Gelée noire !
Ce n’est pas un terme météo mais l’illustration très parlante d’une différence d’intensité entre la gelée blanche moins forte et surtout associées à de l’humidité, ce qui donne cette couleur blanche qui est de la rosée gelée ; la gelée noire est équivalente en force à la gelée d’hiver. L’effet d’une gelée noire en plein printemps est dévastateur sur des végétaux en pleine croissance mais encore très fragiles : Elle brûle les supports des futurs fruits, feuilles et tiges qui sont déjà sortis.
Dans mon souvenir, je me rappelle une descente éclair, en 1985, au lendemain d’une gelée noire sur les rives, pourtant réputées pour la douceur de son climat, de la Côte d’Azur, les champs de fleurs carbonisés, les roses des serres froides grillées, mais c’était en janvier et ce n’était que des fleurs me dira-t-on, impressionnant et surtout le désarroi des producteurs face à un tel sinistre.
Le 6 janvier 1985, -11°C à Hyères dans le Var. À Cannes, il fait -12°C le 9.
Au début de ma carrière, petit contractuel au Ministère, avec mon collègue et ami Claude Sauser, avec un petit ordinateur Wang dressé des cartes de l’intensité de la grande sécheresse de 1976 que nos IGREF ignorèrent avec superbe. Ça m’a aussi beaucoup marqué, Chirac légua à Barre un impôt sécheresse, qui alla dans des poches céréalières guère sinistrées. Par la suite, le Fonds des calamités fut mis à contribution de façon quasi-permanente et devint un fonds sans fonds. Il a été plusieurs fois réformé et fonctionne ainsi ICI
Après un épisode extrême de gel, Jean Castex promet « des enveloppes exceptionnelles » pour aider les agriculteurs
Le gel qui a couvert une large partie de la France cette semaine s’annonce comme l’un des pires de ces dernières décennies.
Le Monde avec AFP
Face à un épisode de gel extrêmement difficile qui a touché cette semaine dix des treize régions métropolitaines, le premier ministre, Jean Castex, a promis, samedi 10 avril, « des enveloppes exceptionnelles » pour aider les agriculteurs, annonçant dans l’immédiat le déplafonnement du régime d’indemnisation des calamités agricoles.
Le gouvernement compte également « utiliser tous les moyens dont [il] dispos[e] en pareilles circonstances, notamment par rapport aux charges », pour répondre à cette crise, a ajouté M. Castex après la visite d’une exploitation dans l’Ardèche. Le premier ministre a annoncé qu’il allait à cet effet « réunir les banquiers, les assureurs et l’ensemble des acteurs qui [peuvent] être mobilisés ».
De son côté, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, a fait part dans un tweet de son « soutien plein et entier » aux agriculteurs
La suite ICI
Les mains dans le cambouis mais pas un genou à terre 2019 – Hommage à La Canaille signé Valentin Morel vigneron du Jura
La métaphore « Les mains dans le cambouis mais pas un genou à terre » s’approprie particulièrement au contexte actuel de dérèglement climatique appliqué à la vigne.
Disons-le, « la galère est journalière » pour les vignerons aussi ! Les gels de printemps se répètent et risquent de s’intensifier. En été, les canicules sont plus virulentes allant jusqu’à brûler les vignes. Les raisins, malgré un ensoleillement exceptionnel ne sont pas mûrs puisque la vigne bloque ses mécanismes de maturité pour résister au chaud. Simultanément, le degré de sucre augmente par concentration et desséchement, ce qui entraîne des taux d’alcool plus élevés. Le tout engendrant des vinifications plus complexes.
L’exceptionnel va-t-il devenir la règle ?
Faut-il en rester au curatif étatique, guère adapté à un produit comme le vin car c’est le futur raisin qui est détruit, ou d’hypothétique assurances, fort coûteuses et elles aussi pas à la hauteur ?
Bien sûr que non, en restez-là ne répondra pas aux enjeux présents et futurs, réfléchir, se projeter, mobiliser des fonds importants, investir dans de nouveaux modes de conduite de la vigne, dans son environnement, accepter d’envisager des inflexions pour sortir de la vision purement productiviste, le volume faisant le revenu, et revenir à des pratiques commerciales, le vin est produit stockable qui peut vieillir, qui ne s’en tiennent plus à l’écoulement d’un millésime, rappelons que le secteur du vin d’appellation a distillé massivement en 2020.
S‘en tenir à des rustines, certes nécessaires pour panser, d’ailleurs fort mal, les plaies, c’est condamner à terme toute une frange de viticulteurs, mettre à mal un secteur qui depuis deux décennies vit dans le déni de la réalité de son métier.
Et, la fameuse opinion publique, sur les fameux réseaux sociaux, n’est pas toujours dans l’empathie, on peut le regretter, mais les appels à la tolérance ne changeront rien à l’affaire, pour beaucoup de nos concitoyens le vin n’est pas un produit essentiel.
Je laisse la plume à Catherine :
Le coup de gel, l’indemnisation et l’impunité
Chers tous, que je connais et ne connais pas, vignerons et pas vignerons,
Vous êtes nombreux à avoir manifesté votre compassion ou votre émoi, souvent les deux à la fois, après le coup de froid qui a gelé les espoirs du printemps, tué dans l’œuf les vendanges de l’année.
Il vous a été donné de vivre quasiment en direct la lutte des vignerons contre le gel, et nul n’a pu ignorer les images spectaculaires de milliers de points lumineux dans les nuits d’avril comme un ciel étoilé d’août, tragiquement belles comme peuvent l’être celles des incendies.
Puis, au matin du 8 avril, vous avez appris que le froid, de la Bourgogne à Bordeaux, du Languedoc au Muscadet, a été plus puissant que les vignerons, comme les incendies géants de Californie, d’Australie, du Portugal ont été plus puissants que les pompiers pendant des jours et des semaines, laissant les uns et les autres épuisés, désarmés après des nuits de vain courage. Face aux jeunes rameaux brûlés gelés, les vignerons ont sorti le grand mot, calamité agricole, et l’Etat le grand remède, la reconnaissance, c’est-à-dire l’indemnisation pour perte de récolte.
Ce même jeudi 8 avril, à 13 heures, le philosophe italien Roberto Esposito était l’invité de « La grande table idées » sur France Culture à l’occasion de la parution en français de son livre Immunitas : protection et négation de la vie paru en Italie en 2002. Notons au passage qu’il a fallu attendre presque vingt ans et probablement le Sars-Cov 2 pour qu’il soit traduit et devienne pour nous d’actualité. J’ai posé ma fourchette et vite pris un stylo pour noter : « Communauté et immunité, puisent à la même racine latine, munus, don, devoir. L’Immunité c’est le mot clé de notre époque ». J’ai immédiatement associé les vignes en feu de la nuit précédente à notre quête d’immunité, contre les virus couronnés, le gel et tous les fichus aléas que la vie nous réserve.
En réalité, à bien regarder ces vues aériennes, on peut aussi voir dans la reproduction terrestre d’une nuit d’août étoilée offerte par les milliers de bougies, l’emprise de la monoculture sur le territoire. Depuis plus d’un siècle, la vigne est seule dans ses parcelles, sans arbres ni arbustes, glyphosatée, dénudée d’adventices, sans culture intercalaire, sans cochons ni poules, bientôt sans oiseaux et sans insectes. Elle a mangé et continue à manger des terres qui avaient, ici vocation à cultiver des céréales, là des légumes, ici et là un troupeau. Nous vignerons sommes tout autant prisonniers de la pensée productiviste que les éleveurs ou les céréaliers. Nous sommes tout autant des bourreaux de la monoculture qui mène à mal les défenses immunitaires de la vigne, et en revers, ses victimes amères. Seule l’auréole du vin nous préserve (encore) de l’agribashing.
Dans les baux ruraux, héritage et survivance du Théâtre d’agriculture et ménage des champs d’Olivier de Serre, il est toujours stipulé que le fermier s’engage à conduire la terre « en bon père de famille ». L’expression « mettre tous ses œufs dans le même panier » nous vient d’une vieille prudence paysanne qui, considérant l’aléa comme la règle en agriculture, consiste justement à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Que nous reste-t-il de la gestion « en bon père de famille » ? De la sagesse proverbiale qu’il y a à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ?
Le 28 juin 2019, un coup de chalumeau avait brûlé les vignes du Midi. Le 8 avril 2021 le gel a touché presque tous les vignobles, conséquence pas tant d’un phénomène exceptionnel, que de journées exceptionnellement chaudes et ensoleillées en mars, l’un et l’autre énièmes symptômes du dérèglement climatique à l’oeuvre. Néanmoins, nous continuons à faire comme si nous pouvions tout, bougies, feux de paille, chaufferettes, hélicoptères, aspersion, tours anti-gel, éoliennes, fils électriques chauffants, et comme si nous n’y étions pour rien, implorant l’indemnisation qui est une forme d’impunité.
Hypnotisés par la beauté cruelle des images, pris dans l’étau de l’émotion, nous versons des larmes de crocodile sur ce que nous croyons avoir perdu, mais demeurons aveugles à ce que nous avons réellement perdu. Par exemple, cette scène peinte par Jakob Philipp Hackert que je partage avec vous.
Texte de Valentin Morel publié sut Facebook
Chers clients et amis,
C'est avec le cœur lourd que je m'adresse à vous aujourd'hui pour vous faire part de l’état de mes vignes à la suite des trois nuits où un gel intense (et même de la neige !) s'est abattu cette semaine. Je profite également de ce courriel et de la gravité de cette situation pour vous faire part de mes questionnements au sujet de cette belle plante que nous chérissons tant.
Les dégâts sont considérables, plus graves qu'en 2017 et 2019, et nous avoisinons sans doute un taux de perte aux alentours de 80%.
De toute évidence, ces enchaînements d'intempéries nous questionnent et nous font douter, voire nous découragent parfois. D'un point de vue météorologique, un gel début avril ne semble pas spécialement anormal. Ce qui l'est davantage est plutôt l'anormale douceur de la fin février et un temps estival durant 10 jours fin mars qui ont fait débourrer la vigne bien trop tôt.
D'un point de vue plus viticole, une vision un peu critique me conduit de plus en plus à assimiler notre façon de pratiquer notre viticulture comme ce que les soignants appellent un acharnement thérapeutique. Par une ironie mordante dont seule la vie a le secret, j'ai passé une bonne partie de l'hiver à lire des ouvrages et réfléchir à la question de la « dégénérescence de vitis vinifiera », notre famille de vigne européenne si fragile et que nous nous évertuons à faire pousser malgré tous les signes de faiblesse qu'elle nous renvoie. Ce débat anime en effet un certain nombre de vignerons et de chercheurs. Finalement, par une action bassement revancharde, pour adopter un point de vue anthropomorphique décalé et, certes, absurde, cette vigne, en milieu de printemps, nous fait comprendre que "nous n'avions qu'à pas" penser qu'elle était dégénérée et se sacrifie face à une vague de froid venue de l'arctique ! Singulier retour de bâton…
Plus sérieusement, notre conduite de la vigne interroge et il suffit de remonter au mitan du XIXe siècle pour s'en rendre compte, époque où l'oïdium est identifié en Europe. Depuis lors, ce champignon dévastateur ne sera combattu qu'au prix de nombreux traitements à base de soufre. Petit bonus de notre époque, l’oïdium semble être de plus en plus virulent ces dernières années caniculaires. Deuxième petit bonus pour nos confrères conventionnels, l'oïdium réussit régulièrement à contourner les nouveaux produits de synthèse de lutte chimique forçant ces confrères à revenir à la bonne vieille lutte biologique au soufre !
Ensuite, l'arrivée du phylloxera nous conduit à greffer nos vitis vinifera sur porte greffes américains. Pratique totalement contre-nature mais cruellement nécessaire dont nous ne sommes jamais sortis et qui nous cause de nouveaux ennuis : Fin de la plantation par bouturage surplace, au début greffage de qualité par les vignerons puis industrialisation des pépinières : sélection clonale, traitement à l'eau chaude, greffage, forçage, plantation en pépinières, arrachage, passage en chambre froide, replantation à la vigne... Malgré tous les points de vigilance, les virus se développent tout de même et aujourd'hui la flavescence dorée est une épée de Damoclès planant au-dessus des vignobles.
Je passe sur l'arrivée du mildiou, le manque de renouvellement génétique lié à la reproduction par la seule voie végétative, la plantation à 6000 pieds/ ha (voire 12 000 ) d’une plante qui s'épanouissait en poussant sur des arbres dans des forêts alluviales (biotope primaire de vitisvinifera) etc. Malgré tout, et parce que nous aimons tout de même boire du vin, il nous faut encore et toujours nous adapter et chercher de nouvelles pistes. Et de mon point de vue, feu de paille, bougies, hélicoptères, tour antigel, autant de pratiques que je respecte mais qui s’apparentent à un énième acharnement thérapeutique, ne peuvent constituer la panacée. Comme certains d'entre vous le savent, les variétés résistantes ou dites interspécifiques (inexactement appelées hybrides) soulèvent chez moi de nombreux espoirs en même temps qu’elles charrient aussi des questionnements. Outre qu'elles résistent aux principaux champignons (ne nécessitant donc aucun traitement) et virus qui frappent vitis vinifera, les variétés interspécifiques ont aussi l'atout majeur de résister au gel. Plus précisément, elles ne résistent pas au gel car elles gèlent comme vitis vinifera. En revanche, lors de la repousse après un gel, elles sont capables de refaire des fruits, ce dont n'est pas capable vitis vinifera. M'interrogeant sur ces cépages avec quelques confrères, j'ai réalisé récemment à quel point ceux-ci étaient controversés. Étrangement, ils parviennent à unir contre eux du vigneron productiviste le plus conservateur au vigneron biodynamiste pionnier le plus pointu de son domaine. Le productiviste leur reprochant l’atteinte au terroir et aux AOC, et le biodynamiste dénonçant des tripatouillages génétiques (pourtant totalement naturels puisqu’issus de croisement sexuels et non pas de manipulation génétique de type OGM) et le sang américain de cette vigne venue de l’ouest et produisant des breuvages qui ne seraient jamais de grands vins de terroir…
Au-delà de ces deux visions caricaturales, se trouvent de nombreux collègues et clients dont vous êtes, curieux et intéressés par cette question. Ces variétés résistantes ont représenté en France des proportions considérables de notre vignoble entre les deux guerres mondiales avant d’être abandonnées. Sans doute que les vins n’étaient pas à la hauteur de ce que pouvait permettre la qualité de ces cépages probablement en raison de la sous maturité mais aussi des mauvaises conditions de vinification de l’époque. Deux problèmes aujourd’hui résolus et qui nous incite à penser qu’il est grand temps de réaccorder à ces variétés, injustement mises sur la touche, la place qu’elles ont eue et qu’elles méritent.
Il me paraît important de ne pas reproduire à l’envers la même erreur qu’il y a 80 ans où l’on a imposé l’arrachage des variétés interspécifiques. Ainsi, il serait absurde de se débarrasser définitivement de vitis vinifera, et tous les essais de régénération, de sélection massale, de différentes façons de greffer etc. doivent être précieusement poursuivis et encouragés. Mais, parallèlement, si nous avions tous 25 % d’interspécifiques dans nos parcellaires, cela constituerait une assurance gel/mildiou/oïdium non négligeable. Puis, lors des belles années viticoles, elles offriraient un vin d’entrée de gamme populaire écologique et sain.
En outre, la perspective d’une vigne qui ne serait pas « phytodépendante» et, ne nécessiterait absolument aucun traitement, ne peut nous laisser indifférent à une époque où l’on parle tant d’agro écologie et où notre pays demeure l’un des plus gros consommateurs de pesticides.
Je sais que la situation est difficile pour nombre d’entre vous en raison du contexte sanitaire et que je vous adresse également tout mon courage et toutes mes pensées chaleureuses.
Vivement que reviennent les jours heureux où nous pourrons nous revoir et déguster de bons vins, même issus de vignes « dégénérées » !
Chaleureusement,
Une société du tout-immunisé est-elle souhaitable ? ICI
Se protéger oui, mais à quel prix? Le philosophe italien Roberto Esposito est notre invité à l'occasion de la parution de "Immunitas : protection et négation de la vie" (Seuil, 2021), traduction d'un de ses ouvrages paru en 2002, où il se penche sur le lien entre "communauté" et "immunité".