Elle ignorait tout de la période Zoug, en dépit de ses question, elle adorait les questions, il noyait le poisson, Ambrose lui servait la version officielle : 68-78 il faut que jeunesse se passe, 81-86 les années Tonton, 86-90 les années Doumeng-Louis Dreyfus, 90-2000 les années biseness, puis rideau. Ambrose, esquivait, très disert sur leurs jeunes années de petits sauvageons campagnards, les années 68, de Marie bien sûr, du temps des frelons de la GP, de leur virée au Chili d’Allende puis des années de plomb en Italie, l’écurie du présidentiable de Conflans, les joyeusetés du déclin de l’Empire Soviétiques puis, rideau… L’Omerta. Elle, fine mouche, au lieu de lui tirer les vers du nez, s’amusait à le piéger gentiment lorsque, le vin nu aidant, il se laissait aller à lui conter comment Louis négociait avec les oligarques, un maître du jeu de go, la patience, piéger leur ego, les mettre en confiance, les laisser venir sur son terrain, ne jamais se mettre en avant, ni briller, faire apparemment des concessions, déjouer les pièges fiscaux, savoir conclure sur la base d’un protocole gagnant-gagnant… « Et toi mon Ambrose tu étais quoi dans tout ça ?
- Le scribe, le porte-plume, nous travaillions à l’ancienne, pas d’ordinateur, d’e-mail, le bon vieux papier…
- Tu dois avoir plein d’archives dans ton coffre...
- La Suisse mon bel amour, la Suisse…
- À Zoug ?
- Bien sûr, mais dans le duo, j’étais la taupe, invisible mais pas sourd, les discussions se déroulaient en anglais, un très mauvais anglais type Delors, ce qui me permettait, puisque je suis polyglotte, d’entendre et de comprendre ces gros cons lorsqu’ils échangeaient en russe sans se douter que je le comprenais. Avantage déterminant.
- Tu as appris le russe comment ?
- Olga !
- La belle Ukrainienne…
- Oui !
- L’amour de ta vie…
- N’exagères pas, amour de jeunesse…
- La mère de tes enfants…
- Oui, des enfants que j’ai élevés seul…
- Pourquoi t’a-t-elle quitté ?
- Le mal du pays allié à un jeune oligarque…
- Mon pauvre Ambrose tu es né pour être une mère poule…
- Moque-toi petite patate, mes 4 filles, pas celles du docteur March, elles sont belles, intelligentes, indépendantes, ma fierté…
- Tu devrais écrire un traité Ambrose, le pendant de l’éducation des femmes de Choderlos de Laclos qui, loin du conservatisme de Rousseau sur la question de l'éducation des jeunes filles, dressa un portrait flatteur de la femme naturelle des sociétés primitives.
- Tu sais je n’ai fait que reprendre les préceptes de nos mères pour notre élevage, l’école pour les connaissances, à la maison les bases du vivre ensemble, ma liberté s’arrête à celle des autres, portes et fenêtres grandes ouvertes à la créativité, de l’amour, du respect, bien se nourrir, rire, chanter, danser, lire, même regarder la télé, fuir les psys, se supporter, vivre, aimer, garder un parfum d’enfance, tracer sa route, préférer les chemins de traverse. Mes oiseaux ont quitté le nid presque toutes en même temps, faut dire qu’avec Olga nous avions fait un tir groupé, ça m’a fait tout drôle, mais elles sont toujours là, elles savent que papa réponds toujours présent pour elles. Bref, chouchou, avec la tripotée de mes petits-enfants, c’est le prix Cognacq-Jay qu’il aurait fallu me donner.
- Belle tirade mon grand, mais que vas-tu faire à Zoug ?