Je ne sais plus qui a initié le mouvement des « cépages modestes » mais, pour ma part, je lance celui de « biologiste modeste » pour Marc-André Selosse. Clin d’œil, celui-ci participait aux 9e Rencontres des cépages modestes à Saint-Côme-d'Olt les 9-10 novembre 2019, pour parler des tannins.
Dans le texte qui suit il est à cent lieues des batailles de chiffonnier qui agitent le marigot du vin lorsqu’on aborde la biodynamie. Je me retrouve, pile poils, dans ce qu’il écrit.
Ou le point de vue d’un éminent biologiste, tourmenté par le paradoxe entre les succès de la biodynamie et son absence de fondement au regard de la science.
Par Marc-André Selosse
Il y a deux choses certaines dans la biodynamie, qu’il est difficile de mettre face-à-face. D’abord, il est indubitable que beaucoup de domaines font des vins superbes avec des méthodes de biodynamie ; leurs champs sont très beaux à voir et leur sols, surtout s’ils sont enherbés, sont très vivants à première vue. J’ai plein d’amis viticulteurs qui pratiquent cette méthode, et dont j’adore la démarche, l’intelligence et… les vins.
Ensuite, les méthodes de la biodynamie sont irréductibles à l’activité scientifique qui est la mienne. Par exemple, dans la méthode des 500, les bactéries développées avec beaucoup de matière organique et très peu d’oxygène périssent lors de la dynamisation et plus encore de l’épandage : ce n’est pas une inoculation microbienne. Restent les molécules… mais les concentrations d’épandage sont si ténues que la chimie ne prévoit aucun effet : ce n’est pas un intrant en termes de substances. J’ai plein de bons amis qui, comme moi, doutent des actions revendiquées de cette méthode. Comme j’aime tous mes amis, et que je les estime tous, ce paradoxe rend la situation… schizophrénique !
SCIENCE VS. SPIRITUEL. « On fait beaucoup de bruit sur les vins issus de biodynamie, mais ils ne sont pas forcément meilleurs que les autres », me disent les uns. Même s’ils n’étaient qu’aussi bons, ça poserait quand même des questions. Or oui, il leur arrive d’être excellent ! « Mais ne peux-tu admettre qu’il existe autre chose dans la nature que ce que ta science étudie? », me rétorquent les autres. Ma réponse est non, car la méthode scientifique et ses concepts sont la base de mon efficacité. C’est ce qui fait que les ascenseurs montent, l’aspirine soigne la douleur, l’injection d’insuline sauve les diabétiques, les avions décollent… Je ne peux (veux) pas brûler mes vaisseaux, ou alors je jette la pharmacie et je ne prends plus de voiture pour être cohérent.
« Alors, pourquoi ne fais-tu pas de recherche sur la biodynamie, pour comprendre? » C’est que jusque-là, j’avais des tas d’autres questions plus urgentes et plus passionnantes… Et ce qui en est publié dans les revues scientifiques est fort décevant. Néanmoins, ces derniers temps j’ai commencé à étudier cette question sur le vignoble, du point de vue microbiologique.
LA RICHESSE DES PRATIQUANTS. Et comme cela fait longtemps que ce paradoxe entre les succès de la biodynamie et son absence de fondement au regard de la science me tourmente, j’ai déjà pensé à quelque chose qui sauve la cohérence… et toutes mes amitiés : la grande richesse de la biodynamie, ce sont celles et ceux qui la pratiquent.
Ce qu’ils font ne se résume pas (même s’ils n’en sont pas toujours conscients) à l’application des pratiques édictées par Rudolf Steiner. Heureusement ! Car quand je vois la complexité des agro- systèmes, des sols et des pratiques agricoles, je doute qu’un seul homme, fut-il philosophe éclairé, ait pu avoir la révélation d’une panacée. Dans les gestes des praticiens, il y a de multiples autres facteurs qui jouent et pourraient expliquer leur succès.
De plus, ces vignerons biodynamiques ont souvent adapté et modifié les pratiques steineriennes. Heureusement ! Car on ne peut croire qu’il existe des terroirs sans penser que les gestes doivent varier d’un lieu à l’autre… Enfin, ils sont attentifs, réactifs, présents au champ comme à la cuve. Curieux, ils se posent des questions incessamment. Voilà ce qui en fait souvent des praticiens plus performants, car plus aux aguets.
Bref, pour moi, les succès de la biodynamie ne remettent pas en cause la science. Ils soulignent surtout la part de l’homme, ce beau composant des terroirs, dans le processus qui mène de la vigne au vin.