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21 mai 2021 5 21 /05 /mai /2021 08:00

L7 - Rame Sprague entrant en Station

Notre arrivée gare Montparnasse me reconnectait violemment avec Paris, cette pute fardée, soupe au lait, délurée et populacière, dangereuse, que la grande écrémeuse immobilière, tournant à plein régime, vidait de son petit peuple et des nouveaux venus. Cap au nord, toujours plus loin dans les champs de betteraves, empilés. Montparnasse où nous échouions ne serait plus bientôt le bassin déversoir des crottés de l'Ouest, filles et garçons, émigrés de l'intérieur, bonniches et manœuvres, rien que des bras. Les cafés du bord des gares, même au petit matin, puent la sueur des voyageurs en transit. Ils sont crasseux de trop servir. Les garçons douteux. Les sandwiches mous. La bière tiède et les cafés amers. Dans le nôtre, les croissants rassis et le lait aigre, allaient bien aux ongles noirs et aux cheveux gras du serveur et les effluves froides et graillonneuses de croque-monsieur rehaussaient le charme gaulois du patron : bedaine sur ceinture et moustache balai de chiottes. Depuis l'instant où j'avais posé le pied sur le quai je distillais un coaltar léger. Tout ce gris, ce sale, cette laideur incrustée, loin de m'agresser, m'enrobaient d'un cocon protecteur. Ma bogue se refermait et j'appréciais. Dans ce décor, seule mon Ambrose échappait au désastre. Indifférent à mon mutisme il me couvait. S'imposait comme le seul ancrage à ma molle dérive. Je me ressentais fœtus, ça m'allait bien.

 

Quand nous nous sommes enfournés dans la bouche du métro, la glue poisseuse des mal-éveillés giclant de toute part nous a dégluti, absorbé, digéré. Des fourmis aveugles, programmées, progressaient en files denses, se croisaient sans se voir. Portés par elles, dissous puis coagulés, étrons parmi les étrons, nous prenions place dans le troupeau. Ce grouillement souterrain, malodorant, informe, chaîne de résignés, de regards vides, bizarrement me rassurait. La quête têtue et empressée du bétail à se fondre, à n'être qu'anonyme, correspondait bien à mes aspirations du moment. Je collais aux basques d’Ambrose, armoire à glaces, il progressait, tel une barge de débarquement, au droit, fendant la foule. Notre absence de mots, mon silence obstiné pour être honnête, lui laissait l'entière initiative. Ambrose s'en fichait, me portait, ne laissait rien au hasard. Au débouché d'un couloir en coude nous nous retrouvions compressés tout contre les battants d'un portillon métallique. Dans mon dos le cheptel renâclait. Je m'arc-boutais.

 

Le portillon s’ouvrit, nous nous essaimèrent sur le quai. Brève attente, la face plate de la rame Sprague débouchait du tunnel et, comme nous étions en tête de ligne elle venait s'immobiliser dans un crissement aigu de freins à notre hauteur. La rame dégueulait ses encagés sous les regards impatients de ceux qui allaient les remplacer. Le chef de train, un long voûté, dominait la masse, et sa tronche renfrognée sous sa casquette ridicule ressemblait à un bouchon ballotté par la houle. Ambrose me tirait par la manche, s'encoignait près de la porte. Tout près de nous, les corps cherchaient des espaces, des mains agrippaient les hampes centrales, sans un mot, têtes baissées, les moutons trouvaient leur place dans la bétaillère. Le signal sonore couinait. Les loquets des portes claquaient. La rame s'ébranlait. Mon allergie pour le métro naissait.

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commentaires

P
Il y a des gens installés dans la vie comme dans un train de nuit observait Gilbert Cesbron
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