À peine Ambrose avait-il enfourché son lourd destrier noir, shooté à l’électricité, le destrier bien sûr, que sur son cœur le grelot à la pomme entamée fut pris de folie. Des rafales de messages sur WhatsApp, dont la substantifique moelle tenait dans un avertissement et une injonction : « Ne crois surtout pas que tu vas t’en tirer comme ça…Viens dîner à la maison ce soir ! » Il sauta le pont d’Austerlitz, mis pied à terre face à la grande grille du Jardin des Plantes, « Ok, la belle, j’en profiterai pour te demander en mariage… » Un lourd silence radio s’ensuivit. Rue de la Glacière, Ambrose fit quelques emplettes au Biocoop, dont la friandise en boîte pour Beria, sa seigneurie raffolait du bio, encore un bobo !
À propos de bobo, Ambrose, avec son bel esprit d’escalier, se marrait dans sa petite Ford d’intérieur, ce matin en grignotant ses toasts, un poil charbonneux, embeurrés de beurre doux, il s’était planté en l’achetant, il avait lu que le Parlement espagnol venait d’inclure, dans son code civil, les critères, en cas de divorce, sur lesquels les tribunaux doivent se fonder pour décider à qui confier la garde de l'animal, compte tenu de son bien-être. S'il y a préjudices, seuls les juges pourront décider à quel propriétaire reviendra la garde exclusive de l'animal : il devra déterminer lequel de ses maîtres s'occupe mieux de lui. En complément, le propriétaire légitime, recevra une indemnisation pour préjudice moral. En effet, cette décision « pourra seulement leur être imposé quand il (l'animal) sera compatible avec sa nature et les dispositions destinées à sa protection ». Parmi les animaux de « compagnie » concernés, on retrouve bien évidemment les chats, les chiens, mais aussi les poissons rouges, les tortues et les oiseaux. « Faudra que j’en avise Beria, dont je ne suis pas le propriétaire mais dont j’assure la garde depuis des années… »
Déjeuner, pilon froid de Pintade des Dombes, necci maison, petit plateau de fromage, arrosé d’un savagnin ouillé, café, sieste sur le balcon, mise en condition pour le dîner à haut risque du soir puis pour le rencart, non moins risqué, chez ADN. La seule arme d’Ambrose face à ces périls : l’inertie ! Avoir recours au bréviaire de ce bon Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord « L’inertie est une vertu, l’activité est un vice. Savoir attendre est une habileté en politique ; la patience a fait souvent les grandes positions. On doit être actif quand l’occasion passe ; on peut être paresseux et nonchalant quand on l’attend ». Pour l’amour de sa vie sa position serait claire, sans détour, il se rendait demain à un rendez-vous à la Chancellerie, chez le Garde des Sceaux, Armand Dupont-Nanetti qui l’avait sollicité et il ignorait pourquoi. Stricte vérité qui l’exposait, bien sûr, dès sa sortie du majestueux bureau du Garde – lieu connu de lui au temps où Tonton régnait sur le pays – à une batterie de questions. Reculer pour mieux sauter l’obstacle, il aviserait au vu de la soupe que lui servirait ADN. Le pire n’est jamais sûr, Ambrose en avait vu d’autres, que serra, serra… »