Au temps d’Hubert dig, ding, dong, dans ma première chronique sur son livre Vino Business, j’ai qualifié Isabelle de gourgandine.
Aujourd’hui, c’est pétroleuse.
Les pétroleuses est le nom données aux femmes accusées d’avoir employé du pétrole pour allumer des incendies, en 1871, lors de l’écrasement de la Commune de Paris par les Versaillais. On affubla de ce terme, particulièrement après l’incendie de l’Hôtel de ville de Paris, les femmes qui avaient pris part aux combats armés, faisant d’elles les boucs émissaires du vandalisme survenu pendant la Semaine sanglante.
Isabelle met le feu, c’est incontestable et, comme je suis une vieille canaille, la référence à l’Hôtel de Ville est une petite pique à ce qu’écrit Albert Mestre sur « ses choix déroutants entre deux listes) lors des municipales de 2020 à Paris » de Gaspard Gantzer à Cédric Villani…
Comme je suis allergique à ce que les vieux dénommaient de mon temps l’étrange lucarne ICI, je ne suis pas ses boutades aux Grandes Gueules sur Radio Monte Carlo (pour Pax : non, je n’ai vu monter personne), parfois j’en glane une sur Twitter.
Mais je suis un abonné du Monde et, bien sûr, je suis tombé sur ce gros titre :
Un apéro avec Isabelle Saporta : « A gauche, je me sens de droite. A droite, je me sens d’extrême gauche » ICI
La chroniqueuse des « Grandes Gueules » et éditrice chez Fayard se revendique « poujado de gauche ».
Par Abel Mestre
Publié le 06 mars 2021
Qu’allais-je faire ?
J’ai réuni dare-dare une conférence de rédaction avec moi-même d’où il est ressorti :
- Le titre de la chronique
- Une interrogation le chablis de l’apéro était-il un chablis naturiste du style de la cave des Papilles qui est à deux pas de chez Isabelle ?
- Du jamais vu depuis Mai 68. L'occupation du grand amphi, commencée lundi soir avec une centaine d'étudiants, s'est poursuivie la nuit suivante puis mardi toute la journée. La grève générale était finalement votée hier soir à main levée par 1.000 étudiants environ. A l'entrée, le nom de l'amphi, Boutmy, est remplacé par Farinelli, le castrat auquel «on a coupé les bourses». ICI
- La décision au nom du côté « poujado de gauche » d’Isabelle de s’asseoir sur le copyright et de publier l’intégralité de l’article. Les tribunaux, Isabelle et moi, nous connaissons.
Isabelle Saporta dans son bureau des éditions Fayard, à Paris, le 11 février.
Lorsque l’on a proposé à Isabelle Saporta de prendre l’apéro avec nous, il y eut comme une hésitation. La nouvelle directrice littéraire de Fayard respecte scrupuleusement les règles pour contrer la pandémie de Covid-19 : « Mais à quelle heure ça se fera ? On a le droit de le faire après le couvre-feu ? » Il a fallu insister un peu, expliquer que les exceptions étaient possibles, attestation de l’employeur à l’appui. Rendez-vous est donc pris cinq jours plus tard, dans les locaux de la maison d’édition, dans le quartier Notre-Dame-des-Champs, en plein 6e arrondissement de Paris. L’ambiance est détendue : chablis et petits biscuits salés que l’on suppose bio : « C’est réveillon, ce soir ! Je finis tous les jours à 18 heures, normalement. »
Impossible d’entrer immédiatement dans le joli bureau tout en longueur, encombré – évidemment – de livres, mais surtout doté d’une petite terrasse : la séance photo n’était pas terminée. Pour cela aussi, Mme Saporta avait besoin d’être rassurée : non, elle n’aurait pas un tuyau d’arrosage entre les mains, comme dans son portrait paru dans Libération. Non, elle n’aurait pas une pose martiale devant des plantes, comme souvent lorsqu’il s’agit de photographier des écolos. « Il y aura juste un verre de vin », lui a-t-on tout de même reprécisé. Pas de problème.
Dans l’ombre
« Je suis encore une sans-bureau-fixe, mais je nous ai installés ici, il y a de la place », lance-t-elle avant de s’asseoir et de jongler entre son masque en tissu noir, les fameux biscuits et le chablis. Sa nomination est, en effet, toute récente, elle date de janvier. Avec son côté rentre-dedans, la chroniqueuse aux « Grandes Gueules » sur RMC promet de « bousculer » l’auguste maison et de la sortir de l’entre-soi. « Je continue de faire ce que je fais déjà : chercher des profils atypiques, repérer ceux qui ne sont pas du petit milieu, débusquer les talents qu’on ne voit pas ailleurs », explique l’autrice d’un pamphlet contre la technocratie, publié à la rentrée : Rendez-nous la France ! En finir avec la caste qui paralyse notre pays (Fayard, 2020).
Etrange de la part d’une fille de médecin et de psychologue, biberonnée au Monde (son père organisait des débats familiaux pour vérifier que le journal vespéral avait été bien lu), elle-même issue de Sciences Po, titulaire d’un doctorat, qui a par la suite embrassé la carrière de journaliste. « J’assume mon côté poujado, c’est un vrai truc de gauche. Redonner les moyens aux fantassins sur le terrain, et pas aux technos. On réarme les services publics, on s’intéresse aux catégories populaires », nous avait-elle expliqué lors de la sortie du livre.
Il y a plusieurs paradoxes chez Isabelle Saporta : elle veut dénicher les nouvelles voix atypiques, mais édite aussi Christophe Barbier (Les Tyrannies de l’épidémie, Fayard, 198 pages, 15 euros). Elle fuit le monde politique, dégoûtée de ses expériences infructueuses (et ses choix déroutants entre deux listes) lors des municipales de 2020 à Paris, de la violence de ce milieu, mais tout ce qu’elle entreprend se veut politique : son travail d’éditrice, donc, mais aussi ses enquêtes sur l’agriculture intensive (notamment Le Livre noir de l’agriculture, Fayard, 2011) ou même sa présence aux « Grandes Gueules », où elle serait une sorte de guerrière solitaire de gauche dans un environnement de droite. « Il faut aller dans les émissions populaires et porter une autre parole. Soit on reste dans l’entre-soi, soit on essaye de comprendre ce qu’il se passe. »
Et puis, surtout, il y a cette autre difficulté, plus intime, que l’on devine aussi plus douloureuse : les conséquences de sa relation avec Yannick Jadot, candidat à l’investiture verte pour l’élection présidentielle de 2022.
Longtemps, Isabelle Saporta est restée dans l’ombre, contribuant à écrire les discours de l’homme fort des écologistes, le conseillant discrètement. Même ceux qui ne l’apprécient pas au sein d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) reconnaissent qu’elle est fondamentale au député européen dans sa manière de savoir prendre la température du pays, d’aller écouter les râleurs de tous poils, les sans-grade, parfois ignorés par des écologistes apparaissant comme urbano-centrés.
« A gauche, je me sens de droite. A droite, je me sens d’extrême gauche. Mon problème, c’est que je n’entre pas dans les cases. Défendre la ligne du parti, si elle est contraire à mes convictions, je n’y arrive pas. »
Mme Saporta est apparue au grand jour le soir des résultats des élections européennes de 2019. La liste emmenée par son compagnon venait de créer la surprise avec une troisième position et 13,5 % des suffrages, derrière le Rassemblement national et La République en marche. Elle est évidemment présente à la soirée pour fêter ce résultat. Il y a aussi les journalistes de Paris Match. S'ensuivra un shooting du duo en mode « couple présidentiel » qui agacera beaucoup. « J’ai toujours été en retrait. Ce soir-là, Yannick me dit : “Je veux vivre ça avec toi.” Je n’ai jamais caché que j’étais avec lui, mais quand il était à 6 % dans les sondages, il n’intéressait personne, rappelle-t-elle. J’ai appris à me foutre de ces polémiques. Plus ça va, moins on m’embête avec ça. »
Certes. Mais, entre-temps, il y a eu une blessure, une « vraie injustice », selon Isabelle Saporta : quand elle a dû quitter RTL, où elle tenait une chronique dans la matinale, à cause de son couple. « On croit que je suis incapable de penser par moi-même. Vos neurones ne disparaissent pas quand vous êtes en couple avec un politique ! Désormais, on me prend comme je suis ou tant pis. Je ne fais pas semblant d’être neutre, personne ne l’est. » A prendre ou à laisser. C’est peut-être cela qui braque autant les politiques, le côté entier et insaisissable de la dame. « A gauche, je me sens de droite. A droite, je me sens d’extrême gauche. Mon problème, c’est que je n’entre pas dans les cases. Je me sens profondément anar, avance-t-elle ainsi. Défendre la ligne du parti, si elle est contraire à mes convictions, je n’y arrive pas. »
Sophie de Closets approuve. La grande patronne de Fayard est un peu l’invitée surprise de cet apéro. Elle a passé une tête pour voir ce qu’il se passait dans ce bureau. « Viens boire un verre avec nous ! » propose sa nouvelle recrue de 44 ans, qui vient de signer son premier CDI. Sophie de Closets arrive en chaussettes. Tout de suite, on comprend pourquoi les deux femmes s’entendent aussi bien. Elles ressemblent à deux copines de lycée, deux « BFF » (best friends for ever, « meilleures amies pour toujours »), la petite brune et la grande châtain : même humour trash, mêmes convictions et une aptitude à jurer assez impressionnante.
Convictions républicaines
Entre deux blagues, Mme de Closets écoute pourtant attentivement ce que dit Isabelle Saporta, qui continue à dérouler son rapport conflictuel à sa famille politique, la gauche. Elle lui reproche tant de choses. Surtout sa pusillanimité et son abandon des classes populaires. « Ils sont effrayés. Ils naviguent à vue, ils sont dans le court terme, l’indignation immédiate. » C’est pourtant en son sein que l’éditrice a commencé à militer.
A Sciences Po, au mitan des années 1990, elle prend sa carte à l’UNEF, puis passe chez SUD-Etudiant quand le syndicat est fondé. « Je n’étais pas un fer de lance, hein, mais ça m’amusait. On avait lancé une grève sur la question des bourses. On avait rebaptisé l’amphi Boutmy “amphi Farinelli”. Pour qu’on ne coupe pas les bourses des étudiants. » Un trait d’esprit qui la fait encore beaucoup rire, aujourd’hui. Saporta vendait également Charlie Hebdo dans le hall de la rue Saint-Guillaume. D’ailleurs, elle reste toujours Charlie, aujourd’hui, avec des convictions républicaines très ancrées et ne s’en cache pas : elle publie ainsi le président du Printemps républicain (association qui défend avec véhémence une conception stricte de la laïcité), Amine El Khatmi.
Cette volonté de garder le moins possible d’attaches politiques pourrait lui causer bien des soucis dans les mois à venir. La campagne présidentielle va commencer et, si Yannick Jadot remportait la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts prévue en septembre, tout pourrait (encore) se compliquer pour elle. En finissant la bouteille de chablis, la question arrive : que ferait-elle si elle devenait première dame ? Eclats de rire. Puis : « Etre une potiche et fermer sa gueule, non, merci ! Mais les pièces jaunes, j’adorerais. » Et elle conclut : « En tout cas, première dame, ça ferait un bon livre. » Sa patronne valide d’un hochement de tête.
Le mystère du petit sécateur du jeune Hubert de Boüard offert par son père enfin élucidé. ICI
Château Angélus, premier grand cru classé A de Saint-Émilion : cette distinction constitue-t-elle humainement un aboutissement dont tu as toujours rêvé ?
Je ne pensais pas, quand mon père m’a offert ce sécateur, qu’Angélus deviendrait un premier grand cru classé A. J’ai commencé à penser très tôt au fait que je voulais être œnologue. J’ai appris à tailler avec les vignerons d’Angélus. Je montais sur les tracteurs. J’ai toujours été fasciné par ce côté pratique, plein de bon sens paysan. J’ai vécu avec eux. Je suis né au milieu des vignes. Ma vie n’est pas un hasard. Quand on ne sait pas, on est à la merci de ceux qui savent et vous pilotent. Je ne supporte pas d’être piloté. Je ne suis sous domination de personne. C’est peut-être prétentieux, mais c’est comme ça. Je suis comme saint Thomas. Il faut que je voie pour croire. Je suis un homme heureux car j’ai fait ce que j’ai plus ou moins voulu. En réalité, j’ai commencé à penser au classement quand Émile Peynaud est venu me voir, dans les années 1980. Quand il a dégusté des 1953, il m’a dit : « Il y a un terroir, il faut que vous fassiez quelque chose. » Il y a eu des articles de presse puis le classement de grand cru classé B. J’y ai cru. Aujourd’hui, mon bonheur est entier.