Tout a commencé lorsque je me suis retrouvé, pour la première fois, face à une copie d’examen : ce que l’on nommait alors la première partie de bac. C’était l’épreuve de français, grande pourvoyeuse, grâce à son lourd coefficient, d’une note apte à vous faire passer aisément l’obstacle.
La veille de l’examen j’avais dormi comme un loir, nulle angoisse, j’allais enfin affronter un bel obstacle. Il en sera de même lors de l’élimination au laser, de mon syndrome de Kent, à Lariboisière, « non merci, je n’ai besoin de rien pour m’endormir ».
À l’appel, le B de mon patronyme me faisait asseoir dans la salle d’examen parmi les premiers. L’attente qui suivit me laissa le temps de rêvasser, puis vint la distribution des copies et enfin celle des sujets. Mon choix fut rapide. « Si vous aviez à choisir un rôle quelle œuvre choisiriez-vous et, comment l’interpréteriez-vous ? »
Molière !
Le Misanthrope !
3 heures…
Et partir de là me voilà parti à la recherche de ma première phrase, l’entame est essentielle, elle conditionne l’envoi, je passai donc une petite heure à me laisser féconder sans souci de l’horloge.
Et puis, me saisissant de ma plume je me lançais dans la rédaction sans brouillon.
Je n’ai nul souvenir de cette première phrase et, je ne pense pas avoir remis, au bout des trois heures, plus un peu de rab, un chef-d’œuvre. Ce fut un accouchement sans douleur. Mon interprétation du Misanthrope plu aux correcteurs, ils me notèrent grassement.
Pour l’épreuve de philo, l’année suivante, plus encore dotée en coefficient, « Pourquoi les animaux ne parlent-ils pas ?», 4 heures, je suivis le même chemin. Les correcteurs furent généreux à l’endroit d’un gamin dont le bagage philosophique tenait dans une petite musette.
Par la suite, propulsé « plume à discours de Ministre » il en fut encore ainsi : il me fallait affronter l’absolue nécessité de rendre ma copie en temps et en heure tout en la rédigeant au tout dernier moment.
Aux premières heures de mon blog je rédigeais mes chroniques à l’arrache comme le disent les jeunes d’aujourd’hui.
Pour mon roman, dit du dimanche, même modus operandi.
Je n’écris que sous l’empire de la nécessité.
Le problème c’est que, là où j’en suis arrivé dans ma vie, je n’ai à faire face à aucune impérieuse nécessité si ce n’est, sur mon espace de liberté, de continuer à aligner des phrases, tel un cycliste qui sait que s’il cesse de pédaler il se cassera la gueule.
Pour autant, pourquoi diable me mettrais-je en tête d’affronter les affres de l’écriture d’un roman ? Se lever tôt, mettre sur le métier son ouvrage, affronter ses personnages, souffrir, produire de la bouillie pour chat ou contempler sa page blanche, non merci. Autre obstacle majeur, je lis beaucoup de bons auteurs : c’est le meilleur antidote à la prétention de vouloir accoucher d’un premier roman qui finirait dans la poussière suite au retour des éditeurs en état de saturation dû au Covid 19.
Mais, comme toujours avec moi, il y a un mais, et ce mais c’est que le virus de l’écriture me tombe dessus tel la vérole sur le bas-clergé. C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai pondu ma chronique sur les soi-disant restaurants clandestins. Tout s’est enchaîné à la vitesse d’un TGV et je me suis retrouvé avec un bébé sur les bras.
Qu’allais-je en faire ?
Le confier dans un couffin, tel Moïse, aux eaux noirâtres de la Seine ?
En assumer la paternité, l’élever ?
Pour ne rien vous cacher je ne savais que faire de ce projet de m’exfiltrer de Paris, sans être inquiété par la maréchaussée.
Le vivre et écrire, au jour le jour, le scénario d’un road-movie ? J'aurais sans douté été un bon scénariste.
Ou, rester bien au chaud chez moi et pondre, soyons modeste, une petite nouvelle, sur ce périple ?
Pour meubler ce temps d’incertitude j’ai tenté d’embrouiller le commentateur en chef avec des signes de piste imbitables : la filière blanche, deux extraits de mon fameux roman du dimanche…
J’ai réussi mais, bon prince, je me suis attelé à cette 3e chronique * pour éclairer sa lanterne, technique du lamparo, si je suis capable de trouver une première phrase qui me convienne je conterai mon périple déjà tout tracé dans ma vieille tête fatiguée.
Pour faire genre, je cite en chute Fernando Pessoa« Chacun de nous appareille vers lui-même et fait escale chez les autres.»
L’écriture est un voyage incessant et immobile, elle nécessite la solitude et même l’isolement
*Dans l'émission Historiquement vôtre, Stéphane Bern se penche sur les racines d'une expression du quotidien. Il nous emmène sur les traces de la locution pas très mathématique jamais deux sans trois, qui puise son origine au XIIIe siècle. ICI