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4 mai 2021 2 04 /05 /mai /2021 06:00

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Claire Naudin-Ferrand je l’ai découverte, le 24 juin 2008 après-midi, à la tribune de l’AG du BIVB, où elle prenait la parole en tant que présidente du SAQ au cours du débat  « Agrément, typicité et marchés » judicieusement organisé par PH Gagey en présence d’Yves Bénard, le président du CN Vins et Eaux-de-vie de l'INAO.

 

Les propos de Christelle Mercier de l'INAO sur la définition de la typicité venaient de me plonger dans un état d’attrition profond. Ébranlé donc, partagé entre l’effroi et la colère face à ce gloubiboulga de pseudoscience – j’ai subi lorsque j’étais président du Calvados le dénommé Jean Salette, père de la typicité  directeur de recherches émérite de l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture de France qui se targue d’être le spécialiste des relations entre les terroirs et les produits et qui joue les consultants dans le domaine des produits de terroirs et des appellations d’origine. Dieu nous garde des consultants de cet acabit – je regrettais le temps où mes fonctions me permettaient de donner le signal de la fin de la récréation. Je m’attendais donc à un gentil discours de présidente. Elle le fit et puis, avec conviction et finesse, ce furent : « des paroles simples d’une vigneronne sur la typicité »

 

ICI 

 

13 ans déjà, nous sommes devenus ami et, comme Claire publie sur Face de Bouc :

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Claire Naudin le 24 avril

Une photo de bouteilles pour parler du gel ??? Eh oui... Parce que depuis le gel de 2016, je préfère parler de : stratégie globale d'intégration des risques climatiques dans une exploitation.

 

Moi, ni une ni deux, toujours intéressé par celles et ceux qui réfléchissent, se remettent en question, je lui demandé si elle pourrait trouver du temps pour développer, ce qu’elle a gentiment fait le 1er Mai, au lieu  d’aller cueillir du muguet, pas au bois de Chaville vu que nous sommes confinés.

 

 

MERCI Claire

 

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STRATÉGIE D'INTÉGRATION DES RISQUES CLIMATIQUES
DANS UNE EXPLOITATION VITICOLE



02,05,2021

 

En 2003 nous avons pensé qu'un millésime exceptionnel se présentait, qui rappelait beaucoup 1969 en précocité, et en concentration des raisins. 

 

Le millésime 2003 posait 2 questions : la précocité et le (petit) volume de récolte. 

 

Accidents ou prémices ?


Depuis, les millésimes précoces se sont répétés, au point de ne plus nous surprendre : 2007, 2015, 2017, 2018, 2020…Ainsi le millésime 2003 était-il très probablement le début d'une nouvelle ère pour la viticulture. 


Combinés à un fort déficit hydrique, et/ou à une forte évaporation, ces millésimes précoces peuvent conduire à des pertes de récolte importantes. Ce stress hydrique est un nouveau facteur de perte de récolte, qui vient s’ajouter au gel et à la grêle.

 

Depuis une dizaine d'années, la grêle change de morphologie et prend des proportions alarmantes. En effet, au lieu de toucher classiquement un secteur géographique de quelques kilomètres carrés, elle touche aujourd'hui des dizaines de kilomètres carrés. Là aussi, la donne a changé…

 

En 2016, c'est un épisode de gelée noire qui est venu nous surprendre. Le phénomène est connu : une période douce déclenchant le gonflement prématuré des bourgeons, voire même le début de pousse des rameaux, puis une descente d'air polaire froid et sec, qui ravage tout sur son passage, potentiellement combinée à une gelée blanche classique (air froid et humide dans les points bas). La gelée blanche va toucher les points bas et la gelée noire touchera les meilleures expositions. Rien n'y échappe ou presque…

 

En 2016 nous avons été pris au dépourvu, par l'intensité et l'ampleur géographique du phénomène. De ce fait, chacun a pensé qu'il était très exceptionnel.


Néanmoins dans le doute, nombre de domaine ont réagi :


- à court terme en brûlant de la paille (2017, 2018, 2019), jusqu'à ce que l'on démontre que cette méthode était à peu près inefficace.

- ensuite en investissant dans des équipements de protection contre le gel, en particulier les bougies, les tours à hélices, l'aspersion ou encore les câbles chauffants.

 

Nous serions en Australie, en Californie ou au Chili, il nous faudrait aussi intégrer le risque Feu. Réjouissons-nous d'y échapper. Cela-dit, malheureusement, les périodes de canicule combinées à de gros déficits hydriques, peuvent nous laisser craindre de subir ces phénomènes à l’avenir et sur des secteurs plus importants que ce que nous connaissons de façon très épisodique.

 

En 2021, l'épisode de gel des 7-9 avril vient montrer 2 choses :


- l’occurrence de phénomènes de grande ampleur augmente et nous ne pouvons plus parier sur leur absence.


- les outils de protection ont un coût élevé pour une efficacité parfois limitée, sans parler des désagréments engendrés pour la population (fumées, nuisances sonores, pollution...).

 

Alors le moment est sans doute venu de redire qu'une exploitation viticole doit, au XXIème siècle, intégrer les risques climatiques dans son modèle économique, et mettre en place une stratégie ou un ensemble de moyens pour y répondre, au-delà des stricts moyens techniques de lutte.

 

La première étape est de ne plus faire l'autruche mais d'accepter l'idée du risque.


En 2015, année précoce et sèche, de demi-récolte donc, qui suivait 3 années parfois très impactées par la grêle, j'entendais nombre de collègues me dire : “l'année prochaine, il faut qu'on produise beaucoup". Lorsque je répondais : "mais que feras-tu si ce n'est pas le cas", mes collègues restaient sans voix. Et, bien qu'improbable pour eux, étant donné le terrible enchaînement qui avait précédé, le gel de 2016 est survenu, affaiblissant encore les entreprises.


Accepter l'idée du risque climatique c'est se préparer au pire, par tous les moyens.

 

C’est donc construire, étape après étape, une véritable stratégie d’intégration aux risques climatiques dans toute leur diversité.

 

Suite à 2016 je suis donc arrivée, comme de nombreux collègues, aux conclusions suivantes :

 

1- les assurances climatiques ne sont pas LA solution :


- les accidents climatiques sont d'une telle ampleur qu'on peut difficilement envisager de mutualiser le risque.


- le calcul de l'indemnisation sur la moyenne écrêtée des 5 dernière récoltes, pénalise les entreprises (nombreuses) qui ont aussi subi grêle et/ou sécheresse.


- la temporalité des indemnisations est désastreuse en terme de fiscalité (les indemnités devraient arriver en n+1 voire n+2, c'est à dire au creux de trésorerie, et non pas l’année n)


- la prime d'assurance ne comble pas votre manque de vin et la perte de clientèle qui s'ensuit.

 

L’assurance grêle reste à part, a priori et à mon sens, comme un outil pertinent, en fonction de l’avancement des autres éléments de notre stratégie de gestion des risques climatiques.

 

2- les moyens de lutte doivent être améliorés et cela ne se fera pas tout seul :


- les bâches sont utilisées dans de nombreux endroits dans le monde, pour lutter contre la grêle, la neige, l’échaudage ou encore le gel (et les oiseaux). Certes elles ne sont pas autorisées dans le cadre de l’AOP, mais c’est sans doute au cadre de s’adapter, non l’inverse. Nous sommes un certain nombre à penser que des systèmes de bâches facilement et rapidement déployables, possiblement complétés par des systèmes de chauffage (lutte contre le gel), permettraient de gagner en efficacité, donc en coût (meilleur bilan énergétique), tout en ne nuisant pas à la population (gênée par le bruit des hélices ou autres hélicoptères, sans parler de la pollution des bougies).


En outre, les bâches protègent de l’humidité (cf la neige tombée le 7 avril vers 23H, mais fondue vers 2H le 8 avril…) qui est souvent LE facteur qui génère les dégâts de gel, ou en tous cas les accentue.


- de nombreux domaines pratiquent une taille tardive, voire même un plumage tardif (une taille hivernale est effectuée, laissant sur le pied uniquement les branches destinées à contenir le courson et la baguette (pour une taille guyot). Dans ce cas on utilise le mécanisme physiologique de l’acrotonie, qui veut que la vigne envoie sa sève prioritairement vers les bourgeons les plus hauts (rappelons que la vigne est une liane qui s’élève dans la canopée à la recherche de lumière), ou du moins les plus éloignés de son cep, et ces bourgeons fabriquent une hormone, l’auxine, qui inhibe la pousse des bourgeons de la base de cette baguette. Il semble qu’il faille en moyenne 8 à 10 yeux par rameau pour qu’il y ait acrotonie. En vigne basse cela signifie qu’il ne faut pas pratiquer le pré-taillage mécanique.


Cette méthode est peu répandue car elle n’est pas facile à mettre en œuvre :


- elle change l’organisation du travail, en repoussant le plumage et l’attachage des baguettes d’un bon mois, voire de 2. D’après les travaux d’Alain Deloire à Supagro, un plumage effectué à 50 % pointe verte + 15 jours est idéal car n’engendre pas de retard significatif de la maturité et ne génère une perte de récolte que de 10 % environ.


Cela signifie que le domaine viticole devra disposer d’une main d’œuvre complémentaire, une année précoce, puisque ce travail se télescopera avec l’ébourgeonnage, voire même les 1ers relevages.

 

- elle doit être intégrée dans le modèle économique puisqu’elle diminue la récolte, et on peut craindre que, répétée, elle affaiblit durablement les pieds. En effet, au moment de cette taille tardive, certains rameaux sont au stade 3 feuilles étalées et plus (notamment sur les entre-coeurs), et ont donc pompé une partie des réserves des pieds.


Des études complémentaires seraient à mener pour évaluer ce risque d’affaiblissement et envisager des moyens nutritionnels pour le compenser.

 

- La destruction des bourgeons par le gel étant lié à la présence d’eau dans les cellules (qui, en gelant, fait exploser les cellules végétales), on peut imaginer diminuer ce risque en jouant sur la concentration en sucre de la sève. On touche ici à la question de la mise en réserve des pieds de vigne et il est clair que des pistes sont à explorer dans cette voie là.

 

- Le risque gel étant lié à la précocité de la pousse, elle-même liée notamment à une élévation précoce de température, en février voire mars, suite au réchauffement climatique, il nous faut sans doute explorer également toutes les voies qui permettraient de limiter cette précocité de pousse. Une phase de gel (noir ou blanc) sur des bourgeons au stade A, n’est plus un problème. Pour cela, outre la taille tardive, pensons aux variétés tardives. Et puisque la température du sol est un paramètre essentiel du démarrage de la végétation, peut-être pouvons-nous également imaginer retarder le réchauffement du sol (en retardant les façons culturales ? En utilisant des bâches?). Tout ce qui peut contribuer, ne serait-ce qu’un peu, à retarder le cycle végétatif, constitue une piste à explorer.

 

Cette liste n’est pas exhaustive.


Elle me permet en tout cas d’affirmer que des moyens restant à trouver, par la filière, pour explorer et trouver de nouvelles solutions de lutte, qui soient efficaces, mais aussi écologiques et économiques donc durables, et acceptables par nos concitoyens.

 

3- Notre stratégie doit contenir un volet comptable.


Suite à l’enchaînement 2012-2015 (3xgrêle + 1x sécheresse) j’ai pensé que je devais équilibrer mes comptes avec 60 % de récolte. Mon comptable m’a trouvée pessimiste. Puis en 2016 j’ai pensé qu’il était raisonnable d’équilibrer sur une base de 50 % voire moins, si possible. Et il me trouvait finalement assez réaliste…


Dans le cadre de cette réflexion, on peut s’interroger sur la stabilité des exploitations qui basent leur production sur un objectif de rendements élevé (proche du rendement maximum). Je suis issue de ce modèle, très dominant dans les années 90. Pourtant il présente une limite évidente : le rendement maximal n’est pas garanti, il n’est jamais une certitude. On ne peut que faire moins que prévu. Le rendement n’est donc pas moyennable d’une année à l’autre. Et demander plus de rendement de façon à assurer sa stabilité ne constituerait qu’une fuite en avant nuisible à la qualité des vins. Donc on est très fragile. 


Dans un modèle où l’on viserait, pour l’équilibre comptable, en moyenne 80 % d’une récolte pleine, on a plus de chance d’atteindre souvent l’objectif, et si l’on est en dessous, ponctuellement, on peut espérer avoir l’occasion de compenser en montant exceptionnellement à 100 %. Et les années à 100 % viennent alimenter notre stock stratégique. Si l’on vise 60 %, la marge de manœuvre est encore plus grande… C’est un virage à prendre doucement, car bien sûr, les prix de vente doivent suivre, cela peut donc engendrer un changement de clientèle.

 

4- Notre stratégie doit intégrer un volet commercial :


« Mon père m’a toujours dit : garde du vin en stock !». 


« Une année en fûts, une année en bouteille et une année à la banque ».


N’avons-nous pas tous entendu cela ? 


Pourtant l’enchaînement de belles années (entre 1990 et 2003) nous l’a fait oublier, d’autant que nos comptables nous reprochaient systématiquement ce stock, car fiscalement lourd.

 

Je vois 2 autres limites à cette précaution pourtant évidente :


- il faut avoir dans sa gamme au moins un vin capable de vieillir si possible en se bonifiant. Cela paraît évident en Bourgogne mais est-ce si simple ? Quid d’un domaine qui produit essentiellement des vins blancs ou des appellations régionales ? Pour aller dans cette direction, il faut solutionner la problématique des oxydations prématurées. Or depuis 20 ans, nous n’avons pas été capables de résoudre ce problème. Il est temps de s’y atteler…


- il faut être capable de bien valoriser un vin vieux. Cela paraît évident mais ne l’est pas du tout. Il m’a fallu 20 ans pour asseoir ma réputation et ne pas déclencher de la suspicion lorsque je propose un vin ancien à ma carte. Cet élément de stratégie doit donc être construit sur le long terme. En résumé, il ne faut pas confondre : stock valorisable et invendus. Ce sont 2 choses très différentes…



 

Si l’on est en mesure de valoriser son stock, ou du moins une partie, on peut imaginer comme objectif de :


1- voir quelle quantité de récolte on est capable de produire en moyenne sur 5 ans.


2- brider les ventes des millésimes généreux pour constituer ce stock stratégique, en bloquant ce qui dépasse de ce chiffre d’affaires moyen. Cela permettra de lisser son chiffre d’affaires et d’éviter des décalages de fiscalité.


3- augmenter encore ce stock en ayant quelques clients très fiables, décalés d’1 voire 2 millésimes. Ils deviennent finalement notre assurance climatique.

 

5- Notre stratégie doit intégrer un volet financier : 

 

S’il paraît évident de conserver un taux d’endettement limité, il est beaucoup plus difficile, année après année, de résister aux sirènes des marchands de matériel et des banquiers. Hiérarchiser ses investissements n’est pas forcément un exercice facile, surtout dans un contexte en perpétuelle évolution, avec des adaptations aux nouvelles normes à opérer impérativement et rapidement, des exigences techniques (liées au réchauffement climatique) et environnementales (suppression du glyphosate, ZNT, etc.) à satisfaire… Sans parler du financement de notre éventuel stockage (argent immobilisé + construction de bâtiments).


On en revient donc au fait qu’il faut accepter l’idée que les risques climatiques engendrent une quasi impossibilité de stabiliser notre niveau de production, même avec des moyens techniques optimisés. Donc il faut être capable coûte que coûte de faire avec cette variabilité de notre récolte.

 

6- Il faut peut-être aussi envisager une source externe de revenus : cela peut passer pour certains par une diversification de l’activité (enseignement et consulting, tourisme, autres productions animales ou végétales, etc.). 

Chacun doit faire avec ses compétences et ses talents.


Mais pour rester dans le monde du vin, cela peut passer par une activité de négoce.


En 2016 j’ai opté pour cette solution. Le domaine avait perdu 70 % de sa récolte. Aussitôt après le gel, je me suis imaginée dans ma cuverie avec toutes ces cuves vides. Je n’ai pas supporté cette vision. Je suis donc partie en quête de solutions pour « remplir quelques cuves ». J’ai trouvé du raisin et j’ai été très surprise de la rapidité de l’administration. Le négoce s’est monté en 4 jours. J’ai eu le plaisir de découvrir que cet outil me permet aussi de rendre service à des collègues, heureux de me vendre leur raisin à un bon prix. Aujourd’hui l’outil est en place, prêt à servir. Il est conçu pour être très souple et adaptable.

 

Cette liste d’éléments de stratégie n’est pas exhaustive. Elle se construit avec le temps et en fonction de mon imagination et des personnes que je rencontre. Je crois que chaque entreprise peut entrer dans une telle démarche. C’est passionnant et efficace. Encore faut-il accepter d’y passer du temps et être bien entouré.

 

Gérer une exploitation viticole en 2021, c’est piloter un paquebot entouré d’icebergs :


- un paquebot, parce que l’inertie d’une plante pérenne comme la vigne est importante, et aussi parce que les enjeux financiers sont souvent effrayants.


- des icebergs, parce que ce que nous voyons des problèmes n’en est que la partie émergée. Objectivement nous sommes très ignorants sur de nombreux aspects. Il nous faut donc être à la fois imaginatifs et prudents.

 

Si je devais résumer cette stratégie je dirais :


PRUDENCE - ANTICIPATION – SOUPLESSE - ADAPTABILITÉ

 

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