« À cette heure où je descendais apprendre le menu, le dîner était déjà commencé, et Françoise, commandant aux forces de la nature devenues ses aides, comme dans les fééries où les géants se font engager comme cuisiniers, frappait la houille, donnait à la vapeur des pommes de terre à étuver et faisait finir à point par le feu les chefs-d’œuvre culinaires d’abord préparés dans des récipients de céramiste qui allaient des grandes cuves, marmites, chaudrons et poissonnières, aux terrines pour le gibier, moules à pâtisserie, et petits pots de crème en passant par une collection complète de casserole de toutes dimensions. Je m’arrêtais à voir sur la table, où la fille de cuisine venait de les écosser, les petits pois alignés et nombrés comme des billes vertes dans un jeu ; mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi finalement pignoché de mauve et d’azur se dégrade insensiblement jusqu’au pied, – encore souillé pourtant du sol de leur plant, – par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum […]
22 décembre 2016
À la table de Françoise à Combray Marcel Proust appréciait la variété les menus de campagne. ICI
Françoise
« Cuisinière de tante Léonie à Combray. Elle a une forte personnalité, fait preuve d’un rude bon sens paysan et alterne attentions et rudesse mais fait toujours montre d’une grande fidélité envers la famille du narrateur (1). C’est une excellente cuisinière et sait varier les menus avec les saisons pour le plus grand plaisir de la famille (2). Elle peut faire preuve de cruauté aussi bien envers les animaux qu’envers ses semblables, en particulier les gens humbles comme les domestiques de la maison (3) mais à l’inverse elle est d’une fidélité exemplaire vis-à-vis de sa maîtresse Léonie et s’occupera d’elle durant sa maladie puis son agonie avec beaucoup d’abnégation (4). »