« On croyait avoir Papy Biden, on a le Popeye de la relance budgétaire »
Alain Frachon éditorialiste au « Monde » chronique publié le 18 mars 2021
On le disait fatigué, l’allure faiblarde, manquant d’énergie. En un mot : trop vieux ! Repêché miraculeux des primaires démocrates, il n’aurait gagné la Maison Blanche que par la grâce du vote anti Donald Trump. En somme, il ne fallait pas attendre grand-chose de ce centriste bientôt octogénaire, incarnation élégante – costumes cintrés à l’italienne – d’un establishment honni dans le pays. Quelle erreur !
L’hebdomadaire The Economist dit cette semaine que l’Amérique de Joe Biden est en passe « de défier le pessimisme ambiant ». On salue un plan de sauvetage économique post-Covid-19 – 1 900 milliards de dollars publics (environ 1 600 milliards d’euros) – de proportion gargantuesque. On croyait avoir Papy Biden, on a le Popeye de la relance budgétaire. Un risque-tout. Un président qui marque une rupture : le retour massif de l’Etat dans la conduite de l’économie. Roi de l’endettement public, fossoyeur d’une époque marquée par la crainte obsessionnelle du retour de l’inflation, Biden, selon The Economist, tente « une expérience sans parallèle depuis la seconde guerre mondiale ». Risquée.
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Joe Biden est en passe d’accomplir une révolution économique aux Etats-Unis »
CHRONIQUE
Arnaud Leparmentier New York, correspondant
Publié le 30 mars 2021
Ni le Wall Street Journal ni le New York Times n’ont consacré de reportage à la visite du sénateur progressiste du Vermont Bernie Sanders en soutien aux salariés d’Amazon qui cherchent à syndiquer un entrepôt de 5 600 personnes en Alabama. Non que l’enjeu ne soit décisif, mais la partie est sans doute jouée – le vote avait lieu par correspondance jusqu’au 30 mars. Et Bernie Sanders a eu droit à des tweets rageurs d’Amazon : « Il y a une grande différence entre la parole et l’action. Le sénateur Sanders est un responsable politique puissant au Vermont depuis trente ans et le salaire minimum y est toujours de 11,75 dollars [10 euros]. Amazon offre 15 dollars, plus d’excellents soins de santé dès le premier jour. Sanders préfère parler en Alabama plutôt que d’agir dans le Vermont. »
Amazon se trompe (volontairement) de cible : celui qui a agi quand il le fallait, le vrai « révolutionnaire », c’est Joe Biden. Dès le 28 février, dans une allocution vidéo exceptionnelle, le président démocrate a mis en garde l’entreprise de Jeff Bezos, sans la citer toutefois, appelant au respect du droit des salariés à se syndiquer ou non. On pourrait dire que l’affaire est du passé, qu’Amazon a réalisé, avec son salaire à 15 dollars, ce que Joe Biden n’a pas été capable d’imposer au Congrès ces dernières semaines. Ce serait une erreur.
Amazon est la « Bastille » de Biden, peu importe qu’elle soit à moitié vide. Sa prise, cette semaine, créerait une dynamique politique décisive. Car il ne faut pas s’y tromper, Joe Biden est en passe d’accomplir une révolution économique aux Etats-Unis. Après avoir fait voter un plan de relance pharaonique de 1 900 milliards de dollars, il va proposer, mercredi 31 mars à Pittsburgh (Pennsylvanie), un plan de grands travaux tout aussi pharaoniques. Les démocrates ne bruissent que de hausses d’impôts, même si Joe Biden a promis dans sa campagne de n’augmenter que la taxation des revenus supérieurs à 400 000 dollars par an.
Plus Johnson que Roosevelt
Depuis le début, les commentateurs notent que les équipes Biden sont composées uniquement de centristes. C’est vrai. Nulle place n’a été faite aux Bernie Sanders, Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts, ou Alexandria Ocasio-Cortez, égérie de la gauche au Congrès venue du Bronx. La seule candidate du président retoquée par le Congrès a été Neera Tanden, qui avait publié des tweets anti-Républicains et présidé un club de réflexion progressiste. Mais tout cela n’empêche pas Biden d’organiser une révolution aux Etats-Unis.
Le président aime à se comparer à son prédécesseur Franklin Delano Roosevelt (1933-1945), père du New Deal, promoteur de la fixation des salaires en période de dépression et resté dans l’histoire comme artisan de grands travaux. Qu’il soit permis de réfuter cette dangereuse comparaison. L’économie américaine, qui rebondit très fortement avec la généralisation du vaccin contre le Covid-19, est saine. Les grands travaux d’infrastructures ne sont pas des investissements destinés à préparer le futur. Ils s’apparentent plus à de coûteuses réparations, qu’il faut faire, mais ils n’ont rien de très high-tech. Joe Biden dit lui-même qu’en raison du réchauffement climatique, il va falloir surélever ponts et routes d’un mètre. La préparation du monde de demain est quant à elle faite, avec succès, par les géants de la technologie américaine.
La comparaison la plus juste est celle qui vaut avec le président Lyndon Johnson (1963-1969), le vrai réformateur de l’Amérique, à la différence de Kennedy qui fut avant tout une icône. Les Etats-Unis souffrent de pauvreté, d’inégalités et de discriminations criantes. Ce sont ces sujets qu’il convient de traiter. Au début de son mandat, Joe Biden a décrit un tableau apocalyptique de l’Amérique dont il héritait, digne de la Grande Dépression. Cette vision, électoraliste, était fausse. M. Biden a commencé à la corriger et c’est tant mieux. Les fondamentaux économiques des Etats-Unis sont bons. Le pays vit une crise digne des années 1960 plus que des années 1930. C’est cela qui doit être corrigé. La révolution Roosevelt, non, la réforme Johnson, oui.
Arnaud Leparmentier(New York, correspondant)
Ce qu’il faut retenir du premier discours de Joe Biden devant le Congrès américain
Près de 100 jours après avoir succédé à Donald Trump, le président américain a déclaré, mercredi, dans son premier discours devant le Congrès qu’il avait restauré la foi des Américains dans la démocratie et que le plan de vaccination mis en place était « l’un des plus grands succès logistiques » de l’histoire du pays.
Alors qu’il passera le cap de ses 100 premiers jours à la Maison Blanche jeudi, Joe Biden s’est adressé mercredi devant le Congrès américain pour la première fois depuis son élection. Le locataire de la Maison Blanche a décliné son « Projet pour les familles américaines », d’un montant total de près de 2 000 milliards de dollars, qu’il entend financer par des hausses d’impôts.
Il a décrit un « pays en crise » à son arrivée au pouvoir : crise sanitaire et économique mais aussi l’assaut contre le Capitole du 6 janvier par des partisans de Donald Trump, « la pire attaque contre notre démocratie depuis la guerre de Sécession ». Mais il a aussi souligné le chemin parcouru.
« L’Amérique va de nouveau de l’avant »
« Après 100 jours, je peux le dire au pays : l’Amérique va de nouveau de l’avant », a-t-il lancé. Pour la première fois dans l’Histoire, deux femmes avaient pris place derrière le président, dans le champ des caméras : Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre, et Kamala Harris, devenue en janvier la première femme à accéder à la vice-présidence.
« Il était temps ! », a lancé le président américain, sous des applaudissements nourris, juste avant d’entamer son discours.
Se posant en défenseur de la classe moyenne, Joe Biden a vanté un gigantesque plan d’investissement visant à créer « des millions d’emplois » pour les Américains qui se sentent tenus à l’écart.
Annuler les baisses d’impôts pour les plus riches
« Je sais que certains d’entre vous se demandent si ces emplois sont pour vous. Vous vous sentez abandonnés et oubliés dans une économie qui change rapidement », a déclaré M. Biden, dans une allusion à peine voilée à son prédécesseur Donald Trump qui se posait en champion des « oubliés ».
« Près de 90 % des emplois dans les infrastructures (prévus dans son plan présenté le mois dernier) ne nécessitent pas de diplômes universitaires », a-t-il insisté.
Le plan, qui suscite déjà la colère des républicains, est ambitieux : 1 000 milliards d’investissements, en particulier dans l’éducation, et 800 milliards de réductions d’impôts pour la classe moyenne.
Pour le financer, le démocrate propose d’annuler les baisses d’impôts pour les plus riches votées sous Donald Trump, et d’augmenter les impôts sur les revenus du capital pour les 0,3 % d’Américains les plus fortunés. « Il est temps que les entreprises américaines et que les 1 % d’Américains les plus riches commencent à payer leur juste part », a-t-il martelé.
Avec une promesse martelée sur tous les tons : aucun Américain gagnant moins de 400 000 dollars par an ne verra ses impôts augmenter.
Cette allocution marquait aussi le début d’un âpre combat au Congrès : si son plan de soutien à l’économie de 1 900 milliards de dollars a franchi l’obstacle sans véritable difficulté, les discussions sur ses gigantesques programmes d’investissement dans les infrastructures et l’éducation s’annoncent beaucoup plus houleuses.
Succès logistique du plan de vaccination
À la tribune, le président démocrate a estimé que le plan de vaccination mis en place aux États-Unis contre le Covid-19 était « l’un des plus grands succès logistiques » de l’histoire du pays.
Plus de 96 millions de personnes, soit près de 30 % de la population, sont considérées comme totalement vaccinées. Et, dans une décision chargée en symboles, les autorités sanitaires ont annoncé mardi que les Américains ayant reçu les piqûres salvatrices n’avaient désormais plus besoin de porter de masque en extérieur, sauf au milieu d’une foule.
Revenant sur un autre sujet de société brûlant, le président a appelé le Sénat à adopter dès mai un vaste projet de réforme de la police, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de l’Afro-Américain George Floyd, sous le genou d’un policier blanc
Pas « l’escalade » avec la Russie
Sur le front diplomatique, Joe Biden a martelé sa fermeté vis-à-vis de Pékin et de Moscou. Il a souligné qu’il ne cherchait pas « l’escalade » avec la Russie, tout en insistant sur le fait que Moscou devrait répondre de ses actes. Assurant ne pas « chercher le conflit avec la Chine », il a insisté sur le fait qu’il était « prêt à défendre les intérêts américains dans tous les domaines ».
Le sénateur républicain Ted Cruz a dénoncé la « vision socialiste » du président démocrate. Et offert en résumé en trois mots du discours présidentiel : « Ennuyeux mais radical ».
Si le discours présidentiel sur la colline du Capitole est un rituel qui rythme la vie politique américaine, celui de cette année s’est déroulé dans une atmosphère singulière, Covid-19 oblige.
Pas de « designated survivor » cette année
Seules quelque 200 personnes, contre plus de 1 600 habituellement, se sont retrouvées dans la prestigieuse enceinte de la Chambre des représentants pour y assister. Et les élus ont été priés cette année de présenter une liste d’invités « virtuels ».
John Roberts était le seul juge de la Cour suprême présent. Le chef de la diplomatie, Antony Blinken, et le chef du Pentagone, Lloyd Austin, étaient également sur place mais le reste du gouvernement a regardé le discours à la télévision.
Autre rupture avec la tradition : il n’a pas été nécessaire cette année de choisir un « designated survivor », un membre du gouvernement désigné chaque année pour ne pas assister au discours et qui reste dans un endroit tenu secret afin d’être en mesure de prendre les rênes du pouvoir en cas d’attaque visant le bâtiment.
« Je n’ai jamais été aussi confiant et optimiste pour l’Amérique », a conclu le 46e président de l’histoire, à l’issue d’un discours d’un peu plus d’une heure.
L’atmosphère était nettement moins tendue que lors de la dernière intervention de Donald Trump dans cette enceinte, en février 2020. Avant le discours, il avait ostensiblement évité de serrer la main que lui tendait Nancy Pelosi. Une fois l’allocution terminée, cette dernière avait déchiré sa copie du discours d’un geste théâtral.