Comme souvent, je joue sur les mots, Télérama dit avoir un peu aimé Être Cary Grant, l’essai de Martine Reid, en effet en amour je suis toujours dans l’excès : beaucoup, à la folie, pas du tout, le un tout petit peu n’est pas ma came. En effet, j’ai acheté ce livre en pensant commettre une chronique dans le style : j’ai toujours rêvé d’être Cary Grant. Pourtant je n’ignorais rien de ce que fut la vie de Cary Grant.
12 janvier 2020
James Ellroy lève le voile sur la face caché de l’élégant Cary Grant « S’il avait le menton « en fesses d’ange », Cary Grant n’en était certes pas un » ICI
L’essai de l’universitaire Martine Reid m’a fatigué : à trop vouloir prouver on lasse, et ce livre m’a fatigué. Je suis allé au bout avec l’espoir que l’autrice m’apportât plus pour étayer son portrait en partie double d’Archibald Leach, enfant pauvre d’une étrange famille de Bristol, Cary Grant, acteur immensément riche et célèbre grâce à Hollywood.
Pages 21-22
« Pas question pourtant de lui conserver son prénom et son patronyme d’origine. Il lui faut un nom de scène, « easy tosay, hard to forget ». Dans la comédie musicale où il figurait à Broadway quand il a été repéré par l’agent de la Paramount, Archibald Leach incarnait un personnage du nom de Cary Lokwood. L’acteur se verrait bien porter ce faux nom mais Lokwood est déjà utilisé au cinéma. Zukor lui aurait présenté une liste de noms possibles qu’il tenait à la disposition des jeunes comédiens. « Cary » ce serait décidé pour le premier nom venu, « Grant ». Il serait « Cary Grant. Drôle d’assemblage en vérité, qui attribue un nom de comédie à un général de la guerre de Sécession devenu ensuite le dix-huitième président des Etats-Unis (il figure sur les billets de 50$). Certaines publicités pour le nouveau « Grant » ne manqueront pas de faire le rapprochement.
Ce qui arrive à Leach n’est pas bien original.
La liste est longue « les patronymes qui ne sont pas anglais, et qui signalent une ascendance étrangère ou une origine juive, sont le plus généralement modifiés :
- Fred Astaire : Frederick Austerlitz
- Greta Garbo : Greta Gustafsson
- Joan Crawford : Lucille Le Sueur
- Rita Hayworth : Margarita Cansino
- Lauren Bacall : Betsy Perske
- Tony Curtis : Bernard Schwartz.
La liste est longue.
Alors pourquoi le cas de Cary Grant serait-il un cas, un sujet d’étude universitaire ?
C’est toute l’ambiguïté et la difficulté de l’exercice.
© Visual
À l’écran, il demeure l’incarnation de l’idéal masculin, « élégant, séduisant, drôle, riche et tout sourire, décidément heureux sans l’ombre d’un doute ». Mais à la ville, « celles qui le quittaient utilisaient les mêmes mots pour évoquer les mêmes problèmes : cruauté mentale, violence physique, alcoolisme, dépression chronique, infidélités ». La vie de Cary Grant (1904-1986) évoque un remake de Docteur Jekyll et Mister Hyde à l’ère de la société du spectacle. Né pauvre dans une famille dysfonctionnelle de Bristol en Angleterre, Archibald Leach est devenu immensément riche et célèbre aux États-Unis une fois pourvu par Hollywood de son pseudonyme de fantaisie, « comme un chien porte un collier, un prisonnier son matricule ».
Dans un essai biographique souvent vif et stimulant, Martine Reid analyse le « leurre » qu’a constitué l’existence de l’acteur de La Mort aux trousses. Comment, par exemple, les studios qui l’employaient ont tout fait pour cacher sa bisexualité au grand public — l’homme qui faisait tomber les femmes dans presque tous ses films a longtemps été le compagnon de bamboche (et plus, car affinités), de Randolph Scott, autre archétype de la virilité dans le cinéma américain.
L’universitaire montre à quel point la belle image cinématographique d’un être parfaitement sain de corps et d’esprit n’était qu’apparence : « un individu sans corps véritable, sans pensée propre, sans autre vie que celle que le cinéma raconte pour lui dans les films où il apparaît ». La tragédie d’Archibald Leach est qu’il a tenté jusqu’au bout de jouer ce personnage de fiction dans la vraie vie — « Tout le monde rêve d’être Cary Grant. Même moi, je rêve d’être Cary Grant », avoua-t-il un jour. Dommage que l’autrice, si pertinente dans son étude de la persona de l’acteur, consacre trop de pages à des généralités rebattues sur le système hollywoodien.
| Éd. Gallimard, 160 p., 16 €.
Samuel Douhaire