Octobre 17 Patrick Rotman et le dessinateur Benoît Blary
Heureux chroniqueur que je suis d’avoir un fidèle lecteur comme Jean Pierre Glorieux, la preuve par l’écrit.
Suite du titre : Sept années durant cet allemand a travaillé à la ferme renouvelant chaque année l'engagement. Mais la nostalgie, l'envie de revoir le pays font qu'un matin la chambre est vide, « Kurt a filé à la cloche de bois » commenta mon père.
Un gars sympa, généreux qui nous installait le sapin à Noël et émerveillés, nous chantions " Ô Tannenbaum" dans sa langue.
O Tannenbaum, O Tannenbaum,
Wie treu sind deine Blätter.
Du grünst nicht nur zur Sommerzeit,
Nein auch im Winter wenn es schneit.
O Tannenbaum, O Tannenbaum,
Wie grün sind deine Blätter !
Mon beau sapin, roi des forêts
Que j'aime ta verdure !
Quand par l'hiver, bois et guérets
Sont dépouillés de leurs attraits
Mon beau sapin, roi des forêts
Tu gardes ta parure.
Les Sirènes de Berlin
Zone soviétique Berlin 22 février 1953
La foule est canalisée par des barrières métalliques. Fusil à l'épaule, les sentinelles russes font les cent pas. Trois civils en long manteau sombre coiffés d'une chapka contrôlent les passagers débarquant du Paris Francfort Berlin en zone soviétique.
L'horloge là-haut indique 9 heures. Kurt qui a envie d'un café doit d'abord passer au bureau de change, car il a omis de changer ses francs pour des marks hier midi en Gare de l'Est. Au fond de sa poche un ticket de métro troué et la dernière lettre contenant la photo de «sa fiancée» qui ne devrait pas tarder à arriver au rendez-vous, précisément sous cette grosse horloge.
Il tend ses papiers à l'un des trois types qui les garde pour « examen complémentaire ».
- Tu es seul, tu viens de Paris ?
- Oui, enfin à côté ; j'ai rendez-vous juste là-bas avec cette personne …
Kurt sort la photo d'une accorte femme souriante en chemisier clair, cheveux remontés sur la nuque et collier de perles.
- C’est elle, ma fiancée !...
Le type regarde puis amusé, adresse un clin d'œil à l'un de ses collègues qui commente en russe :
- A mais celle- là on la connaît bien, c’est notre petite sirène …! Viens, tu vas nous suivre au bureau d'enregistrement.
Un militaire entrouvre la barrière et les escorte sur la cinquantaine de mètres les séparant du dit bureau. On prie notre voyageur de déposer son bagage. Un comptoir en marbre encombré de sacs et valises ouverts, des femmes allemandes posent des questions et mettent de côté divers objets extraits avec circonspection. Derrière elles, leur chien tenu en laisse, quelques sentinelles vêtues de gris et casquées. Ce nouveau casque de la jeune Armée Populaire rappelle vaguement celui que portait Kurt lors de son séjour en France, avant le sinistre épisode d'Août 1944 vers Chambois en Normandie, là où il s'était rendu, terrassé par la peur et la faim.
La peur, dans cette meule de foin en plein milieu d'un pré où vaches et veaux broutaient sous les pommiers, partant au galop quand surgissaient les Spitfire au ras des haies.
Nuitamment, il avait réussi à chaparder le pantalon, la chemise et le béret suspendus sur un fil dans un jardin proche puis avait roulé en boule cet uniforme vert de gris détesté, au creux d'un fossé.
Après réflexion, il y avait ajouté son Mauser, inutile sans munitions …
Kriegschmutz ! Saloperie de guerre !
Caché au creux de cette meule, il entendait parfaitement les chars américains sur la route proche, les tirs saccadés suivis des cris de ses camarades qui se rendaient, mains sur la tête à des soldats aussi jeunes qu'eux-mêmes.
La nuit, furtif, il se rendait à l'étable, buvait le lait trait dans la gamelle du chien ; au poulailler il trouvait quelques œufs, prestement emportés dans son nid de foin odorant.
Une chouette lançait son cri aigre et dans les moments d'accalmie on percevait le chant des grenouilles venant de la mare proche.
Au matin du 4 ème jour, n’y tenant plus, Kurt traversa l'herbage, ignorant le chien hirsute en quête d'une caresse (ils se connaissaient.)
Sursautant, la fermière avait laissé tomber le seau dans la litière s'exclamant :
-Mais qu'est-ce donc qui vous amène à c't'heure au cul de mes vacques ??
-Krieg Vorbei ….....Maintenant guerre finie …. ! avait-il répondu levant les mains et faisant quelques pas vers la femme.
-Allemand ?? Deutsch Soldat ? demanda -t-elle ?
Elle réfléchit un instant. « Komm ...manger et laver à la maison... ! »
-Gut ….Danke sehr Bien ...Merci beaucoup ….....
Il répondit à son sourire, l’aidant à porter le bidon de lait vers la laiterie proche.
Devant un bol de café au lait, il fit comprendre aux enfants que combattre ne l'intéressait plus et qu'il souhaitait sortir vivant de cet enfer. La fermière appela son aînée et lui tendit un courrier écrit à la hâte :
-Ma Jacotte, vas vite porter ce message au maire...tu passes par derrière et si des américains t'arrêtent, dis leur que je suis malade ...Allez file… !
Berlin 9h30 bureau d'enregistrement.
- Ouvre-moi cette valise ! » Ordonna la femme;
Kurt s’exécute.
-Oh les amies mais regardez-moi ça ! Une épicerie ambulante : chocolat, café, oranges, des crayons Bic et des pelotes de laine. Tu viens de France mon garçon ? Poursuivant sa recherche ... Et pas de Cognac ? Non pas de Cognac !
A ces remarques l'un des gardes s'approche et saisit une orange qu'il mord à même l'écorce provoquant le rire de la femme et de ses collègues. Saisissant ces trésors, elle les dépose dans différentes caisses sur les étagères proches, y ajoutant la paire de chaussures neuves achetées la veille.
Les trois sbires, témoins de la scène signifient à la femme que la fouille doit s'achever. Kurt est conduit dans un bureau, un officier de police allemand le prie de s'asseoir.
Monsieur Kurt Schneider né à Dresden en 1915; vous avez servi en Espagne en 1936 puis en France dès 1943 comme auxiliaire de santé.... Exact ?
-Exact Herr Offizier !
-Avant la guerre que faisais-tu ?
-Tailleur dans un atelier de confection à Dresden
-Propriété d'un Juif je suppose, as-tu des contacts avec ta famille ?
-Non aucun depuis 1944, je servais à Brest en Bretagne
-Oui merci je connais, j’étais dans les sous-marins à Lorient
-As-tu adhéré au Parti National Sozialist ?
-Non jamais, j'étais communiste en 1934. Herr Offizier
-Kamarade Offizier s'il te plaît…!
-En France tu as été fait prisonnier en quelles circonstances et pourquoi reviens-tu 8 ans après la fin de la guerre ??
-Je me suis engagé chez un agriculteur victime de guerre, on m'a bien traité et j'ai renouvelé mon contrat plusieurs fois mais j'avais le mal du pays ...Après avoir reçu les lettres de cette veuve allemande j'ai décidé de rentrer pour fonder une famille et être utile à ma patrie Euh ….Savez-vous si je pourrai bientôt...
-Halt ! Ici c'est moi qui pose les questions …. Compris ?!
Il appelle son assistant que l'on entend taper à la machine dans le bureau voisin, celui-ci entre et lui remet un dossier. L’officier relit en silence, tend un stylo à Kurt : c’est ta déclaration de « Volontaire au Service de la Patrie et des Pays Frères», tu signes là en bas avec mention lu et approuvé. Voici le double à présenter au responsable du camp.
-Messieurs veuillez accompagner le Kamarade Schneider vers sa destination.
Ils repassent sous l'horloge. Kurt ne cherche point la jeune veuve, pure création de la police politique. Ils marchent silencieux le long du transsibérien ; il reste des places dans le wagon de tête aux rideaux tirés.
A chaque extrémité du couloir des gardes parlant russe fument en riant ; sur le quai il sent l'odeur du café vendu par une pauvre femme. Un des hommes à la chapka en commande à la vieille, Kurt offre son paquet de gauloises entamé à la femme, saisit le gobelet de café et monte déposer sa valise dans un compartiment vide.
L'annonce indique que le train partira dans une heure via Poznan et Varsovie pour Moscou,
Novossibirsk ….etc…
Jean Pierre Glorieux