Giuseppe Garibaldi (1807-1882) dans les rues de Naples en 1860. En fuite, le héros de l'unité italienne, habita à Tunis en 1835. La capitale tunisienne a longtemps abrité une importante communauté italienne. (ANN RONAN PICTURE LIBRARY/ AFP)
Le rituel toujours, Ambrose tondait sa barbe neigeuse, son image dans le miroir lui renvoyait son âge, ses pattes d’oie à la commissure des yeux, il gambergeait, l’entame de Paul Nizan dans Aden-Arabie « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme: l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. », le raccrochait à ses 20 ans, ce 24 mai 1968, alors qu’à Nantes, sous un franc soleil, les tracteurs tournaient autour de la fontaine de cette place encore Royale, il rêvait, « Tout près de la frontière, aux confins de mon univers connu, j'attendais le jour où la vraie vie commencerait. J'étais le clone de Giovanni Drogo, ce jeune ambitieux pour qui «tous ces jours qui lui avaient parus odieux, étaient désormais finis pour toujours et formaient des mois et des années qui jamais plus ne reviendraient...» Mais pourquoi diable l’amour lui était-il tombé dessus si tard ?
Beria, planté devant la porte d’entrée, tel une sentinelle intraitable, exprimait sa désapprobation en voyant Ambrose se préparer à sortir si tôt le matin. Le matou, aussi jaloux qu’une maîtresse, pressentait dans la hâte d’Ambrose l’anguille sous la roche de l’amour. À son retour, il bouderait. « Tire pas la gueule, grosse patate bouillie, je te rapporterai ta friandise préférée… ». Imperméable à la flatterie, Beria, vexé, engageait une folle randonnée, dont il avait le secret, genre bisons dans les plaines du Middle West, virages sur l’aile, stop and go, dérapages, montée-descente de l’escalier du duplex, sans jamais rien casser. « Baisse la tête, t’auras l’air d’un coureur, stupide animal ! » Le WhatsApp d’Ambrose bipa… C’était la Claire. Il lui répondit « Je pars… »
Cap sur le pont d’Austerlitz, Ambrose, en vieux cycliste parisien, évitait les grands axes, il préférait se faufiler par les rues paisibles, loin de la fureur des gros culs motorisés et, depuis la pandémie, les hordes de nouveaux venus au vélo. Ça lui laissait le temps de réfléchir, la convocation d’ADN le laissait perplexe, ce rendez-vous impromptu, rapide, à son bureau, sentait mauvais. Il devait patauger dans une sacré merde, le Garde, pour avoir recours, certes à un vieux complice, mais surtout à un retraité pépère, retiré des affaires, ne manquant pas de thunes. Aux feux, face au chantier de démolition des entrepôts de la gare d’Austerlitz, Ambrose posa le pied à terre, tira son grelot moderne de la poche de sa veste, pianota sur WhatsApp. Besoin de détendre l’atmosphère en rappelant le principe de base de toute collaboration entre eux. « Rappelle-toi l’histoire, qui te faisait gondoler, du conseiller agricole de Messmer à Matignon qui, lors d’une réunion interministérielle d’arbitrage, à propos du statut des baux ruraux, face à une objection de la représentante du Garde des Sceaux qu’elle avait, dans le plus pur style de la Chancellerie, entamée par le Garde, lui rétorqua : le Garde, le Garde-chasse, le Garde-champêtre ? Incident aussi grave que la dépêche d’Ems ou le soufflet du Bey de Tunis ICI qui se solda par un éclat de rire du grand soudard qu’était Messmer et l’indignation de façade de Jean Taittinger. Cerise sur le gâteau, rappelle-toi, les deux belligérants par la suite convolèrent, elle était Corse et lui Bordelais de Caudéran. En filigrane ça résume assez bien notre histoire. »Il cliqua, reprit la route pour stopper à nouveau face à L’institut Médico-Légal. « Retour aux vieilles méthodes, les secrets on ne les confie pas même à son oreiller, alors tu fais une croix sur les joujoux électroniques… » Il cliqua, même si WhatsApp était présumé inviolable, Ambrose préférait les procédures du temps de la guerre froide.