Pour une petite ville de 30 000 habitants, le canton 120 000, la gare de Zoug vaut le détour, un côté mégalo, on y sent déjà pognon même si ceux qui en ont prennent rarement le train pour s’y rendre, ces gens-là préfèrent l’hélicoptère depuis l’aéroport de Kloten à Zurich, le plus grand de Suisse. Au temps de la splendeur de leur petite entreprise, qui ne connut pas la crise, les oligarques garaient leur jet privé à Kloten, louaient les services d’une compagnie d’hélicoptères pour gagner Zoug où ils ne séjournaient jamais.
Concession Ferrari et Maserati, Zoug.
Ils préféraient le «Dolder Grand Hotel » l'un des palaces les plus prestigieux de Zurich, dont le promoteur du projet, en 1899, le Zurichois Heinrich Hürlimann, tonnelier de profession, fut dessiné par l'architecte Jacques Gros dans le «style suisse» qu'affectionnait à l'époque la bourgeoisie helvétique, l'imposant édifice tient à la fois du château de conte de fées et du chalet.
Adossé à la forêt, en marge des beaux quartiers du Zürichberg qui se tiennent à distance respectueuse, le Dolder trône depuis plus d'un siècle au sommet d'un des panoramas les plus époustouflants de Zurich, offrant une vue imprenable sur la ville, le lac et les Alpes. Il est la propriété du financier et «trader» Urs Schwarzenbach, milliardaire, qui vit entre la Grande-Bretagne et Saint-Moritz. D’abord prisé des familles royales et des pontes du pouvoir, Winston Churchill, le Shah d’Iran, Henry Kissinger, le palace draine une clientèle de peoples charmés par le cadre old-fashioned et rock’n’roll assumé par l’établissement. Luciano Pavarotti, Michael Jackson, Keith Richards, Rihanna ou Leonardo di Caprio ont paraphé le livre d’or pour la postérité.
La discrétion étant la philosophie de la maison Ambrose&Louis, les rencontres avec ces maîtres du paraître se déroulaient dans des salles anonymes nichées dans les locaux des innombrables avocats d’affaires ayant pignon sur rue.
En avril 2020, le Luzerner Zeitung a publié une recherche de données sur les sociétés-écrans du canton de Zoug, indiquant qu’en 2018, 33 000 entreprises étaient enregistrées pour 127 000 habitants, soit une pour quatre personnes. Dans la ville de Zoug, la proportion s’élevait à une société pour deux habitants. Selon l’Office fédéral de la statistique, environ la moitié des 33 000 entreprises du canton emploient du personnel, et quelque 15 000 d’entre elles ne sont pas considérées comme des entreprises. Selon les journalistes, le canton compte 49 adresses qui abritent plus de 99 entreprises, deux d’entre elles comptant respectivement 328 et 277 sociétés. Ces adresses suspectes sont souvent celles de « fiduciaires et d'avocats – des professions qui assument la responsabilité principale dans l’établissement de sociétés-écrans ». Il en résulte une longue liste de scandales : or et œuvres d’art volés, exportation illégale d’armes, affaires avec le régime de l’apartheid, innombrables cas de blanchiment d’argent, avoirs de potentats, évasion fiscale, corruption dans le négoce de matières premières et dans les fédérations sportives internationales. La Suisse est en fait un « repère de pirates avec ses boîtes aux lettres pour argent sale.
Entre cabinets d'avocats, sociétés de conseils en gestion d'actifs, on trouve aussi les sièges de mastodontes de la finance tels Rothschild Continuation Holdings AG, qui contrôle la plupart des banques d'investissement du groupe Rothschild, ou encore Partners Group, une multinationale de gestion d'actifs, des sociétés pharmaceutiques comme Biogen Idec ou Amgen, et surtout un grand nombre d'entreprises liées au négoce, au courtage et à l'extraction de matières premières comme Precious Woods, bois exotiques, Nord Stream qui gère le futur gazoduc du même nom ou encore Transocean,la plus grande société de gestion de plate-forme pétrolière offshore au monde propriété de Deepwater Horizon, et bien sur le géant Xstrata et sa maison mère Glencore.
Siège de Glencore, Zoug.
Ambrose&Louis, avant toute prise de contact, exigeaient des oligarques qu’ils choisissent un mandataire domicilié à Zoug qui serait leur seul contact officiel. Ils travaillaient à l’ancienne, que les week-ends, pas de mails, pas de téléphones cellulaires, rien que du bon vieux papier, sans en tête, dactylographié sur d’antiques machines à écrire électriques. Leurs séjours à Zoug relevaient pour Louis de sa légitime présence au domicile conjugal, pour Ambrose afin de passer le week-end avec ses filles pensionnaires à la Hull's School de Zurich. Les règlements de leurs prestations se liquidaient sous la forme d’œuvres d’art contemporains achetées par leurs clients à la galerie de Clotilde, à Londres, le blé filant ensuite le plus légalement du monde sur un compte à Jersey. Sur cette petite île, selon les statistiques officielles, plus de 350 milliards d’euros en dépôt et en cash, plus de 1500 fonds d’investissement et une quarantaine de banques y ont trouvé refuge, elles ne paient que 10 % d’impôt sur leurs bénéfices. Quant aux clients et aux entreprises qui s’y installent, ils ne paient rien du tout.
Louis attendait au bout du quai. Pandémie oblige, pas de bises, « Clotilde est à Londres, elle rendre ce soir… »