Parmi les Appellations Originales Contrôlées du Rugby, il y a sans hésitation celle de « coupeur de citrons »
Pendant longtemps, à la mi-temps des matchs les joueurs recevaient un quartier de citron pour retrouver leurs esprits et se donner un coup de fouet. Il y avait alors un « porte-citron » dévoué à la découpe et à la distribution. On prenait en général un bon copain à qui on faisait gentiment comprendre que ses aptitudes physiques n’étaient pas compatibles avec la pratique du rugby. Mais s’il le voulait, place lui était réservée sur le banc.
Je n’ai jamais joué au rugby, les citronniers ne poussent pas en Vendée, mais dans le cadre de mon droit à la paresse j’ai décidé d’occuper le poste de « porte-citron » pour le compte d’Alexis Ferenczi.
Plus un zeste : quand les agrumes valaient de l'or
Véritables « joyaux du monde végétal », citrons, oranges et mandarines ont longtemps été convoités par les rois, les nobles et les bourgeois.
Par Alexis Ferenczi
« Quand la vie vous donne des citrons, faites de la citronnade ».
Ce vieil adage stoïcien, qui aurait été utilisé pour la première fois en 1915 par Elbert Green Hubbard dans sa nécrologie de l’acteur de petite taille Marshall Pinckney Wilde puis repris par les fans d’Ayn Rand, n’est valable que depuis deux siècles. Avant, si la vie vous donnait des citrons, c’était uniquement parce que vous étiez membre d’une caste de privilégiés ou botaniste à la cour du roi.
Les agrumes sont longtemps restés inaccessibles au commun des mortels – ceux qui n’habitaient pas dans les zones chaudes et humides d’Asie où l’on suppose que les fruits de la famille des citrus sont nés il y a 5 à 6 millions d’années. En Occident, on découvre l’orange, le cédrat ou la mandarine en même temps que s’établissent les premières routes commerciales vers l’Orient. À cause de leur rareté et du coût élevé de leur transport, ces fruits sont d’abord réservés à une élite. Ils deviennent de fait un symbole de luxe et de pouvoir.
C’est pour recenser toutes les variétés connues à son époque – et pour le prestige – que le botaniste allemand Johann Christoph Volkamer publie entre 1708 et 1714 une somme sur les agrumes intitulée Nurenberg Hesperides, descriptions complètes du noble citron, lime et orange amère. Comment, ici et dans les environs, planter correctement, maintenir, et produire ces fruits, ouvrage titanesque composé de gravures représentant les fruits grandeur nature.
Volkamer sait que les nobles d’Europe vouent un véritable culte aux agrumes. Certains ont même développé une passion qui frise la syllogomanie, rivalisant d’ingéniosité pour dénicher le fruit le plus gros ou le plus bizarre, sans se soucier des dépenses. Cette fascination va de pair avec la prise de conscience de la valeur des jardins. Dès le début du XVIe siècle, on sait comment planter certains fruits exotiques pour qu’ils surmontent les rigoureux hivers du nord. C’est Pacello Mazzarotta, le jardinier italien du roi Charles VIII, qui a l’idée de la « culture en caisse » permettant aux premières oranges de France d’être abritées du froid à l’intérieur d’un bâtiment.
Toujours de ce côté du Rhin, le naturaliste Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765) dédie lui aussi plusieurs chapitres de La théorie et la pratique du jardinage aux seuls agrumes : « L’on distingue plusieurs sortes, comme le Citronnier ou Balotin, le Limier ou Limonier, le Bigaradier, le Cédrat, le Riche-dépouille, le Poncyre, le Pommier d’Adam, la Bergamote, l’Oranger de Chine. Leurs différences sont peu considérables : elles ne consistent qu’en ce que les uns font des arbres de tige, et les autres des nains ou buissons, ou parce que le fruit des uns est doux et celui des autres plus aigre : ils conservent tous leur beau feuillage. »
La suite ICI avec une superbe iconographie tirée de The Book of Citrus Fruits, J.C. Volkamer, 125 euros, publiée chez TASCHEN
An early-modern ode to citrus fruit – in pictures ICI