lya Kabakov (b. 1933)
Self-Portrait
1959
Oil paint on canvas
605 x 605 mm
Private collection
© Ilya & Emilia Kabakov
De tous les artistes que j’ai rencontrés, Ilia Kabakov est le seul qui aurait indubitablement survécu quelles que soient les restrictions qu’on lui imposait et qui s’en serait même délecté. Au fil des ans, il était entré dans les bonnes grâces des officiels soviétiques aussi souvent qu’il en était sorti, au point de devoir signer ses illustrations d’un pseudonyme. Pour avoir accès à son atelier, il fallait s’être montré digne de confiance, il fallait connaître quelqu’un et il fallait suivre un garçon armé d’une lampe torche sur un long gymkhana de planches branlantes posées sur des poutres de plusieurs greniers contigus.
Quand enfin on arrivait, on découvrait Kabakov, ermite exubérant et peintre de génie, avec son entourage de femmes et d’admirateurs. Et là, sur la toile, le monde merveilleux de son auto-incarcération, ridiculisée, pardonnée, embellie et rendue universelle par l’œil aimant de son créateur indomptable.
John Le Carré lors de son premier voyage en 1987 dans une URSS qui agonisait grâce Mikhaïl Gorbatchev et que tout le monde le savait sauf la CIA.
Ilya Kabakov (né en 1933 à Dnepropetrovsk, Ukraine, ex-U.R.S.S) partage son temps, depuis les années 1990, entre Moscou et New York. Depuis 1989, il travaille en collaboration avec son épouse Emilia (née en 1945 à Dnepropetrovsk), diplômée en piano classique de la faculté de musique et ayant étudié la littérature espagnole à l’université de Moscou. Diplômé en illustration en 1957, il commence sa carrière en dessinant près de 150 albums pour enfants. Mais dans les années 1970, alors qu'il vit à Moscou dans un appartement communautaire sous le régime soviétique, il commence à rédiger et peindre des albums inspirés par des personnages imaginaires.
Il donne à ses personnages imaginaires un espace à partir des années 1980 lorsqu'il commence à concevoir les intérieurs de ses Dix Personnages (1981-1988), sa première installation d'envergure dans laquelle il utilise des mécanismes littéraires tirés d'ouvrages de Gogol. « Je me vois forcé d'incorporer l'espace environnant dans l'installation. Cela conduit à ce que j'appelle une installation totale. » Kabakov construit alors des pièces d'appartements, des chambres, des cuisines, des ambiances complètes, théâtres d'une vie, entre remémoration et imagination.
L'Union soviétique bruisse alors de changements politiques, mais la vie quotidienne de ses habitants évolue peu. Kabakov s'attache à documenter ce quotidien confiné, en créant des espaces détaillés et spirituellement animés. Il y plonge un spectateur manipulé, et victime quasi consentante venue tenter une expérience empathique. Les installations totales de Kabakov ne sont pas des dioramas, ni même des reconstitution d'endroits réels, mais bien des projections mentales qu'il faut parcourir, dont il faut s'imprégner. Pour cela, l'artiste joue de ressorts dramatiques quasi systématiques comme une lumière glauque, un hermétisme spatial, des atmosphères psychologiques lourdes, elliptiques bien que fournies de détails. Pour lui, l'esprit du lieu est primordial : ses œuvres sont comme des pièges, [...]
Entre turbulence et résilience: l’art en question par Ilya et Emilia Kabakov ICI
Quel sens donner aujourd’hui à la Russie soviétique et surtout quelle image proposer au moment du centenaire de la Révolution de 1917 ?
Peut-on y accoler les mots nostalgie, utopie, monotonie, avant-garde, censure ?
Et faut-il y faire référence quand on est un artiste russe qui cherche à s’adresser à un public au-delà de toutes les frontières ?
Né en Ukraine (1933), comme Emilia (1945) qui deviendra sa collaboratrice et son épouse à la fin des années 1980, Ilya a toujours créé (peintures, dessins, installations, textes théoriques) dans un contexte de turbulence idéologique même si le couple réside aujourd’hui au calme à Long Island. Alors que le rouleau compresseur du réalisme socialiste a vite mis au pas l’énergie avant-gardiste révolutionnaire, que l’approche subjective et individualiste ne correspond plus à la culture du prolétariat collectiviste, que la perestroïka et les années Poutine ouvrent un futur qui aura vu s’effondrer de nombreuses utopies (communisme, fascisme, capitalisme), Ilya et Emilia Kabakov ont une grande estime pour l’art comme porteur de culture. Dans un monde où règnent en roi la consommation, l’individualisme et le matérialisme, la question de l’utopie reste pertinente pour contrer la pauvreté spirituelle et trop simpliste qui fait de l’œuvre d’art une commodité de marchandage plutôt qu’une proposition d’élévation. Voilà quelques repères pour entrer dans l’univers des Kabakov et penser l’art entre turbulence et résilience. ICI