Qu’il est agréable d’avoir des lecteurs fidèles qui, de temps en temps, me postent « un modeste texte » pour parution sur « mon modeste blog »
Ainsi, jean pierre Glorieux
Bonjour Jacques
Voici ce modeste texte, illustrant des souvenirs fort agréables vus de ma présente retraite normande.
En ces années 60, la Champagne, ma terre natale, voyait les crues de la Marne souvent inonder les herbages* et les mois d'octobre s'animer de bruyantes cohortes de vendangeurs ...
* Le lac du Der n'avait pas encore noyé le vaillant coq de l'église de Chantecoq...
Le ban des vendanges c'est demain mais certains ont commencé en Côtes des Bar (suis connecté à Sophie Claeys qui tient quasi toute l'actualité du champagne)
Après le gel d'Avril et les intempéries estivales, le taux de sucre monte et l'on espère limiter les dégâts.
Cordialitudes jean pierre Glorieux
Nos vendanges…
Nous nous étions invités chez les cousins du village voisin en cette période active et sacrée des vendanges.
Dans ce village de Champagne sur les bords de Marne où les traînées de brume tardent à s’effacer les matins d’automne, il fallait attendre la première semaine d’octobre pour « attaquer » les vendanges.
Depuis, elles ont “gagné un mois “ à cause du fameux changement climatique...
Armés de sécateurs et de paniers légers nous étions considérés comme des adultes du haut de nos douze ou treize ans, honneur certes mais aussi « engagement à bosser comme les grands ».
Venus du Nord, beaucoup de saisonniers profitaient de prendre leurs congés à cette occasion. On découvrait l’accent ch’ti, les chansons à boire, l’esprit solidaire et laborieux des mineurs. Une école de la vie rude mais joyeuse.
Les viticulteurs d’alors ne jouissaient pas de la « force de frappe communicante » des grandes Maisons et chez mes cousins, les raisins partaient vers la coopérative locale qui assurait pressurage et vinification. Leur nom de famille n’apparaissait donc pas sur les bouteilles qui étaient vendues et étiquetées au fil du négoce.
Les Maisons prestigieuses achetaient le raisin livré à leurs chais ou bien le vin aux diverses coopératives.
Deux cépages entrant dans la vinification (Chardonnay blanc ou Pinot noir) la technique des assemblages héritée du célèbre moine Dom Pérignon et de la seconde fermentation en bouteille avait installé le champagne sur les tables des grands de ce monde, dans les cabarets parisiens et logiquement dans la classe aisée. Champagne de fête, marque de prestige et d'opulence...
C’est plus tard, sous la Vième République que l’on prit l’habitude de faire sauter le bouchon dans les grandes occasions (réunions de famille, départs en retraite et fêtes de fin d’année).
Chaque année – la demande augmentant au rythme du niveau de vie – le prix du raisin était âprement négocié par les partenaires. Héritage des anciennes corporations il y avait là une véritable négociation interprofessionnelle.
Cela se concluait par un compromis équilibré : les petits producteurs souhaitaient un revenu décent et le négoce ayant grand besoin de la matière première (raisin et vins) on parvenait à un point d’équilibre après quelques tours de table.
La date de début des vendanges était fixée en concertation et bientôt, afin de maintenir « la rareté du produit » on consentit à réguler la quantité de raisin autorisée pour chaque vigneron en fonction de sa surface cultivée : ce fut l’apparition des quotas qui, au début, provoquèrent maints grincements et aussi quelques fraudes.
Dans ces années, faire les vendanges était surtout la conclusion d’une année marquée par les aléas climatiques.
L’épée de Damoclès météorologique est connue de tous ceux qui vivent de la terre.
Le raisin avant de parvenir au pressoir a dû échapper aux gelées d’avril et mai qui détruisent la fleur (oui la vigne fleurit, très discrètement) puis aux orages de grêle de l’été et surtout aux maladies qui surviennent en période humide et chaude : mildiou et oïdium traités à coup de bouillie bordelaise.
« Quand nous partions de bon matin, avec Sophie, avec Firmin, le jour se levait à peine… ! »
Passage obligé à la salle de réfectoire : Ricorée au lait pour les plus jeunes et un croissant tout chaud fini d’avaler dans la camionnette bringuebalante.
Le froid nous glace les doigts, un panier, un sécateur et les pieds dans l’herbe mouillée.
- Hein ! C'est dur les petits gars !
Lorsqu’il pleut l’ambiance est plombée mais la pluie n’arrête pas le pèlerin …et la pause de dix heures remet les sourires en place : un feu de sarments est allumé dans un grand bidon, on grille tartines et saucisses, on découvre ce Maroilles odorant offert par les mineurs qui adorent vous le faire sentir et vous coller le nez dessus en éclatant de rire :
- Alors gamin … y sint’y bon men’ froumage ?!!!
Régulièrement, par le froid ou la distraction, il fallait courir à la boîte à pansements quand un doigt avait croisé les lames du sécateur et parfois descendre au village pour quelques points de suture.
- C’est le métier qui rentre.... tu feras attention la prochaine fois !
Travailler en décalage de 50 cm sur le rang évite ces déconvenues et l’on apprend vite à se tenir à distance.
Le repas du soir réunit toute l’équipe, près l’apéro du patron :
- Les gamins un petit verre juste pour goûter !
Tu parles on « sifflait » comme les autres, chacun rapportant une anecdote, une histoire à faire rire pas toujours très relevée et l’on passait à table.
Pot au feu, poule au blanc ou choucroute, ensuite un copieux plateau de fromage et la tarte aux quetsches de tante Jeanine dont la pâte au goût fumé du saindoux n’attirait que compliments.
J’ai souvenir d’un jeune étudiant new-yorkais, tombé là on ne sait comment, qui fut tout ébahi au dessert ; ici on ne change pas les assiettes, on l’essuie d’un morceau de pain ou bien on la retourne pour être servi côté verso propre.
Riant aux éclats, le garçon commenta en anglais ce « typical french way of life » et mit toute la table au diapason. Il fallut le porter au lit car les toasts furent nombreux et nous ne tardâmes pas à prendre la même direction, harassés pas cette rude journée.
Le repas terminé les hommes sortent fumer pendant que les dames se mettent à la vaisselle et vers 22 h signal tiré par André :
- Au lit tout le monde, demain on se lève tôt, il nous reste trois grandes parcelles : la Vigne aux Bruyères, la Belle Madeleine et le Champ Jeannot. Bonne nuit la jeunesse !...
- Bonne nuit André et Jeanine … A demain !
On s’endormait sans rechigner, sans entendre les ronflements des autres occupants, tout heureux d’être reconnu dans " le monde des grands" et de garnir la tirelire de quelques billets à l’effigie de Victor Hugo.
Jean Pierre Glorieux
Humphrey Bogart et Ingrid Bergman dans un film devenu culte de Michael Curtis 1943