Levé avec le soleil, Ambrose, suivait un rituel immuable, sortir du frigo le beurre salé Beillevaire, presser des oranges, en saison des petites sanguines de Tunisie, rondes, brillantes, affichant la couleur, moudre le café, un arabica d’Éthiopie, mettre en eau frémissante son œuf de poules de Marans, emplir sa Bialetti d’eau de source et du café moulu, la placer sur le plus petit feu, glisser les toasts dans le grille-pain, l’odeur de croûte grillée excitait Beria, il jacassait, se frottait aux jambes nues d’Ambrose, « bouffes tes croquettes, Stupide ! », cette référence hautement littéraire plaisait à Beria qui se vautrait pattes en l’air sur le carrelage, en tomettes de Sienne, de la cuisine – Oui Stupide l’énorme chien à tête d'ours, de John Fante, obsédé et très mal élevé, qui débarqua un soir dans la famille en crise d'Henry J. Molise, auteur quinquagénaire raté et désabusé. Dans leur coquette banlieue californienne de Point Dume, ce monstre attachant s'apprêtait à semer un innommable chaos. La cafetière feulait. Les gestes d’Ambrose, précis, s’enchainait, il dressait son plateau avec soin, le transportait sur la terrasse, ce, été comme hiver.
Ce matin-là, après avoir petit-déjeuner au soleil, alors qu’il se rendait dans la salle de bains, suivit par Beria, son smartphone grelota dans la poche intérieure de son kimono. Il hésita. Rien ne l’indisposait plus que de se voir dérangé pendant son rituel. Il pesta mais décrocha lorsqu’il vit le nom s’afficher sur l’écran : Dupont-Nanetti. Surprise ! Très heureuse surprise, ton enjoué : « Bonjour votre seigneurie, que me vaut l’honneur de cet appel matinal ? » Bougon, Dupont-Nanetti, répliquait « Salut. Viens me voir place Vendôme !»
- Au bar Hemingway du Ritz, pour siffler un Lagavulin, cher ami ? C’est illégal mon poteau…
- Toujours le mot pour rire vieille crapule. À mon bureau !
- Méfies-toi mon Garde je suis, comme Paul Bismuth, sur écoutes…
- Je sais Ambrose puisque c’est moi qui t’y ai placé. 11 heures aujourd’hui…
- Putain, ça doit être vraiment chaud-bouillant, de la lave de l’Etna, rappelle-toi lorsque je te vannais avec mon agenda de Ministre.
- Tu veux que j’envoie mon chauffeur te chercher ?
- Emprunte carbone grand veneur, je ne chevauche plus que mon VAE…
- Ton quoi ?
- Demande à ta collègue, la Barbara qu’a plein de i…
- T’es toujours aussi braque mon Ambrose, c’est pour ça que je t’aime.
- L’amour, l’amour, Te souviens-tu de nos rencontres - Et de cette soirée d’azur, Des mots fiévreux et tendres, Ô mon aimé, ô mon amour…
- Andreï Makine !
- T’es vraiment bon, le meilleur, tu devrais compéter à Questions pour un champion.
- Embrasse Beria, à plus…
Entre, ADN et lui, le lien fort, jamais rompu, d’une vieille et longue histoire tordue ; ADN pour Armand Dupont-Nanetti, Armand étant son deuxième prénom. Ambrose, après avoir laissé un mince fil d’eau couler du robinet du lavabo, afin que Beria puisse licher, rite matinal de l’Ignoble, Ambrose se doucha. Sous le flot dru, cinglant, au lieu de se prendre la tête sur le coup pourri qu’allait sûrement lui vendre ADN, Ambrose, adepte de la sophrologie, qui aide à retrouver la sérénité dans les moments difficiles de la vie : sourit. Laisser ainsi entrer la pensée positive, Retrouver dans sa mémoire des parfums, des sons, des couleurs, des sensations... et surtout des visages heureux. Et toc, l’image de Claire s’imposait. Il sortit si vite de la douche qu’il éclaboussa Beria, furieux celui-ci se carapata indolemment, queue en l’air, en ballotant du cul tel une demi-mondaine vexée. Ambrose, dégoulinant, appela Claire qui, comme d’habitude, ne décrocha pas. Il pianota un message sur WhatsApp : « J’arrive ! »