Même si Ambrose pratiquait encore l’escrime, le fleuret, à la salle d’armes Coudurier, la plus ancienne salle d’armes en activité à Paris, avec Maître Pinel de la Taule, 6, rue Gît-le-Cœur, maîtrisait l’art de l’esquive, de toutes les parades, de l’estoc, allait-il devoir, ôter son masque, ses protections, se livrer à un exercice à haut risque, sans se battre la coulpe, ni se justifier, lever le voile sur le fameux biseness « Faire proprement un sale boulot… ». Sans aucun doute ça allait écorner auprès d’elle sa belle image. Ambrose, se donna encore du temps « Mon bel amour, je vais à Zoug tout simplement voir mon Louis, ça un bail que…
- Pipeau, le tout simplement c’est l’autre facette d’honnêtement, tu me racontes des craques mon Ambrose, il y a anguille sous roche…
- Ce n’est pas une anguille ma belle mais un alligator, une vieille affaire qui remonte à la surface du marigot, il nous faut l’étouffer dans l’œuf.
- En prononçant ces propos vaseux Ambrose captait illico, dans son logiciel en défense, l’une des maximes de Talleyrand « Il faut se garder des premiers mouvements, parce qu’ils sont toujours honnêtes » Plus question de se confesser, de dire la vérité, qui n’est jamais bonne à dire, mais de l’habiller, de la ripoliner, faire de leur histoire une forme d’épopée post-moderne de deux cinquantenaires joueurs qui, dans le nouveau monde impitoyable des oligarques ex-rouges, se vautrant dans le fric, le stupre, les clubs de foot et l’art contemporain, s’étaient offert, à leurs risques et périls, des parties de poker menteur. Leur petite entreprise, grâce aux liens noués, au temps de l’URSS, avec la nomenklatura du Parti, avait surfé sur le tsunami des années Eltsine, l’incroyable dilapidation des joyaux de l’empire, le casse du siècle, non pour mettre du beurre dans leurs épinards, leurs épinards baignaient déjà dans le beurre, mais pour mordre la ligne jaune, sans jamais franchir les frontières de la légalité, en se glissant dans les failles des lois, en appliquant à leur profit la stratégie des multinationales, être au bon moment, au bon endroit, rien que des facilitateurs, des porteurs de burettes d’huile pour lubrifier des transferts de gros paquets de capitaux vers l’eldorado londonien.
Pas de quoi pavoiser bien sûr, mais ce ne fut rien qu’un choix, celui de se mouler dans l’esprit des cambrioleurs à l’ancienne, tel Georges Randal, dans le film de Louis Malle, dandy vengeur qui se tourne vers la rapine, qu'il pratique sans état d'âme, avec une haine considérable pour les valeurs morales d'une société qu'il méprise. Rien d'un Arsène Lupin donc : un brise-fer, un fracasseur de meubles précieux, un saccageur qui rêve « de désosser la carcasse bourgeoise ». Rien non plus d'une bonne âme progressiste : la destruction lui tient lieu de cause, avec la conscience paradoxale de tirer subsistance de ce qu'il veut détruire. Randal est l'effroi fait homme, le pur symptôme d'une société gangrenée par l'hypocrisie, le mercantilisme, la corruption, la démagogie.
Louis et lui, des corsaires, des flibustiers, tirant des bords dans les eaux troubles de l’ex-Empire, essorer des profiteurs, leur piquer un max pognon, pure œuvre de salubrité publique face à des biens mal acquis. Plaidoyer pro-domo ? No ! Nous avons trempé nos pognes dans de l’argent sale, le fric a-t-il été un jour propre ? « Nous avons fait une rechute de soixante-huitard chouchou, nous nous sommes offerts une folle parenthèse, un pied-de-nez à l’esprit de sérieux, sans goût de lucre, pour le fun, l’adrénaline… » Et, de rebasculer dans le ciné : Georges Randal-Belmondo, sec comme l'effraction, froid comme un pied-de-biche, rapide et laconique comme une mise à sac, flanqué dans ses œuvres d’une clique édifiante d'un curé nihiliste : Julien Guiomar, d'un monte-en-l'air cynique : Paul Le Person, d'un truand anarchiste Charles Denner, grandiose et d'une cohorte de femmes plus charmantes, manipulatrices et ensorceleuses les unes que les autres Marie Dubois, Geneviève Bujold, Bernadette Laffont, Françoise Fabian...
- Tu es un virtuose Ambrose, le Paganini des joueurs de pipeau, j’adore !
- Tu es dure avec moi chouchou…