Audrey Bourolleau, je l’ai croisé lorsqu’elle officiait à Vin&Société, nous avons même déjeuné aux Climats, elle a dépoussiéré et dynamisé cette structure de lobbying. Puis en 2016, elle s’est mise En Marche aux côtés du sémillant Macron, le château conquit, Audrey Bourolleau se glissa dans la peau d’une éminence grise, devint la conseillère agricole du nouveau président. Cette fonction, au temps de Tonton, a propulsé, le sphinx Nallet, au 78 rue de Varenne, la nuit où ce cher Rocard, qui n’en ratait pas une pour déplaire à Mitterrand, démissionna. Avec le florentin de Jarnac, si tu voulais rester dans ses petits papiers il fallait chausser ses bottes pour aller dans le terroir profond conquérir une circonscription.
Nallet, ex-jaciste, plume de Debatisse à la FNSEA, penseur de la gauche paysanne à l’INRA du passage Tenaille, repaire de gauchistes guidés par Michel Gervais, ne présentait guère le profil du jeune loup du PS. En première intention il jeta son dévolu sur une circonscription de la Manche, Thérèse son épouse, qui adorait les biscuits*, était native de ce département. Les parachutés, dans la Manche comme ailleurs, les caciques n’aiment pas. Recalé, Pierre Joxe qui, étrangement pilotait au PS le projet agricole, propulsa Nallet dans l’Yonne, à Tonnerre. Par la grâce d’une proportionnelle mijotée par Tonton et Charasse, Henri fut élu. En 1988, Tonton repique au truc, Henri Nallet retrouve, Rocard 1er Ministre, le 78, moi aussi. En 1990, il profite de l’exfiltration du gouvernement de l’insuportable Arpaillange, pour gagner la place Vendôme, Garde des Sceaux.
« Si j’avais su, j’aurais pas venu » la phrase culte du petit Gibus, dans la Guerre des Boutons, s’applique à la suite de la carrière politique d’Henri Nallet. En avril 1991 éclate l'affaire Urba, relative au financement occulte du Parti socialiste français. Le juge d'instruction Thierry Jean-Pierre perquisitionne au siège d'Urba à Paris. Henri Nallet, Garde des Sceaux, mais aussi ancien trésorier de la campagne de François Mitterrand, dénonce l'action du juge comme « une équipée sauvage » et fait dessaisir le magistrat. Tonton, gentiment, profite de l’expulsion d’Edith Cresson pour exfiltrer Henri Nallet du gouvernement Bérégovoy.
Après cette date, Henri Nallet se consacre alors principalement à sa carrière politique locale. Il conserve ses mandats de maire de Tonnerre, où il a été élu en 1989, et de conseiller général de l’Yonne (canton de Tonnerre), qu’il détient depuis 1988. En décembre 1992, il est nommé conseiller d'État. Tonton est bon. Il est à nouveau élu à l’Assemblée nationale en 1997 jusqu’en 1999. La suite est connue.
Bref, au temps de Tonton, le conseiller agricole du Président pesait lourd, tel ne fut pas le cas d’Audrey Bourolleau au château. La politique agricole de Macron est d’une fadeur et d’un convenu remarquable, alignement total sur la FNSEA. La valse des Ministres fut aussi la marque de fabrique de ce presque terminé quinquennat, y’en a pas un pour racheter l’autre. Sans être désagréable, le bilan d’Audrey Bourolleau se rapproche de zéro. Les chefs du vin me contrediront car pour eux elle fut une digue efficace les protégeant des affreux défenseurs de la loi Evin. Je ne le conteste pas mais ça ne fait pas une politique novatrice.
Enfin, le temps est révolu où les éminences grises chaussaient les bottes des élus de terrain, aujourd’hui l’heure est de passer de la start-up Nation à la start-up tout court par la grâce du ruissellement des premiers de cordée.
À quarante ans, elle a décidé de changer de vie. Audrey Bourolleau, ancienne conseillère du président Emmanuel Macron, chausse des bottes d’agricultrice pour créer, avec le milliardaire Xavier Niel, un vaste campus près de Paris destiné à former les « entrepreneurs agricoles de demain ».
Une formation pour adultes
À la fin de 2019, elle annonce son projet de fonder une nouvelle école d’agriculture qui a pris depuis le nom de Hectar. L’achat du domaine a coûté 19 millions d’euros et les travaux cinq millions de plus. L’objectif affiché du projet Hectar est de « sensibiliser ou former deux mille personnes par an » aux métiers de la sphère agricole. Le programme phare de l’école sera tourné vers la formation d’adultes désireux de se reconvertir dans l’agriculture. D’une durée de six mois, « gratuite pour l’apprenant », elle sera dispensée par des agriculteurs et des formateurs professionnels.
« Nous sommes confrontés à un défi de génération très conséquent. En France, 160 000 fermes sont à reprendre d’ici à trois ans. Il faut former la prochaine génération », souligne Audrey Bourolleau. Pour les nouveaux entrants qui ne seront pas « dans un schéma de transmission familiale, la marche va être très haute ». « Il faut leur donner des modèles qui tournent économiquement, soient socialement justes et durables. Ce que nous voulons leur donner, c’est vraiment une posture de chef d’entreprise agricole », explique-t-elle.
Face aux défis climatiques, l’école entend mettre l’accent sur les techniques de préservation des sols agricoles. Hectar proposera aussi des formations sur le salariat agricole, en manque de bras.
Certains vont m’objecter qu’il est facile d’ironiser sur des porteurs de projets « innovants ». Tel n’est pas mon cas, qui vivra verra, l’exemple du Pôle universitaire Léonard-de-Vinci dit « Fac Pasqua » n’est guère probant. Ce qui m’interroge dans ces belles et bonnes intentions, c’est qu’au temps du château Audrey Bourolleau ne se soit pas colletée à dépoussiérer et redynamiser, comme le dirait les biodynamistes, l’enseignement agricole du Ministère de l’Agriculture bien encroûté.
Audrey Bourolleau, de l’Élysée aux champs ICI