faux : sur les réseaux sociaux les belligérants se bombardent à coup de woke et de cancel culture
Même notre barbu à l’unilatéral, l’homme au nom qui est un prénom, Édouard Philippe qui s’est fait lourdé de Matignon par son patron Macron, raille lors du lancement de son parti politique : Horizons, un de plus ! ICI
D'où vient la "cancel culture" ou culture de l'annulation ?
Qu'est-ce que c'est concrètement et quels problèmes cela soulève-t-il ?
Explications.
Roman Polanski, J. K. Rowling, Autant en emporte le vent, le tunnel Léopold II à Bruxelles : voici quelques exemples de personnes, d'œuvres ou de monuments visés par la "cancel culture" (culture de l'annulation).
Où est né ce mouvement ?
En quoi consiste-t-il ?
Pourquoi est-il aussi critiqué ?
Un mouvement qui vient des États-Unis
La cancel culture s'appuie sur le mouvement américain "woke" ou encore le "wokisme". Être "woke", du verbe to wake, "se réveiller", c'est être "éveillé" et conscient des injustices qui pèsent sur les minorités. Une attitude qui se répand en 2013 avec le mouvement "Black Lives Matter" pour dénoncer les actes de ségrégation raciale et de discrimination à l’égard des Noirs américains. La pensée "woke" s'est ensuite popularisée sur les réseaux sociaux. Être woke, c'est avoir conscience du racisme, de la grossophobie, du sexisme, etc. On retrouve logiquement derrière cette pensée les militants antiracistes, féministes, anticolonialistes, ou encore LGBT+.
De la "woke culture" naît la "cancel culture", la culture de l'annulation, qu'on appelle aussi la "call-out culture", la culture de la dénonciation ; pour pointer du doigt, en particulier sur les réseaux sociaux, une personne qui aurait eu des propos ou comportements inappropriés. C'est la volonté de faire taire, voire d'effacer une œuvre ou une parole jugées non conformes à la défense d'une cause.
Une personne peut être "cancel" pour son comportement, comme c'est le cas pour Roman Polanski, condamné et accusé d'agressions sexuelles, et cible d'appels au boycott lors de la sortie de son dernier film, J'accuse, sur fond de dénonciation des violences sexuelles dans le cinéma. La "cancel culture" est aussi associée à la vague MeToo à l’automne 2017. Le mouvement invitait les victimes d’agressions sexuelles, de viols ou de pédophilie à s’exprimer publiquement et à dénoncer leurs agresseurs.
On peut aussi "cancel" quelqu'un pour un tweet, une déclaration jugée sexiste ou encore raciste. Par exemple, J. K. Rowling, autrice de la saga Harry Potter, sous-entend dans un tweet que les femmes transgenres ne sont pas des femmes. Un tweet jugé transphobe sur les réseaux sociaux où les appels à boycotter ses livres se multiplient.
Enfin la "cancel culture" peut aussi s’attaquer à des œuvres cinématographiques, littéraires ou artistiques en elles-mêmes. Par exemple, en juin 2020, le film Autant en emporte le vent est retiré provisoirement du catalogue de la plateforme en ligne HBO Max, car des historiens avait qualifié le film de "révisionniste" et "porteur de préjugés racistes".
Un mouvement aussi critiqué
La "cancel culture" est souvent critiquée pour son manque de nuance ou le harcèlement qu'elle provoque sur les réseaux sociaux. En juillet 2020, 150 écrivains et intellectuels, de J. K. Rowling à Margaret Atwood, publient une tribune dans "Harper’s Magazine" pour dénoncer "l’intolérance à l’égard des opinions divergentes, un goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme". L'universitaire et féministe américaine Loretta Ross dénonçait en juillet 2020 le manque de nuance d'une pratique qui est parfois utilisée pour "faire honte et humilier publiquement des gens".
Le terme de "cancel culture" est aussi parfois utilisé de façon péjorative par ses opposants afin de décrédibiliser le mouvement en l'associant à de la censure. Début mai, des articles et des personnalités disent que la "cancel culture" veut supprimer la scène du baiser dans le dessin animé Blanche-Neige et les Sept Nains parce que l'héroïne endormie ne donne pas son consentement au prince charmant. Il s'agit en réalité d'une critique publiée par deux journalistes de SF Gate, la version en ligne du quotidien San Francisco Chronicle, qui donnent leur avis sur la nouvelle attraction du parc Disneyland au moment de sa réouverture. Quelques lignes qui enflamment les réseaux sociaux, mais qui n'ont rien à voir avec le mouvement.
Plutôt de la dialectique que du marbre blanc
LA CHRONIQUE D'AURÉLIEN BELLANGER par Aurélien Bellanger
Je me souviens d’un beau livre de Cocteau, qui tentait peut-être de faire oublier son amitié avec Arno Breker, un livre à la gloire des statues détruites sous l’occupation nazie.
Ça ressemblait à la Porte de l’Enfer de Rodin, avec des morceaux de bras et de tête dans tous les sens.
Ce chaos, entreposé je ne sais plus où, était essentiellement destiné à être fondu, moins à la demande de l’occupant, d’ailleurs, qu’à celle de Vichy qui voyait là l’occasion idéale de faire sa révolution nationale tout en fayotant avec l’Allemagne, question matière première.
Les fascistes d’aujourd’hui, on l’entend, s’en prendraient aujourd’hui à Voltaire, à Colbert ou à Jules Ferry — tous des héros nationaux, tous des personnages qui entretiennent des rapports peu clairs à l’esclavage et la colonisation.
Et après tout, pourquoi pas : le seul vrai bien, dans un pays démocratique, c’est la dialectique. Arracher ces statues au néant où elles survivent péniblement, et les rendre à l’histoire en train de se faire, pourquoi pas. Ce n’est pas spécialement pire que les pluies acides ou que la corrosion due à la fiente de pigeon, et ça a la mérite de remettre les personnages historiques ainsi représentés sur l’échiquier politique contemporain — la tête de Nixon, dans Futurama, échangerait volontiers un corps contre un nouveau Watergate.
Étonnante surprise, pour les adversaires autoproclamés de la soit disant cancel culture, qui se fantasment en démocrates exemplaires : l’espace public, au sens géographique redevient sous leurs yeux un espace public, au sens politique.
Mais ce qu’ils reprochent, n’est-ce pas plutôt l’absence de débat, et que n’importe qui peut renverser la statue de son ennemi politique du moment ?
C'est Gradiva qui vous appelle
Convenons peut-être d’abord que la statuaire urbaine est un art plutôt en déclin — contrairement, par exemple, au street art, qu’on a vu plusieurs fois, notamment à l’occasion de panthéonifications, accéder au statut d’or officiel.
En vérité, les statues nous ennuient, comme les kiosques à musique ou les discours du 11 novembre : plus personne ne les regarde vraiment et il faut en général ou bien Jeff Koons, ou bien des attentats à la peinture rouge pour qu’on s’y daigne s’y intéresser encore. Combien de militaires oubliés ont vu leur carrière relancée d’avoir été pris un instant pour le capitaine ACAB en personne…
Les statues, c’est un fait, étaient depuis longtemps sorties de l’espace public du regard : elles dormaient. Mais leur sommeil était plus agité qu’il n’en avait l’air. Car ce que les débats les plus vifs du moment, sur le général Bugeaud, en France, ou sur Christophe Colomb, en Amérique, ont révélé, c’est que ces statues à défaut d’être vraiment regardées, nous empêchaient de voir.
On connaît la fameuse réflexion de Benjamin, dans ses Notes sur le concept d’histoire : “si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sécurité.”
Mais Bugeaud et Colomb ont eu leur siècle de gloire, tandis que leurs victimes demeuraient, éclipsées dans leur cône d’ombre.
On dit de notre façon d’envisager l’histoire qu’elle est victimaire : il s’agît, tout au plus, de laisser s’exprimer, après les idéaux aux yeux crevés de ces conquérants, la plainte de leurs victimes oubliées.
Et ces statues qu’on renverse, c’est en dernier lieu ce souffle, leur dernier souffle comme un vent venu des profondeurs de l’histoire qui s’en charge.
Ainsi, chaque statue qui tombe aujourd’hui vient nous rappeler que la porte du temps n’est jamais tout à fait fermée. Et alors que les forces historiques se déchaînent à nouveau autour de nous, cette façon, très lente, qu’ont les statues de revenir à la vie juste le temps qu’on les achève, le temps qu’elles tombent de leur piédestal, nous procure l’une des rares joies politiques de la période : nous pourrions bien mourir, être cancellés par un Papacito quelconque, mais nous savons que la main imparable du temps est déjà posée sur l’épaule de notre éphémère vainqueur.