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20 mai 2021 4 20 /05 /mai /2021 08:00

1969 - Vie et mort de la gare Montparnasse - Paris Unplugged

À mon retour à Nantes, avec l'argent de Jean, mon dû, une poignée de billets fripés – si je l'avais écouté il m'aurait donné tout le liquide du coffre – je louais une chambre, pour une semaine, dans un hôtel miteux du quai de la Fosse. La patronne, déjà intriguée par ma dégaine de mal rasé et mon étrange balluchon, me regardait d'un drôle d'air quand j'insistai pour payer d'avance en petites coupures. Pour l'amadouer je lui souriais. Ma tronche de chien battu devait la rassurer. Elle me tendait une fiche de police que je remplissais. Son parfum de pacotille, mêlé au suif de sa peau, épandait des remugles fades. Elle me donnait une grosse clé pendue à une étoile de bronze « la 18 est au premier gauche... » L'escalier recouvert d'un tapis élimé grimpait sec. Les immeubles du quai, étroits et de guingois, empilaient des pièces hautes de plafond. Ma chambre, qui donnait sur une cour intérieure, n'échappait pas à la règle. Je tirais les doubles rideaux jaune pisseux. La lumière les traversait sans peine tant ils étaient élimés. Je m'allongeais tout habillé sur le lit recouvert d'un dessus de lit d'un blanc douteux. Le plâtre du plafond, bouffé par le salpêtre, partait par larges plaques en lambeaux. Je pleurais. Je pleurais doucement, en silence, les yeux rivés sur un petit tableau aux couleurs défraîchies.

 

Ambrose est venu me rejoindre, nous avons décidé de monter à Paris le dimanche soir, un train, bourré de bidasses remontant vers l'est, empestait la chaussette sale, le tabac froid et la pisse rance. Les départs, dans mes rêves d'enfant, revêtaient des allures princières, bagages en cuir patiné convoyés par des porteurs en blouses, uniformes impeccables des hommes de la Compagnie des Wagons-Lits, voyageurs empressés, grappes de ceux qui resteraient à quai, à mon bras une femme mariée que je venais d'enlever aux rets de son sinistre époux, visage caché sous une voilette, des nappes bleutées de vapeur enveloppaient la locomotive, le compartiment du sleeping en partance pour l'Orient, avec ses parures en loupe d'orme, allait abriter mes amours clandestins. Ce soir, dans l'inconfort de ce train de nuit ordinaire, à vingt ans, je prenais pleine conscience que je m'enfonçais dans une vie ordinaire où le tous les jours ne m'apporterait qu'ennui, tristesse et chagrin. Ma belle vie, mon bel avenir, tout ce bel édifice que j'abandonnais sans regret, ma famille, mon pays, mes amis, Marie, je les enfouissais tel un magot désormais inutile. Mémé Marie disait de moi que j'étais un garçon délicat. Pour elle c'était un compliment. Moi je savais bien que c'était mon tendon d'Achille. Il me fallait forcer ma nature, me rendre insensible au regard des autres, n'être qu'un gris parmi la cohorte des gris.

 

Montparnasse, le terminus, la vieille gare de l'Ouest, sentait le sapin. Elle vivait ses derniers jours car bientôt les promoteurs et les bétonneurs allaient l'araser, l'enfouir, damer son empreinte pour couler le socle du plus haut phallus pompidolien, la Tour, bite d'amarrage plantée loin des effluves de l'Atlantique, totem des ambitions pharaoniques des nouveaux friqués, doigt d'honneur pointé au flux de bagnoles craché par la future pénétrante Vercingétorix. Tout devenait possible, les vannes s'ouvraient, le fric dégoulinait, on jetait un tablier de bitume sur les quais de la Rive droite, on charcutait le futur Chinatown, on excavait le ventre de Paris, on décidait d'édifier Beaubourg, les derniers feux des années dites Glorieuses rougeoyaient. Qui aujourd'hui se souvient de Christian de la Malène, de la Garantie Foncière, du Patrimoine Foncier, de Gabriel Aranda, de Robert Boulin, des petits et gros aigrefins, des prête-noms, des stipendiés, des corrupteurs et des corrompus, des fortunes météoriques, de cette cohorte de personnages troubles dont on aurait cru qu'ils sortaient d'un film de Claude Sautet ?

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