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8 mai 2021 6 08 /05 /mai /2021 08:00

 

 

Marie me pressait « Allez, soit pas fier, viens avec moi à l'Ile d'Yeu... » Je haussai les épaules sans répondre. « Alors on ne va pas se voir pendant deux mois ? » Elle tapait là où ça faisait mal. Je me regimbais. « T'en fais pas, je vais me débrouiller. Je t'appelle ce soir... » Aux Sorinières, le pouce levé, je regrettais ce départ précipité. Le stop marchait encore. À la maison on me ne posa pas de questions. Maman trouvait que j'avais maigri. Le clan des femmes s'activa pour me faire festin. Papa, pour la première fois, me parla politique. Notre première proximité. La mémé Marie, qui elle avait tout compris, interrompant son rosaire, me dit «  Elle est doit être jolie cette petite... » En lui montrant une photo de Marie je lui fis remarquer que maintenant j'avais deux Marie dans ma vie. Dans l'après-midi, le docteur Lory vint délivrer l'ordonnance de calmants pour le dos de la tante Valentine. C'était un type froid, avare de mots. Pourtant, ce jour-là, aimable, il me demandait « Tu fais quoi de tes vacances ? » Ma réponse évasive me valut une proposition qui me laissait pantois « Mon cousin, Jean Neveu-Derotrie, brocanteur, cherche, disons un homme à tout faire, pour l'aider. Deux mois à l'Ile d'Yeu ça te dirais ? »

 

Aussi bizarre que ça puisse paraître, moi qui suis né à quelques kilomètres de la mer je n'avais jamais quitté la terre ferme sur un quelconque bateau. L'avion, n'en parlons pas,  en ces années-là voyager était un luxe. À l'embarcadère de Fromentine, face à l'île de Noirmoutier, je découvrais notre navire propret, tout blanc, « la Vendée ». Les marins y embarquaient victuailles et fournitures entassées sur des palettes. Ils chargeaient aussi quelques voitures. Sur la jetée de bois, tout un petit monde de vacanciers, d'îliens, de passagers d'un jour se pressaient. Tout était allé si vite, je n'en revenais pas. Ma croyance dans les fenêtres ouvertes par le hasard se renforçait. Au téléphone avec Marie j'étais resté évasif, lui faire la surprise, aller la cueillir à son arrivée à Port-Joinville serait un vrai bonheur. Pour l'heure je me laissais aller à imaginer l'accueil de celui que je devais assister. D'une manière très étrange nous n'avions eu aucun contact. Au téléphone c'était son père, médecin de l'île, retraité, qui m'avait sondé. Plus exactement, l'homme, policé et courtois, m'expliquait que Jean, son fils, avait besoin d'une sorte de tuteur. Quelqu'un qui tienne les comptes, fasse les courses, la cuisine, assure en gros l'intendance générale du magasin de brocante de la Ferme des 3 Moulins. De prime abord étonné c'est avec un réel enthousiasme que j'avais accepté les conditions proposées.

 

Mon arrivée à Port-Joinville, sous un ciel si bleu, un air tendre et des bouffées de senteurs fortes, restera pour moi l'un des moments forts de ma vie. Jean Neveu-Derotrie était le sosie de Jacques Tati sans l'imperméable. Sa garde-robe se résumait en trois pantalons de tergal gris, deux chemises nylon blanches et une paire de sandales de plastic blanc. Mèche sur les yeux, pipe éteinte au bec, flanqué de son chien, appuyé aux ridelles d'une camionnette C4 il me tendait une main ferme et chaleureuse. L'homme était merveilleusement loufoque, cultivé. Au bar de la marine il me comptait son histoire de rejeton d'une famille où l'on était médecin ou dentiste. Lui s'était fait visiteur médical. Il sillonnait la France en fourgonnette J7 pour placer des matelas anti-escarts dans les hôpitaux et chiner toutes les vieilleries qui lui tombait sous la main. Militant au PSU, pacifiste, son sens des affaires consistaient à savoir acheter. L'argent ne représentait rien pour lui. Un vieux Rouen, une commode Régence ou un homme debout marqueté, ça lui parlait, ça le faisait bander. Capable des pires manœuvres pour acquérir le meuble ou l'objet sur lequel il avait jeté son dévolu il se fichait ensuite pas mal de vendre. Jean n'aimait rien tant que de voir son magasin empli de belles choses. C'était un esthète, un pur esprit, notre accord fut instinctif, immédiat. Sans paroles.

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commentaires

P
Et bien voila, enfin une belle page courte et compréhensible pour la mouche du coche. Elle me fait penser que ma mère, sans jamais en dire plus, nous rappelait souvent qu'avec ses parents, elle passait ses vacances à l'Ile d'Yeu. On n'en a jamais su plus. Peut être que son enfance en générale et ces vacances en particulier n'étaient pas forcément de bons souvenirs..
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