Le dimanche au Bourg-Pailler c’était les habits du dimanche pour aller à la grand-messe de 10 heures.
Au Bourg-Pailler, la tante Valentine, était le maître des horloges, elle rappelait tout le monde à l’ordre avec une injonction ritournelle « ça monte à… » suivait l’heure qui, à la pendule était solaire, mais nous faisions la conversion.
Le pépé Louis, se rasait avec son coupe chou qu’il avait affuté sur sa lanière de cuir, il déposait la mousse blanche piquetée de poils sur du papier journal. Ensuite il s’occupait de sa moustache à la Foch. Mémé Marie, son épouse, disait qu’il était glorieux car il prenait un soin méticuleux à sa mise. Pantalon rayé, chemise blanche, cravate noire, souliers du dimanche et, bien sûr un chapeau.
La seule coquetterie de la Mémé Marie et de sa sœur la tante Valentine, consistait à poser sur leur résille noire une coiffe blanche empesée. Cette dernière ouvrait le bal des départs, une bonne demi-heure en avance. La mémé Marie suivait ensuite avec sa canne, courbée elle avançait doucement.
Ma sainte mère sortait, selon la saison, les belles toilettes qu’elle se confectionnait, collier discret, sac à mains, chapeau, chaussures à talon. Léger maquillage. Elle avait fière allure ma maman.
Du côté de mon père, nulle hâte, c’est lui qui partirait le dernier pour rejoindre sa place sur une chaise, tout au fond, sous les cloches, où je le soupçonnais de pousser un léger roupillon.
Les trois femmes se plaçaient dans le banc familial, le second dans la rangée droite à la même hauteur que les huiles locales qui elles étaient placés à gauche alors qu’elles étaient de droite.
Ma pomme, enfant de chœur en chef, sapé comme un milord par ma couturière de mère je gagnais la sacristie où je revêtais la soutane rouge, le surplis blanc empesé par les sœurs, les chaussons de feutre rouge. Je préparais les burettes sans siffler un coup de blanc. À l’heure dites, la cohorte des enfants de chœur entrait dans le chœur à la suite du curé-doyen. Comme j’étais le boss, j’étais placé sur un tabouret en arrière de l’hôtel et c’est moi qui accompagnerais le curé pendant la distribution de l’eucharistie en plaçant sous le menton des tireuses et tireurs de langue le petit plateau en métal doré. J’avoue que je péchais en admirant les appâts des beautés du village. Autre mission, parfois la quête ou la distribution du pain béni. Parfois, à la suite de la messe, il y avait un baptême, cérémonie appréciée par les enfants de chœur car ils ramassaient un peu de blé.
Sur son harmonium, Gégène, se prenait pour Ray Charles et les cloches sonnaient, le sacristain ne tirait plus sur les cordes, le progrès avait électrifié les sonneries. Parfois, le sacristain un peu pompette se trompait de bouton, ce qui nous mettait en joie d’entendre les cloches des morts un beau dimanche plein de soleil.
La place de l’église était, comme le diraient nos logues, qui ont réponse à tout, un lieu d’échanges et de transaction, entre mâles bien sûr, les femmes après un passage à la boulangerie-pâtisserie Remaud, se hâtaient pour aller préparer le frichti du dimanche. Les hommes eux se rendaient au bistrot, pour jouer aux cartes, se siffler des chopines, ou « baiser une fillette de blanc »
Nous, les gamins, allions siffler du sirop d’orgeat dans un petit café près du champ de foire, nous nous intéressions peu aux beautés villageoises que nous ne trouvions guère à notre goût.
Le déjeuner du dimanche au Bourg-Pailler était toujours succulent, entrées souvent des crevettes, des langoustines, palourdes, plat soit une volaille ou un poisson au beurre blanc, dessert à la période des fruits : tarte en hiver caillebotte ou gâteau de Savoie, maman était aussi un cordon bleu.
Très vite mon souci fut d’assurer les vêpres qui gâchaient mon début d’après-midi. En effet, avec mes amis Dominique et Gervais nous ne pensions qu’à aller au bal dans les villages environnant. Nos mères l’ignoraient. Notre drague nous valait bien des râteaux mais nous arrivions tout de même à décrocher quelques slows. C’est ainsi qu’un après-midi, je déclarai pendant cet exercice, à celle qui fut ma première épouse, « un jour je serai Ministre ! » Petit con en blazer bleu marine, pantalon gris, ça aurait dû la décourager mais, bien plus tard, en 68, c’était plutôt la chienlit chère au Grand Charles… la vie des boomers quoi !
Plus jeune, bien avant d’aller faire le beau près des filles, sitôt les vêpres je regagnais la maison et, sur le gros poste de radio, j’écoutais Sports&Musique où officiait Georges Briquet. Pour moi, le jeu à XIII de Lézignan-Corbières avait un parfum exotique. En ce temps-là je voulais devenir radioreporter mais ma mère me rétorqua que ce n’était pas un métier. Elle n’avait pas tout à fait tort au vu de l’évolution du métier de journaliste.
J'avais 7 ou 8 ans, et le dimanche après-midi j'écoutais sur Paris-Inter les retransmissions commentées par Georges Briquet. Bien des années plus tard je suis allé à la Maison de la Radio réécouter une galette du match : Nîmes-Reims. C'était le 17 novembre 1957.ICI
Voilà ce qu’était nos dimanches à la campagne… Nous rêvions de la ville… Nous pensions, qu’un jour notre vie y serait belle… Avions-nous raison ou tort ? Je ne sais, mais ce que je sais c’est que ce n’était pas forcément mieux avant et que je ne veux pas afficher mon contentement car je risquerais de me le voir reprocher par la jeunesse qui nous traite de profiteurs…