Une couverture illustrée par un dessin de CHAVAL.
« Des chocolats pour le directeur, comme son titre l'indique, est un petit cadeau à déguster : cet ensemble de courtes nouvelles, composées pour la plupart dans les années 1960, paraît à l'occasion des 90 ans de la naissance de Slawomir Mrozek. À l'origine, ces textes très brefs étaient destinés à être lus à la radio polonaise »
J’ai choisi l’Ascenseur pour plein de raisons :
- La première, sérieuse, c’est que la nouvelle est un bijou d'absurdité.
- La seconde, moins sérieuse, en hommage au couple célèbre Roux&Combaluzier.
- La dernière, c’est que j’aimerais qu’on me renvoie un jour l’ascenseur.
L’ASCENSEUR
Le camarade Directeur nous convoqua et nous annonça :
- Voilà, messieurs, je vous annonce un investissement important : on va installer un ascenseur.
Nous fûmes tout d’abord quelque peu étonnés car notre bâtiment n’avait pas d’étage.
- C’est comme ça, déclara le Directeur. C’est la modernisation, et on ne peut y échapper. Si je vous ai convoqués aujourd’hui, c’est justement pour que nous réfléchissions ensemble à la façon dont nous pourrions résoudre ce problème.
Nous tournâmes et retournâmes le problème dans tous les sens et finîmes par trouver une solution. Une équipe d’ouvriers vint installer l’ascenseur selon le plan, fort simple du reste, que nous avions établi.
Nous louâmes les services d’un travailleur qui, posté au rez-de-chaussée, veillait à ce que toute personne entrant dans le bâtiment descendît en ascenseur d’abord au sous-sol, puis remontât et ressortit au rez-de-chaussée. Par contre, tout un chacun qui quittait le bâtiment était obligé d’emprunter l’ascenseur pour monter dans les combles et redescendre ensuite au rez-de-chaussée.
Tout alla pour le mieux. Jusqu’au jour où une consigne nous enjoignit, dans le cadre des économies de fonctionnement de l’ascenseur, de ne l’utiliser que pour monter ; et, de là-haut, de redescendre à pied.
Les choses se compliquèrent alors sensiblement ; Dorénavant, toute personne qui voulait pénétrer dans le bâtiment devait d’abord descendre à pied au sous-sol et y attendre l’ascenseur, pour pouvoir ensuite remonter au rez-de-chaussée. Et tous ceux qui voulaient sortir avaient le droit de monter en ascenseur dans les combles, mais de là, il leur fallait regagner le rez-de-chaussée à pied.
Tout cela dut néanmoins user exagérément le mécanisme de l’ascenseur, car nous reçûmes un avenant à la consigne précédente, qui précisait que, même pour monter, seuls les Chefs, les femmes enceintes, les personnes décorées de médailles – médailles d’argent au minimum – et les invalides avaient le droit d’emprunter l’ascenseur.
Fort malencontreusement, aucune de nos employées, à cette époque-là, ne pouvait entrer dans la deuxième catégorie ; nous leur adressâmes donc un chaleureux appel d’encouragement. Par ailleurs, nous n’avions pas de personnes décorées de médailles ; quant aux invalides, il y avait bien quelque chose qui manquait au Comptable, mais cela, il tint à le passer sous silence. De ce fait, le Directeur fut le seul à pouvoir utiliser l’ascenseur. Le problème ne disparut que lorsque l’ascenseur tomba en panne pour de bon.
Malheureusement, nous nous étions déjà habitués aux étages et nous en déshabituer ne fut pas facile. Les escaliers c’est si fatigant !