1 septembre 2009
Stendhal à Saint-Estèphe découvre le château exotique de Louis-Gaspard d'Estournel et moi le nouveau chai… ICI
« Le château bordelais n’a jamais eu besoin d’être vaste. D’ailleurs, il n’était que peu habité. En Médoc, le propriétaire bordelais (puis par la suite parisien ou étranger) n’y résidait pas. Il ne venait qu’une fois l’an lorsque sa présence était nécessaire à l’occasion des vendanges […] De nos jours, le luxe et le confort ne se jugent plus au nombre des salons et ces demeures sont suffisamment grandes pour les besoins de ceux qui ont décidé d’y vivre en permanence. Dans l’économie générale d’un domaine bien géré, la « maison de maître » ne doit pas être une charge inutilement coûteuse […]
À la rigueur, la demeure peut manquer. C’est le cas aujourd’hui pour des crus d’origine paysanne et de réputation récente. Mais les bâtiments agricoles sont indispensables. Sans eux, point de vignoble et plus de « château ». Le cas le plus connu est celui de Cos d’Estournel qui a surpris Stendhal lors de son passage à Saint-Estèphe en 1838. L’écrivain s’enchanta de l’étrangeté d’une architecture de fantaisie : « cela n’est ni grec, ni gothique, cela est fort gai et serait plutôt dans le genre chinois ». Mais le plus cocasse est que cette abondance de clochetons, de tourelles, de merlons et de sculptures n’est destinée qu’à des étables et à des chais. M. Destournel a oublié sa maison mais rien ne lui a semblé trop beau pour ses bœufs et pour son vin. »
Nous sommes en 1988.
À la Société des Vins de France, l’ambitieux PDG Axel Rückert, pour échapper au quotidien du « Vieux Papes » et de la « Villageoise », du blues du Port de Gennevilliers, créé en pensant à un autre quai, celui des Chartrons, une filiale : « Crus et Domaines de France » qui rassemble les bijoux de famille autour de la maison Cruse. La direction est confiée à Marc Lenot, plus connu de nos jours des internautes sous le pseudo ICI « le regard éclairé d'un amateur d'art contemporain. », qui – on le comprend mieux avec le recul du temps – baptise l'enfant aux Beaux-Arts 14 rue Bonaparte. Dans le même élan, avec l'âme de mécènes, Axel Rückert et Marc Lenot créaient « l'Association Crus et Domaines de France pour la mise en valeur du patrimoine architectural des Grands Vignobles Français » Vu des cuves de 10 000 hl de Gennevilliers et de son usine à cracher du 6 étoiles ça avait, disons, un petit air décalé.
Ce n’est pas une digression, soyez patients, nous nous rapprochons du but, en effet cette association va être à l'origine d'une très belle exposition au Centre National d'Art et de Culture Georges Pompidou, « Beaubourg » sur le thème « Châteaux Bordeaux » qui se déroula du 16 novembre 1988 au 20 février 1989.
Dans le catalogue de l'exposition, Hugh Johnson, dans un très beau texte introductif « Bordeaux enfin mis en perspective » écrit notamment « que Bordeaux avait inventé une véritable « civilisation du vin » ; notamment en créant une relation privilégiée entre la qualité de ses vins et la qualité de son environnement bâti ; entre le terroir, les hommes et l'architecture de leurs châteaux viticoles. » et de souligner un peu plus loin, qu'attribuer à ces châteaux une appellation « culturelle » lui a permis d'ouvrir sa perspective : « Jusqu'ici, tous ceux qui, comme moi, connaissaient, ou fréquentaient, ces lieux inspirés les considéraient comme des structures évidentes et immuables. Ils sont tout à la fois une grande ferme au cœur d'un domaine agricole, une manufacture aux performances industrielles, une résidence élégante mais très réservée, un lieu sophistiqué de production économique ouvert sur le commerce mondial et qui a su s'assurer un immense prestige. La complémentarité entre ces diverses vocations crée une synergie qui, à son tour, produit une image forte et mémorable, une « image de marque » graphique et mentale, culturelle et économique, qui participe activement à la dynamique d'un système complet de marketing »
Pour l'exposition une douzaine d'architectes européens de premier plan avaient été conviés à concevoir des projets d'avenir pour régénérer et réactualiser le concept des maisons de négoce et celui des châteaux.
L'un d'eux, proposé par Philippe Robert, concernait « la reconversion des quais et des entrepôts qui s'étirent tout au long des Chartrons jusqu'au cœur de la ville. » recevait l'adhésion de « la Société des Vins de France et Crus et Domaines de France qui souhaitent – si les autorités veulent bien donner leur accord – mettre en œuvre le projet proposé par Philippe Robert ».
À cette époque, j'étais au cabinet du Ministre, après avoir quitté la SVF en juin 1988, et je suivais par l’entremise de mes collègues le feuilleton : SVF-Castel, qui se dénoua par le rachat du premier par le second en 1992 : lire le point de vue de Thierry Jacquillat, à l'époque DG du groupe Pernod-Ricard propriétaire de la SVF ICI . Je reçus, à leur demande, les membres du Comité Central d’Entreprise de la SVF à la salle à manger du Ministre. La messe était dite.
Exit Rückert et ses visions pharaoniques, que d’occasions perdues mais je n’en dirai pas plus… Crus et Domaine de France (marques Lichine et Louis Eschenauer) est maintenant dans le giron des Grands Chais de France et, juste avant son départ, Axel Rückert avait fait détruire les 10 cuves béton verré de 9800 hl qui servaient au stockage et les 2 de 5000 hl qui accueillaient les assemblages : cachez-moi ces cuves que je ne saurais voir ! Tout un symbole de l’incapacité d’assumer le passé de la SVF…